Seul en scène : Les Ritals, de Bruno Putzulu, d’après Cavanna (Théâtre du Lucernaire)
Mise en Scène : Mario Putzulu
Avec Bruno Putzulu accompagné en musique par Grégory Daltin, Aurélien Noël ou Sergio Tomassi
Ecrivain, journaliste fondateur des revues satiriques Hara-Kiri et Charlie Hebdo, François Cavanna adorait son père, maçon illettré d’origine italienne. Il en a fait un bouquin Les Ritals, sorti en 1978. Bruno Putzulu adore ce bouquin. Ce fils d’un immigré italien en fait une pièce Les Ritals, créée en 2016. Putzulu, sur scène, est Cavanna. En plus petit et sans moustache. Impossible de se rapprocher même de loin d’une gueule qui ne s’oublie pas. Pas plus que sa langue généreuse qui parle de l’âme et du cœur à tout le monde et pour Patrice Gree qui garde son rôle d’alerte contre « les bêtes et les méchants » au Théâtre du Lucernaire jusqu’au 4 juin.
Cavanna, c’est papa que je retrouve dans le texte. Ma mère est française, comme la mère de Cavanna. Mon père était sarde, avec beaucoup de points communs, mais à des époques différentes. Comme chez les Cavanna, on ne parlait pas italien à la maison, et encore moins de racisme, qui était caché.
Bruno Putzulu
On n’est pas tous Rital, mais on a tous un papa.
Si Bruno Putzulu, fils d’un immigré italien comme Cavanna, tient son rôle. Le rôle du papa de Cavanna si central dans Les Ritals est sobrement tenu par une veste d’ouvrier suspendue à un cintre. Cette veste mérite un prix d’interprétation tant elle est habitée.
Le papa de Cavanna est particulier. Il ne sait ni lire, ni écrire. Il est maçon. Il a des mains de maçon, pleines de crevasses, dans lesquelles, le petit Cavanna aime glisser les siennes pour parcourir les rues de Nogent.
C’est émouvant un homme qui raconte qu’il aimait glisser sa main dans celle de son papa. La maman est sévère, le papa est gentil. Des fois, c’est dans ce sens-là. Le papa de Cavanna est bon. Un vrai bon ! Pas un faux bon. Il est bon sans effort. Il est bon comme un oiseau déplie ses ailes et vole. C’est comme ça ! Il ne voit pas le mal autour de lui. Il est au-dessus.
Mais en dessous le mal est là.
Putzulu a choisi, entre autres, une scène très importante du livre. Un jour le petit Cavanna accompagne son père à une fête de copains. Les copains, sous les yeux de l’enfant, entraînent le père dans un jeu stupide : Ils le font boire jusqu’à l’effondrement. Et l’enfant voit le père s’effondrer ivre mort sous les rires des copains. Cette scène est traumatisante et peut-être déterminante dans ce que deviendra l’homme Cavanna. Ils étaient bêtes et méchants… et Cavanna avait une obsession dans Charlie Hebdo…dénoncer le goût de l’humiliation et la bêtise humaine.
J’ai la conviction que les personnages de Cavanna ont la noblesse de ces « gens de peu » au sens que leur donna Pierre Sansot : « Ils possèdent un don, celui du peu, comme d’autres ont le don du feu, de la poterie, des arts martiaux, des algorithmes. Je sais que le talent de Cavanna n’a pas besoin de la scène mais j’ai la conviction que la scène a besoin de ses personnages. Leur humanité qui est la nôtre, complexe, faite de petitesse et de grandeur, de cruauté et de tendresse, d’égoïsme et de générosité nous aidera peut-être à nous reconnaître dans les émigrés d’aujourd’hui, nous aidera peut-être à les recevoir avec respect, nous aidera peut-être à nous souvenir pour embellir l’avenir.
Bruno Putzulu
Continuer à parler à tout le monde
Si vous aimez rire, allez voir cette pièce. Si vous aimez pleurer, allez la voir aussi. Elle marche dans les deux sens. Bon, je ne suis pas un exemple, car j’adore pleurer – oui, j’ai la goutte à l’œil, comme d’autres ont la goutte au nez – et là, j’ai été servi.
Merci Putzulu ! Il a raison de faire vivre Cavanna tant sa langue comme il le dit si bien « s’adresse à tout le monde, alors quel meilleur endroit qu’une scène de théâtre pour parler à tout le monde. »
François Cavanna, reçu par Jacques Chancel dans son émission Radioscopie, en 1975