Sophie Divry fusionne les genres dans Fantastique histoire d’amour (Seuil)
Fantastique !
En 2020, dans Cinq mains coupées (Seuil), Sophie Divry recueillait le témoignage de cinq gilets jaunes mutilés lors des manifestations de 2019 et 2020. Un an plus tard, elle faisait de Curiosity, l’astromobile envoyée sur Mars, un robot magnifiquement humain (Les Éditions Noir sur Blanc). L’auteure aime creuser et faire vivre ses sujets avec la même précision quelque soit le genre.
En intitulant son nouveau roman Fantastique histoire d’amour (Seuil), Sophie Divry ne manque ni d’audace, ni de malice se dit-on tout de go. L’audace tout d’abord : si la couverture ne ment pas et que cette histoire est bien celle que l’on croit, n’appartient-il pas en effet au lecteur de se faire sa propre idée, de juger si celle-ci est ou non « fantastique » ? Sauf bien sûr, c’est là que la malice fait son entrée, s’il faut prendre le mot dans son autre acception, celle où le ‘non vraisemblable’ et le surnaturel domineraient.
Allons donc voir de plus près.
En commençant par les protagonistes.
Lyon de nos jours. Soit d’un côté Bastien Fontaine, 41 ans, qui lorsqu’il ne noie pas ses pensées noires dans l’alcool, dédie les dernières forces qui lui restent à l’exercice de son métier, celui d’inspecteur du travail dont il a une définition bien à lui :
Inspecteur du travail, c’est un métier solitaire, quelque chose entre shérif et assistante sociale – au vu de la flotte de véhicules qu’on met à notre disposition, je pencherais plutôt pour la seconde proposition.
Sophie Divry
Un métier qu’il aime mais qui n’est pas le meilleur antidote à ses idées noires : « Beaucoup de salariés racontent ce qu’ils subissent…Cela ne me donne pas le meilleur point de vue sur la société » dit-il à l’homme d’église auquel il se confie. Car Bastien Fontaine va aussi à la messe, plus pour se reposer l’esprit qu’autre chose, pour cette idée d’une transcendance sans laquelle il sombrerait sans doute tout à fait. Il aime « la beauté des lieux…l’orgue, l’encens, les habits sacerdotaux », il s’y sent « en sécurité » et aime entendre ce qui s’y dit.
Sa vie est bouleversée, ou plutôt, elle atteint un cran supplémentaire dans la noirceur, le jour où il est amené à enquêter sur la disparition d’un ouvrier mort broyé dans une compacteuse dans une usine de traitement des déchets.
Une indépendante au sens propre
Soit de l’autre, Maïa di Natale, 35 ans, qui depuis que sa « disparitionnite » – le fait de perdre des choses de manière explicable, « montre au bracelet bleu, (ma) paire de gants noirs, oreillettes de téléphone » entre autres – lui a coûté son emploi de journaliste dans un magazine scientifique, exerce son métier en indépendante, ce qui, outre qu’elle y excelle, lui va très bien, elle qui en dehors d’un père aimé auquel elle rend régulièrement visite dans le sud et d’une amie, ne veut aucune attache au risque de se barricader.
La sienne de vie est bouleversée le jour où, après qu’elle a interviewé sa tante, chercheuse au CERN, le prestigieux centre de recherche nucléaire de Genève, au sujet du cristal scintillateur, dont une des propriétés est « de transformer la lumière en information », elle accepte la mission que celle-ci lui confie : une expérience a mal tourné, et le cristal, qui à présent a tout l’air d’échapper à ses créateurs, s’est mué en une drogue ultra puissante qui pousse à la dépression, voire au crime. La tante de Maïa lui demande donc de l’aider à s’en débarrasser.
Longtemps, les deux intrigues évoluent en parallèle
Si cela n’accroit que davantage l’impatience à les voir se rencontrer, et avec elles leurs protagonistes auxquels on s’attache d’emblée, il y a en même temps une fluidité, une aisance dans le passage de l’une à l’autre, de l’un à l’autre. On se contentera ici de révéler que cristal bleu et compacteuse sont liés :
Le problème vient de cette compacteuse. Nous étions dépendants de quelque chose en elle, dans son acier ou dans sa benne.
Sophie Divry
Tension narrative et émotionnelle progressent d’un même pas
L’histoire – qui emprunte aux codes de la série et du thriller pour la forme tandis qu’elle est résolument ancrée dans le contemporain sur le fond – semble être tissée dans une seule et même pièce. Laquelle ferait la part belle à ses personnages, des solitaires dont les chemins sont voués à se confondre et non plus seulement à se croiser – avant leur « vraie » rencontre, Bastien se rappellera avoir vu Maïa donner gracieusement à manger aux mésanges dans le parc de la Tête d’Or, tandis que Maïa se rappellera avoir vu Bastien dans une librairie.
Du grand art.
On l’aura compris : à l’image de ce « cristal bleu » qui agit comme une drogue pour quiconque l’approche, et dont les puissances d’argent saisissent immédiatement le commerce juteux qu’elles pourraient en faire loin de son application première dans le domaine de la médecine, Fantastique histoire d’amour, est hautement addictif. Il est surtout une magnifique parabole sur le bien et le mal. Rigoureusement documenté, il est enfin un bel hommage à la recherche scientifique.
Il avait dans les yeux une lueur qu’elle reconnaissait pour l’avoir vue dans les yeux de sa tante : la joie de celui qui cherche sans fin à éclaircir le monde, même sur un tout petit bout de terrain
lit-on quand Maïa rend visite à un ornithologue.
À la fin, deux cœurs solitaires se sont trouvés.
Cette histoire d’amour, dont on fait le pari qu’elle sera sous peu portée à l’écran, est bien « fantastique », dans tous les sens du terme.
500 pages qui se lisent à toute allure !