Plantu - Reza : regards croisés, Musée de l’Homme - Gallimard
Plantu et Reza ont couvert la majorité des conflits de ces dernières décennies. A la croisée des chemins, chacun utilise son outil : l’un son objectif, l’autre son crayon. Le photographe est sur le terrain, au cœur de l’événement, tandis que le dessinateur de presse tient une analyse à froid, avec recul toujours et ironie quelques fois. Le Musée de l’Homme rend compte jusqu’au 31 décembre 2023 de cette collaboration unique pour Baptiste Le Guay, à la fois journalistique, poétique et humaniste croquant les événements de ces cinquante dernières années.
Un regard aussi brut qu’ironique sur le monde contemporain
Le musée de l’Homme propose une alliance intellectuelle et artistique singulière : celle d’un photoreporter et d’un dessinateur de presse rapprochant leurs œuvres respectives. Observateurs des bouleversements de la planète, Plantu et Reza font dialoguer leur pratique et leur vision du monde. Si celles-ci se rejoignent ou s’opposent, elles permettent de prendre conscience des bouleversements climatiques, politiques, économiques et sociaux de notre époque tout en gardant humour et une vision décalée.
Reza incarne les vertus comme les errances de la raison poétique, quand Plantu figure les vertiges et les facéties de la raison politique et de l’actualité
Pierre Bongiovanni, Frères d’encre et d’images, préface du catalogue
Les deux hommes se rencontrent pour la première fois en 2011 aux Rencontres internationales du dessin de presse, au mémorial de Caen. Une complicité les conduisant a projeter leurs travaux sur un même écran en 2020. Ils les assemblent de manière plus intime en publiant un livre chez Gallimard un an plus tard, ouvrage présenté dans l’exposition.
J’ai l’impression de partager avec Plantu une forme de compréhension du monde.
Reza.
Malgré des postures parfois complémentaires ou opposées, leurs images produisent un dialogue passionnant, bien qu’elles soient chacune produites parfois avec 10 ou 20 ans d’écart !
Les coïncidences historiques et esthétiques entre nos deux parcours se sont révélées troublantes.
Plantu.
Dénoncer les inégalités, encore et toujours
Sans surprise, nous vivons sur une planète où les inégalités sont abyssales, que ce soit en termes de ressources, de liberté, d’éducation et de sécurité. Plantu et Reza montrent sans concessions les disparités creusant des fossés entre les populations. Pour l’un comme pour l’autre, faire entendre la voix des plus démunis, privés d’expression est une nécessité.
L’injustice, c’est de devoir subir le mensonge sans avoir la possibilité de le dénoncer.
Reza
Une volonté de faire bouger les mentalités, qui se traduit concrètement par leurs associations respectives : Cartooning for Peace et Reza Visual Academy.
Suivre et comprendre les flots de migrations
Forcé de prendre l’exil de son Iran natal en 1981, Reza est lui-même un citoyen en migration perpétuelle, notamment grâce à l’actualité internationale l’emmenant dans toutes les régions du monde. Plantu se positionne en témoin de la question migratoire, de ses polémiques et du destin tragique des migrants contraints de fuir leur pays pour arriver sur une nouvelle terre, souvent hostile à son tour. La violence de ces situations est révélée avec la lucidité de la photographie et la fantaisie du dessin, juxtaposant la dure réalité du terrain avec le burlesque d’un trait satirique.
Comme l’explique Reza « au-delà de la joie d’être libre, la fracture physique et intellectuelle du deuil de sa terre. Une odeur, un goût, un paysage, un visage, la mélodie de sa langue, le rythme de son pays ». Selon lui, les joies d’un exilé sont remplies des mémoires de son passé, évidemment liées à son pays d’origine et la nostalgie de celui-ci.
Dans le dessin de Plantu, l’immigration arrive sous le métro aérien, accompagnée de barques sur la mer Méditerranée. Une scène imaginaire qui pourrait se dérouler sous le métro de Barbès-Rochechouart, endroit réputé pour sa forte population maghrébine regroupée aux abords du métro.
L’environnement comme urgence absolu
L’impact de l’activité humaine sur l’environnement est une préoccupation centrale de la société, intrinsèquement liée à la survie de notre espèce. Au cours de leurs carrières respectives, Plantu et Reza ont couvert de nombreuses zones devenues vulnérables car fragilisé par les pollutions. La nature est souvent mise au premier plan dans les travaux des deux journalistes. Ce que l’humain fait de son milieu naturel a toujours été pour eux un sujet d’actualité majeur.
Luttes contre l’indifférence
Sur la photo de Reza ci-dessus prise en Egypte, le Nil est totalement pollué, autrefois vecteur de fertilité sur toute la région. « Aujourd’hui, sur les berges du delta on voit des poissons morts et les mains des pêcheurs atteintes de maladies cutanées. Plus loin, le fleuve éreinté par sa course entravée, pollué par les déchets des usines, se rend à la mer » décrit Reza.
Plantu lui questionne par son dessin les « interrogations et les luttes contre l’indifférence de la technologie au détriment de la planète ». Un débat plus que jamais d’actualité où la société se questionne sur son paradigme où confort et technologie prévaut sur la préservation des ressources naturelles.
Se battre pour la liberté d’expression
Après avoir affiché sur les murs des images dénonçant la misère en Iran, Reza fût emprisonné et torturé en 1974. Dès lors, Reza couvre les conflits pour les montrer aux yeux du monde entier. Une activité non sans risque, où les attentats de Charlie Hebdo ont prouvé qu’un dessinateur n’est pas totalement à l’abri non plus, comme un photographe sur le terrain d’une guerre. Depuis cet événement tragique, Plantu vit sous protection policière, depuis 8 ans désormais.
Plus encore que l’actualité, la caricature anime les passions les plus intenses. Les risques encourus par le dessinateur se sont démultipliés à l’heure où les contenus se diffusent à l’échelle mondiale en un instant.
Dans son cliché Coups de feu, Reza s’interroge sur ces femmes Afghanes, de nouveau menacées par la récente prise du pouvoir des talibans alors qu’elles ont pu entrevoir pendant vingt ans la liberté de penser et de créer par elles-mêmes.
A la manière d’un funambule, le dessinateur et le photographe doivent rester en équilibre sur le fil de leur idée, sans basculer dans le vide : en tombant dans la censure, la propagande ou en étant pris pour cible. « Avoir une opinion indépendante aujourd’hui, c’est un vrai travail d’équilibriste » affirme Plantu.
Ici ou ailleurs, résister n’est pas une option mais une obligation. Que l’on soit seigneur ou mendiant, savoir résister à la propagande, au consumérisme, aux inégalités, aux mensonges, aux abus devrait faire partie du viatique de tous les êtres humains, de la naissance jusqu’à la mort
Pierre Bongiovanni, Frères d’encre et d’images
Une image idéale pour illustrer le courage qu’il faut pour prendre position, encore plus dans une époque où la susceptibilité et l’agressivité sont si facilement déclenchables. Malgré les menaces pour s’exprimer sans peur, le photojournalisme et la caricature seront toujours des messages de liberté et de démocratie. Plantu et Reza en sont les valeureux observateurs et fervents résistants.
Pour aller plus loin :
Catalogue, chez Gallimard, 192 p. 30€. Près de 80 œuvres qui dialoguent entre elles dans une segmentation en plusieurs thématiques : Bouleversante enfance. Fragile Eden. Femmes entre luttes et grâces. Désordres et Déchirures. Guerres et Paix. En liberté surveillée et Diriger et résister.