Cinéma en salles : Promenade à Cracovie, de Anna Kokoszka-Romer, Mateusz Kudla (2023)

avec Roman Polanski et Ryszard Horowitz.

Le tort de ce sobre documentaire des cinéastes polonais Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer, est de suivre deux éternels gamins, Roman Polanski (90 ans) en compagnie du photographe Ryszard Horowitz (84 ans) dans les rues (du ghetto) de Cracovie où ils se sont rencontrés pendant l’Holocauste. La seule présence du sulfureux réalisateur condamne hélas ce film mort-né, regrette Patrice Gree très bouleversé par cette preuve de résilience à forte valeur ajoutée historique !

Le grand âge de la salle donnait une intensité particulière au film…

La salle de l’Arlequin, rue de Rennes, malgré l’absence d’affiche à l’extérieur, ce samedi,  était pleine. À l’œil nu, la moyenne d’âge des spectateurs frisait les 75 ans.  L’histoire du ghetto racontée par les derniers témoins sortis vivants de cet enfer, ma main au feu, trouvait en eux, un écho à leur propre histoire familiale.

Lorsqu’ils se retrouvent confrontés aux lieux qui les ont forgés, ils abordent spontanément des sujets fondamentaux tels que le passage du temps, la mémoire, la quête de sens et la façon dont chacun tente de définir sa propre identité.
Anna Kokoszka-Romer & Mateusz Kudla

Roman Polanski et Ryszard Horowitz dans leur Promenade à Cracovie, Photo Robert Sauszniak KRK film

Le poids du destin et des actes

Je n’oserais pas dire, par crainte d’être mal interprété, que le témoignage vécu de ces deux survivants d’un massacre pensé, planifié au-delà de l’horreur, à une échelle impensable, pèse plus que les dérèglements inacceptables d’un homme à un moment donné de sa vie, justifiant aux yeux de certains, le refus de distribuer ce documentaire à valeur historique. Dérèglements inacceptables – personne ne le conteste –  pour lesquels il a été jugé et condamné par la justice. Je ne le dirais pas, car si je le dis, on va dire que je passe par pertes et profits le viol. Bien sûr que non ! Mille fois non ! Un milliard de fois, non ! Son enfance tragique n’efface pas ce qu’il a fait de mal dans sa vie d’adulte.

Ce que Polanski a fait de mal dans sa vie d’adulte, n’efface pas son enfance tragique partagée avec des milliers d’autres.
Car à travers ses souvenirs d’enfance, Polanski le survivant, entre les lignes, raconte l’histoire de ceux qui n’ont pas survécu. Polanski raconte les morts…

Roman Polanski et Ryszard Horowitz dans leur Promenade à Cracovie, Photo Robert Sauszniak KRK film

Ce film n’est ni de lui, ni sur lui !

Ce film est l’un des rares témoignages sur l’une des plus grandes abominations du siècle dernier ! Nous avons aussi été sidérés de constater que leurs souvenirs étaient intacts, que ce soit pour des moments heureux ou atroces. Tout était là en eux et ne demandait qu’à remonter à la surface.
Anna Kokoszka-Romer & Mateusz Kudla

Des émerveillements qui remuent les tripes

C’est un voyage dans le temps qui à travers les boulevards, les avenues, les ruelles, de maison en maison, d’appartement en appartement du Cracovie d’aujourd’hui, te remuent les tripes !
Comment ne pas s’identifier à ce petit garçon que son père, prit dans une rafle dont il pressent l’épouvantable finalité – il sera déporté à Birkenau -, balance de l’autre côté d’un grillage en lui intimant l’ordre de foutre le camp immédiatement ?
Comment ne pas être bouleversé quand l’adulte raconte les retrouvailles émerveillées du petit garçon qu’il était avec son père, miraculeusement épargné par la mort, dans la cuisine inchangée de son ami ? Émerveillé…avant que celui-ci ne lui annonce qu’il ne reverra pas sa maman adorée, gazée à Auschwitz.
Comment ne pas être secoué par sa rencontre avec le petit-fils de la famille de paysans catholiques pauvre qui lui a sauvé la vie en le planquant, en toute connaissance des risques, dans leur petite ferme durant plusieurs mois ?

Quant à Horowitz déporté à 4 ans à Auschwitz avec sa mère,  survivra grâce à Oscar Schindler. Ils feront partie des fameuses listes dont Spielberg tirera son film.

Roman Polanski et Ryszard Horowitz dans leur Promenade à Cracovie, Photo Robert Sauszniak KRK film

Si le fond est grave, le ton est souvent joyeux.

Les deux potes, respectivement 90 ans et 84 ans, déambulent, alertes, espiègles dans un Cracovie apaisé où chaque coin de rue leur rappel un souvenir, une anecdote, sur la folie du communisme succédant à l’enfer du nazisme; ils s’émeuvent et rigolent comme deux éternels gamins.
La force du film est là aussi… dans ces rires.

#Patrice Gree