Sculpture immersive : Transmitter, 2020 de Richard Serra (Gagosian Le Bourget)

jusqu’en 29 octobre 2022, Gagosian Le Bourget, 26 Avenue de l’Europe, 93350 Le Bourget.

15 plaques d’acier de 4 mètres de haut, 17 de large, 18 de long, le double ruban d’acier conçu par Richard Serra spécialement pour Gagosian Le Bourget est une fusion du spatial et du temporel. Transmitter fascine par l’exploit physique qui défit la gravitation et l’expérience immersive sensorielle quasi mystique, tant cet ‘espace de comportement’ du sculpteur américain, plonge le visiteur hors du temps et hors sol jusqu’au 29 octobre 2022.

Transmitter, de Richard Serra ne permet pas au visiteur une vision complète (Gagosian Bourget) Photo OOlgan Singulars

Eprouver un champ d’acier en gravité

Des multiples sensations qu’engagent la double spirale d’acier corten assemblée par Richard Serra, insistons d’abord sur la force tellurique qu’elle libère. Cette intensification de la perception s’éprouve en marchant. A la fois labyrinthe et forêt, les plaques soudées de 4 mètres de haut créent des tracés irréguliers et des perspectives courtes où le visiteur perd tout repère comme absorbé par l’apesanteur. « Je considère l’espace comme un matériau. insiste Richard Serra. L’articulation de l’espace a pris le pas sur d’autres préoccupations. J’essaie d’utiliser la forme sculpturale pour rendre l’espace distinct. Dans le fond, je voudrais faire des sculptures qui incarnent un nouveau mode d’expérience, qui ouvrent des possibilités de sculpture encore inédites. »

Le visiteur est plongé dans un univers d’acier sans gravité Richard Serra Transmitter, 2020 (Gagosian Bourget) Photo OOlgan Singulars


Le jeu des lumières sur le ruban d’acier corten Transmitter, 2020 (Gagosian Bourget) Photo OOlgan Singulars

La fusion sensuelle du spatial et du temporel 

Comme pour les sculptures immersives de Bernard Venet, le visiteur est invité à s’élever au-delà des limites de ses perceptions habituelles, dépassement toujours imprévisible que l’artiste recherche et déploie dans tous les sens du terme. « Je me suis très tôt intéressé aux questions d’équilibre et d’apesanteur. insiste Serra. Plutôt que de penser à ce que va être l’œuvre, je me suis demandé ce qui se passerait si je ne faisais que mettre en œuvre ces actions en relation avec un matériau, sans me soucier du résultat. »
Comme on s’immerge dans l’eau, le fait de longer, frôler, caresser les courbures de deux rubans d’acier évoluant de manière parallèle fait éprouver la torsion physique des tonnes d’acier qui nous guide, nous dépasse, nous submerge dans un flottement ressenti par tout visiteur – quel que soit l’âge – entre déséquilibre, décentrement, et désorientation par rapport à l’espace en béton stricte qui la contraint.
Cet ‘espace de comportement’ revendiqué par l’artiste américain de 82 ans, garde toujours une part cachée quel que soit le point de vue choisi. En se déplaçant le visiteur prend l’initiative de l’organisation de sa propre expérience sensorielle et recompose sa perception générale en même temps qu’il institue une unification possible du lieu. Le visiteur est aussi le compositeur de la forme qui transforme à son regard devenant elle-même un lieu où la fusion du temps et de l’espace devient possible. « Le mariage du spatial et du temporel est indissoluble » note Rosalind Krauss.

Transmetteur d’énergie

Richard Serra Transmitter, 2020 (Gagosian Bourget) Photo OOlgan Singuars

Dans ce saut dans l’inconnu, qui tient de la grotte, chaque pas, chaque portion du paysage mouvant devient aussi un moment. Sa couleur chaude, évoluant avec la lumière, son élancement, sa forme sinueuse, les rapports entre les vides et les pleins libèrent une sourde animalité tant la sensualité ondoyante et oxydée des parois d’acier Corten attire le marcheur. « Par l’immersion qu’elles créent, ses œuvres monumentales exercent sur nous quelque chose. C’est une immersion totale qui nous fait ressentir les sensations de notre propre corps. Serra est un grand artiste du corps, plus que la sculpture au sens de Rodin. Il sculpte les forces qui traversent l’univers et ceux qui se tiennent devant ses sculptures. Ses ellipses sont la représentation de l’énergie en action dans le monde » commente Jean de Loisy, producteur de l’émission « L’art est la matière« .

Replaçant Richard Serra dans le mouvement des artistes de plein air cherchant à enraciner le regardeur dans l’expérience d’un lieu, Joëlle Zask écrit avec pertinence, « L’équilibre paradoxal entre les deux extrêmes que sont l’expérience d’un déplacement libre et celle d’une désorientation complète qui invite à une danse intime, active, est au centre du travail de Richard Serra qui indexe résolument ses choix artistiques sur la finalité que représente à ses yeux la libération de l’expérience du regardeur. La plupart de ses œuvres sont des dispositifs à faire l’expérience du rapport entre le rythme d’in déplacement et les modifications de l’espace. » (Outdoor art, La sculpture et ses lieux. La Découverte, 2013). 

Dans un âge où le metavers semble désormais l’horizon de la relation esthétique, Transmitter constitue un paradoxal manifeste : la théâtralisation d’une hyperréalité (à coups de tonnes d’acier) pour une vibrante expérience charnelle qui faut vivre physiquement de l’intérieur. « Les visiteurs sont l’objet de leur propre expérience. Le sujet c’est vous. » rappelle le sculpteur d’ »espace de comportement » réfléchissant.

#OlivierOlgan

L’espace théatralisé du « métaacier » constitue un manifeste de Richard Serra (Gagosian Bourget) Photo OOlgan Singulars