Sidney Carron, "Passeurs de lumière" (Galerie Rachel Hardouin -15martel)
Photographe et réalisatrice, Sidney Carron a commencé comme portraitiste, scrutant l’identité de ses modèles. Le potentiel du cyanotype lui ouvre l’alchimie de photogrammes sculptés par la lumière. Leur exposition à la Galerie Rachel Hardouin 15martel jusqu’au 14 décembre, pour se prolonger chez Sylvie Rielle (10, Place des Vosges) jusqu’au 26 décembre : « Passeurs de lumière« capte l’âme d’êtres singuliers, corps de lutteurs, de danseurs, ou de sirènes,… Immortalisant des traces lumineuses qui ouvrent l’imaginaire. La photographe-alchimiste revient avec Olivier Olgan sur son travail en osmose avec la nature : la complicité du soleil, les rafales d’air iodé et la fluidité des océans.
Sidney Carron est photographe et réalisatrice.
Elle part notamment deux ans avec son appareil photo à la rencontre des autres. Elle produit des portraits, scrutant l’identité de ses modèles dans la rue en Californie, dans les gares… Tout accroche son regard : les homeless à Venice Beach, les artistes, les gens qui ont une présence singulière. De retour à Paris, elle pratique la photographie pour des magazines, des marques et des artistes, toujours animée par la quête de capter le meilleur portrait de chacun. Elle voyage très régulièrement et enrichit son vocabulaire de photographe.
Puis, elle se pose dans son atelier laboratoire entre Montmartre et Pigalle.
C’est ici, revenant à la quintessence de la photo, sculptée par la lumière, que Sidney Carron s’est affranchie de la technique du cyanotype avec sa propre touche alchimique pour réaliser des photogrammes. (Se) jouant des éléments eau, air, terre et feu en réaction avec le papier, Sidney capte l’âme d’êtres singuliers de lutteurs, de danseurs, de voyageurs, de sirènes qu’elle fait poser à même le papier, grâce à des empreintes de corps et d’éléments naturels … immortalisant des traces lumineuses et envoutantes. La photographe confie l’alchimiste nécessaire de son travail.
Comment passe-t-on de la photographie de portraits au photogramme capteur d’âmes ?
Mon travail reste de la photographie. Dans un premier temps, je captais les portraits de mon entourage. Le passage au photogramme ne s’est pas fait exprès. La photographie veut dire « dessiner avec la lumière », j’ai cherché à retrouver son essence, qui vient du plus profond du travail de la lumière. Mes premiers photogrammes se sont imposés comme une évidence. Un long chemin pour proposer cette collection. Et c’est vrai que j’ai trouvé quelque chose qui était évident pour moi parce que j’aime les gens, j’aime le mouvement de la vie.
A travers ses ombres laissées par la lumière, naissent des âmes.
De quelles cultures vous êtes-vous inspirées pour revenir à l’essence du travail de la lumière ?
Je me suis inspirée de pratiques de tribus du monde entier qui vivent au bord de l’eau. Partout où le soleil et la mer entrent en communion. J’ai aussi envie de fossiliser ces cultures avant qu’elles ne disparaissent dans la standardisation internationale. Alors qu’une forme de lissage des savoirs et des singularités s’impose, je souhaite marquer qu’il y a encore des pratiques d’ethnies séculaires qui existent, et fascinent autour des ombres comme par exemple les talibés ou des balla, lutteurs de Dakar. Au fil des voyages et des rencontres, le déclic est venu.
Quel déclic ?
Alors que je travaillais sur mes photographies, j’ai eu un accident : je suis devenue sourde des deux oreilles. J’ai choisi de monter un labo de développement de mes photographies dans ma cave. Ici, seule, j’ai commencé à travailler la lumière, à travers de multiples techniques, surexposition, sous expositions, superpositions,… J’ai essayé de chercher autre chose pour travailler une lumière différente, de trouver ma voix, de définir mon écriture. Comme j’étais très seule, j’effectuais des recherches sur Internet, etc. En étudiant la technique du cyanotype, j’ai multiplié les tests sur le papier, sur son humidité, sur l’endroit et sur l’envers… puis, j’ai travaillé sur l’agrandissement des formats. L’espace intérieur ne me suffisait plus. Je me suis glissée dans mon jardin où il y avait des herbes hautes. Ce résultat était très agressif. Il fallait aussi que je parte, retrouver le sable, l’eau, convaincue que les arrondis seront plus doux, que j’obtiendrai alors plus d’expression au niveau de la forme et du rendu.
L’empreinte est devenue plus belle, grâce à une maitrise de l’exposition et à l’altération obtenue par le sel de la mer qui arrête le processus. J’avais surtout envie que l’écosystème maritime s’infiltre ou qu’il s’impose partout quels que soient les lieux où je pratique.
Chaque photogramme est donc produit par les éléments de chaque écosystème
Sur le papier, et avec la technique du cyanotype, tout se produit et fusionne avec les quatre éléments. Si on analyse chaque photogramme, on peut identifier précisément où il a été fait, à travers les éléments naturels qu’il contient.
Tout l’écosystème est capté et respire sur le papier.
Le cyanotype, c’est quoi exactement ?
Je suis partie pour transformer une vieille technique du surexposition qui a été inventée par un dénommé John Herschel (1792-1871) en 1842.
Ce qui est intéressant c’est que le travail reste « en négatif » mais que je fais à « l’envers », j’ai voulu recréer le négatif de mon cyanotype. C’est un processus vraiment inversé pour revenir vraiment à l’essence du « travail de la lumière ».
C’est aussi une ressource infinie, une continuité, comme un cercle vertueux. A force de maitrise, à un moment donné, vous allez rebondir sur autre chose. J’aime bien là où j’en suis.
Vous allez continuer à décliner cette alchimie à l’infini ?
Je vais partir dans le monde entier, continuer mes voyages, continuer à chercher, à multiplier les rencontres d’êtres singuliers, et à emprunter le maximum de terre, d’air et d’eau pour faire vivre ce papier photosensible à la lumière sensible. C’est toute la chimie du cyanotype, photosensible, mais que je peins en fait en jouant avec le sable qui absorbe. Je travaille aussi l’oxydation pour obtenir autre couleur que le bleu et donner du relief au vivant.
On peut parler d’alchimie des âmes, comme celle de Mathieu Chédid captée au Costa Rica où j’ai coupé une branche que j’ai posé dessus, pour rappeler une sorte de guitare ou le M !
Propos recueillis par Olivier Olgan le 9 décembre 2024