Rimbaud, cavalcades ! par et avec Romain Puyuelo (Essaion - La Tâche d'Encre d'Avignon)
En vélo sur les traces du poète aux semelles de vent
« Je vais acheter un cheval et m’en aller ! » en criant à sa hiérarchie bornée, sa volonté de démissionner, Romuald graphiste pour une marque de yaourt ne sait pas qu’il vient involontairement prononcer une phrase de Rimbaud, écrite en 1881. Conscient de ne rien connaitre de la vie de l’auteur du Bateau Ivre, le graphiste se mue en enquêteur. Comme les co auteur, et les spectateurs, il met le doigt dans un puissant engrenage, et une question lancinante : qui était Arthur Rimbaud qui « nous laisse en plan à 20 ans, et quitte définitivement poésie et monde occidental ? »
Séance tenante, et c’est la magie du théâtre, il se lance littéralement non pas à cheval mais en vélo et littérairement (armé de ses œuvres complètes) sur les routes du poète aux « semelles de vent ».
Et si Rimbaud avait fait un burn out lui aussi pour tout jeter par-dessus bord à 20 ans ?
Mon envie première est de me concentrer sur l’acteur,
dépouillé de tout artifice, seulement accompagné de la musique de Carlos Bernardo,
afin de faire naître l’épopée d’Arthur Rimbaud.
Nicolas Vallée, metteur en scène et co-auteur
Un portrait subjectif et jouissif d’un « voyageur toqué ».
Débute alors une véritable épopée, dans l’espace et dans le temps, intrépide et irradiante, tant Rimbaud dès 16 ans, de sa Charleville natale à ses trafics en Abyssinie a eu la bougeotte. Seule en scène, mais riche de toute sa connaissance intime du poète (il suffit de voir les sources des deux auteurs en bas de page), Romain Puyuelo devient bateleur des mots, gredin toujours en fugue, l’adolescent fougueux réveillant Verlaine, l’halluciné en quête de Zanzibar vendeur d’armes, bref, un caméléon donnant vie au « voleur de feu » et trouvant un sens à sa vie au contact brûlant du mystère poétique….
Donner corps et voix au mystère rimbaldien
Toujours juste, le comédien se régale et nous enchante quand il incarne tous les principaux personnages qui d’une façon ou d’une autre, pour le meilleur et le pire participèrent au destin d’Arthur : Vitalie, l’intransigeante mère élevant seule ses quatre enfants, l’ami d’enfance et complice de frasques Ernest Delahaye , le magnifique professeur de rhétorique Georges Izambard, pédagogue et soutien inconditionnel du jeune anar, Théodore de Banville, chef du Parnasse contemporain qui ne vit pas le génie d’Arthur, Paul Verlaine et sa femme Mathilde, et même le roi Ménélik II roi du Choaavec pour qui Rimbaud devient trafiquant. … bref « Tous ceux qui ont, d’une façon ou d’une autre, façonné le mythe Rimbaud qui rayonne encore de nos jours et qui n’a pas encore révélé tous ses secrets » selon Nicolas Vallée, metteur en scène et co-auteur.
Aucune des étapes structurant le destin tragique de Rimbaud ne manque
Et personne ne sort indemne de ce périple nourri d’émerveillements, et nous rappelle que la force de la poésie est de nourrir comme jamais « La poésie a le pouvoir de l’instant magique sur le spectateur. Sa gravité ou sa légèreté nous emporte à la fois au-delà et au- dedans de nous-même. Elle est une autre façon d’habiter le monde. » écrit joliment Romain Puyuelo dans sa Note d’intuition. Chacun ouvre les yeux en vivant poétiquement, et voit ce qu’il ne pouvait voir : L’amour était là. La clé de l’amour dit Rimbaud, qui devrait être le destin de tout homme. »
J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
– Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?
Le Bateau Ivre, été 1871
En guise de rebond à l’unisson, je ne résiste pas à relier ce spectacle « champagne » à l’ambition poétique de Guillaume Logé qui fait de Rimbaud un « lien fertile entre l’art, l’écologie Et le Monde » dans son « Musée Monde » : « Rimbaud occupe une place de choix dans notre quête de monde. Non seulement il nous donne un élan sans égal, non seulement il nous met au contact des puissances de vie, mais surtout, il nous donne une sorte de mode d’emploi.
La poésie, qu’est-ce que ça signifie, qu’est-ce qu’on en fait dans cette recherche qui est la nôtre ? Ce sont les « Lettres du voyant » et un grand nombre de ses poèmes qui s’appliquent à y répondre. Et puis la poésie écrite, c’est très bien, mais voilà : elle doit se dédoubler dans l’existence, se faire acte, prise de risque…
Rimbaud contribue à la manière dont je rencontre les œuvres, les regarde, les choisis, les mets ensemble, les commente… il contribue à cette approche poétique de l’art que j’ai évoquée. Et il contribue plus largement à notre quête, tout ça fonctionnant ensemble, évidemment. »
Pourquoi ne pas poursuite cette quête bienveillante comme une résolution permanente d’émerveillements ?
- jusqu’au 25 juin 2024, Les lundis et mardis, à 19h – Théâtre Essaïon, 6, rue Pierre au lard, 75004 Paris
- du 3 au 21 juillet, 17h,Théâtre de la Tâche d’encre d’Avignon, 1 rue de la Tarasque, 84000 Avignon, Tel.: +33 4.90.85.97.13 – la.tache.dencre@wanadoo.fr
Pour en savoir plus sur l’analyse du Bateau Ivre par Guillaume Logé, lire son interview dans La Pensée écologique, du 9 septembre 22, Quels liens entre l’art, l’écologie Et le Monde ?.
A lire
Au-delà des Œuvres complètes (Flammarion 2016), la qualité des sources mentionnées dans le dossier de presse donne la mesure de l’enquête littéraire entreprise par les deux auteurs :
Principalement
- Œuvre-vie édition du centenaire, établie par Alain Borer, 1991
- Rimbaud en Abyssinie, d’ Alain Borer, Seuil 1984
- Arthur Rimbaud, Biographie de Jean-Jacques Lefrère, Fayard 2001
Mais aussi
- Rimbaud le fils, de P. Michon Folio 1993
- Paul Verlaine, biographie de P. Petitfils, 1994
- Mémoires de ma vie, de Mathilde Mauté, 2019
- Dictionnaire Rimbaud, de J-B Baronian 2014
- L’autre Rimbaud, de D. Le Bailly
- Un été avec Rimbaud, de Sylvain Tesson 2021
- Côme, de G.Meurice 2018
- Les jours fragiles, de Philippe Besson 2004