Sans sincérité, le succès artistique reste toujours éphémère, pour Yann Ollivier (Artmedeo)

[Les dynamiques de la réussite I]. Si la quête du succès hante au quotidien les professionnels de la musique, chacun l’appréhende à sa manière. Yann Ollivier, ancien Directeur Général d’Universal Music Classics (1998 – 2015), et ancien Président des Victoires de la Musique Classique (2012 à 2017), dirige depuis 2016 Artmedeo, société de conseils pour les artistes comme les labels. Il est convaincu que la vrai réussite d’un artiste, c’est de trouver sa propre identité.

Le plus important pour un artiste, c’est de trouver sa propre identité

Yann Ollivier, fondateur Artmedeo

Les Majors ont le pouvoir de mettre en avant un artiste, d’en faire la promotion. Ils mettent en place et gère les campagnes et moyens marketing pour façonner l’image de l’artiste et de lui donner une certaine notoriété. Le succès d’un artiste dépendrait donc des moyens mis en place par son label. Mais pour Yann Ollivier, fondateur de la société de conseils Artmedeo, cette mécanique a des limites. S’il est possible de « monter des coups marketing, mais dans le domaine du classique, cela reste plutôt éphémère ». A ses yeux, l’essentiel est ailleurs : « Le plus important pour un artiste, c’est de trouver sa propre identité ». Et de la respecter.

Le succès à long terme ne peut exister que si l’artiste est sincère en cherchant à être lui-même. Sans chercher « à tromper son public en jouant quelqu’un qu’il n’est pas, ce dernier finit par le comprendre et s’en écarter ». Au prétendant au succès de se trouver soi-même et ce savoir ce pour quoi il est fait.

Pour illustrer son propos, Yann Ollivier n’hésite pas prendre l’exemple d’André Rieu, violoniste vedette qui a vendu des millions d’albums, rempli des salles immenses en reprenant des airs célèbres et en s’aventurant dans le cross-over, le tout appuyé par tous les moyens de communication de masse, en particulier la télévision. Son succès absolument phénoménal a tenu parce qu’il était honnête dans sa démarche. « Je le répète, sa démarche est sincère. Lorsqu’il était jeune, il voulait déjà faire ce type de concerts ». « C’est très difficile d’avoir une identité que vous collez artificiellement, ça peut arriver, mais je pense que le succès est éphémère ».

Seul un terreau de sincérité permet un storytelling pertinent

Le monde dans lequel les artistes tentent de percer est de plus en plus impitoyable. Le niveau technique global n’a jamais été aussi élevé. Le nombre de jeunes instrumentistes de très haut niveau est absolument vertigineux. Conséquence de cette tendance : les jeux se standardisent. « Auparavant, on parlait des écoles, aujourd’hui, beaucoup de pianistes ont des styles assez comparables » affirme Yann Ollivier. Autre difficulté : les labels de musique classique sont en concurrence sur un « répertoire substituable, ce sont souvent les mêmes œuvres qui sont enregistrées par des artistes différents au cours du temps (…) cela signifie qu’à la version d’Hélène Grimaud de telle sonate, on peut substituer celle de Krystian Zimerman ou une autre ».
Le storytelling autour de la personnalité devient, dans ce contexte, un moyen de se différencier. Une fois que l’identité de l’artiste est clairement identifiée, de ce matériau, le label peut puiser les ressorts d’une histoire saillante à son sujet, car le grand public peu mélomane « a besoin de s’identifier au caractère d’un artiste ». C’est alors l’artiste plus que le répertoire qui est acheté.

Attention à la perception biaisée des critiques

Yann Ollivier pointe ainsi ce qu’il appelle le « syndrome du critique de disques » qui a parfois tendance à « s’enfermer dans ses propres clichés ». Son regard, (ou plutôt son oreille) reste souvent peu ou prou empreint d’a priori. Pour le label, c’est une véritable difficulté à surmonter, particulièrement pour des artistes prisés du grand public comme Lang Lang ou Nemanja Radulovic. Ce dernier se distingue certes par un « look de hard rock, de heavy metal, mais son répertoire reste circonscrit au domaine de la musique classique. » En ce qui concerne Lang Lang, ce sont souvent ses attitudes sur scène qui déplaisent à la critique.
À son sujet, Yann Ollivier raconte un épisode marquant qui a eu lieu en 2007, lors des concerts d’ouverture de la saison, alors à la Salle Pleyel. Pianiste à l’honneur pour les deux soirs : Lang Lang. « Premier soir, je ne le reconnais pas, un garçon très sobre, intériorisé qui laisse entendre une version très profonde. Il donne même trois bis je crois bien. Il savait très bien que dans la salle, il y avait les critiques. D’ailleurs, c’est à cette occasion que l’article Réhabilitons Lang Lang (Christian Merlin, 14/09/2007) est sorti dans Le Figaro. Le deuxième jour, il vient pour le même concerto qui n’a plus rien à voir. C’était la même musique, assurément, mais il était beaucoup plus extraverti, avec une grande gestuelle. Tout ce qui exaspère les critiques ! ». A travers cet exemple parlant, Yann Ollivier pointe le défi où l’artiste se doit de plaire à la fois au public et aux critiques. À trop se tourner vers l’un, il tombe dans la facilité ; à trop se tourner vers l’autre, il se perd dans une écoute balisée voir étriquée. Trouver la bonne voie entre ces deux exigences tient parfois de l’équilibrisme risque, tout l’enjeu pour l’interprète est de le trouver. Sereinement.

Propos validés le 21 septembre 2021 par #EzechielLeGuay

Trois enregistrements coups de cœur de Yann Ollivier :

Cecilia Bartoli – The Vivaldi Album (Decca Classics, 1999)

Nemanja Radulović – Baïka (Deutsche Grammophon, 2018)

Jean-Christophe Spinosi – Miroirs (Deutsche Grammophon, 2013)