Sam Wasson, The Big Goodbye, Chinatown et les dernières années d’Hollywood (Ed. Carlotta)

Traduction de Samuel Bréan, Editions Carlotta, 350 pages, 21,99 €

Immense film noir, « meilleur scénario du monde », Nicholson à son top, meilleur Polanski selon Jean-Philippe Domecq… Quand Polanski, revenu de l’Enfer, filme Chinatown, le tournage narré par Sam Wasson dans The Big Goodbye s’impose comme une enquête aussi bien documentée que scotchante. Le récit qui se lit comme un roman raconte une séquence cinématographique étourdissante qui marqua l’histoire d’Hollywood.

Le tournage du polar fut un polar

Deux de ses protagonistes sur quatre ne s’en sont pas relevés. D’où les quatre temps du récit. Le réalisateur d’abord, Roman Polanski, qui revient enfin à Hollywood après l’assassinat de Sharon Tate enceinte de lui. On a d’ailleurs une restitution de ce massacre qui effraya le monde, ainsi que de l’affaire de viol sur mineure qui vaudra à Polanski les gémonies que l’on sait, sans gommer que les décisions du juge furent guidées par sa gloriole médiatique.
Toujours est-il qu’il y a analogie entre la tragédie, qui avait diabolisé d’un coup les années hippies, sexe, drogues et engagements, et le thème de Chinatown – « meilleur script de tous les temps » écrira le théoricien de scénario, Syd Field : crépusculaire à la Chandler, il décrit les années 30 où les gros bonnets ont fait Los Angeles la mal nommée sur le dos des fermiers en rachetant leurs terres pour détourner l’eau.

Huston acteur, Nicholson amant de sa fille, Faye Dunaway en victime…

C’est ce qu’incarne le personnage du salaud incestueux, interprété par John Huston magistralement éméché devant les caméras tandis qu’hors-tournage sa fille Angelica se fait allègrement séduire et tromper par Jack Nicholson. Plus fidèle en amitié, Nicholson va entraîner la bande, sur fond de fêtes orgiaques avec pyramide de coke et coupe à billets pour copains et filles ravies d’en être.
Polanski, galvanisé par la noirceur de ce polar au final totalement désabusé, mène l’acteur au top de son art, avec ce ton nasillard pour étirer son blabla qui séduit à proportion qu’il agace. Nicholson accepte même de jouer avec un gros sparadrap sur le blaze pendant trois quarts d’heure de film, après un coup de canif joué par…Polanski.

Une tragédie violemment américaine

Lorsque celui-ci se branche sur le script avec Robert Towne le scénariste, qui sera presque désintégré par le succès du film, entre eux se jouent « deux rapports passionnés à la réalité », ce qui donne à ce film ce que Sam Wasson exprime très bien par : « glamour naturaliste ». De même pour la bande son composée par Jerry Goldsmith, fameuse à la fin quand elle plane au-dessus de la foule et du klaxon coincé par l’héroïne (Faye Dunaway) au volant de sa décapotable blanche, flinguée par le friqué joué par Houston : découvrant cette partition, le producteur Robert Evans et c’est notre quatrième protagoniste, perclus de coke dans son palace, comprend que c’est la musique qu’il fallait à cette tragédie incestueuse, antique et américaine : alors, écrit Wasson, « le son stupéfia Evans. Il y trouva de la souffrance, un sentiment d’attente, d’agonie mis dans une douce incantation, comme un souvenir heureux noyé dans la vérité. »

Le temps des « films pour la télévision »

Après ce producteur hors-pair, Hollywood bascule vers une autre période : après ce film noir qui exacerbait l’inexorable triomphe de ceux qui spolient et souillent dans les bas fonds des villes, ce fut le temps des « films pour la télévision » et pour yuppies, diagnostique intelligemment Nicholson. Comme l’annonce ce livre qui s’avère être un roman involontaire : « Chinatown était un état d’esprit. Pas uniquement un endroit sur la carte de Los Angeles mais un état de conscience totale, quasiment impossible à distinguer de l’aveuglement. On rêve qu’on est au paradis et on se réveille dans l’obscurité : ça, c’est Chinatown. On pense avoir tout compris et on se rend compte qu’on est mort : ça, c’est Chinatown. »…

Terminons sur une autre période du XXème siècle américain, à New York cette fois : Une tragédie américaine, du romancier Theodore Dreiser (publié en 1925, réédition chez Motifs en 2015), prend le mythe du succès social par le bas de l’échelle, un jeune fils de pauvre devient groom d’un grand hôtel, est pris comme amant momentané par une milliardaire, qui le lâche et il la tue. Il n’y a pas qu’une vision engagée dans ce roman à relire, parce qu’il est écrit avec une prenante voix off au cœur de l’œil de la caméra intériorisé par la description naturaliste de cette période. Eisenstein rêva de l’adapter en film, et Joseph von Sternberg le réalisera en 1931… c’est dire.

#Jean-PhilippeDomecq

Précieuses rééditions de Roman Polanski : Répulsion, Le Couteau dans l’eau, Cul de sac, en nouvelle restauration, haute définition, de même pour les courts-métrages en supplément de chacun de ces DVD + Combo Blu-Ray, Suppléments et interviews sur les conditions de tournage, 20,06 € chacun des 3, éditions Carlotta,