Spirou dans la tourmente de la Shoah (Mémorial de la Shoah)

Jusqu’au 30 août 2023. Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy Lanier, Paris 4e.
Catalogue : sous la direction de Didier Pasamonik, autour de planches originales, recherches graphiques, et documents historiques, de nombreux témoignages d’historiens : Pascal Ory, Bernard Krouck, Tal Bruttmann, Joël Kotek, Caroline François, Chantal Kesteloot, Romain Blandre, Bertrand et Christelle Pissavy-Yvernault. Éditions Dupuis. 152 p. 29€

Autour des 4 volumes, Spirou, l’espoir malgré tout, d’Emile Bravo (Dupuis), l’exposition Spirou dans la tourmente de la Shoah, au Mémorial de la Shoah, jusqu’au 30 août 2023 jette le groom emblématique au cœur des heures les plus sombres de l’occupation nazie en Belgique. Entre personnages de fictions et héros historiques, le parcours – très éclairant et accessible à tous -apporte plusieurs niveaux de lecture, entre le regard innocent d’un adolescent et la mécanique implacable du processus génocidaire de la Seconde Guerre Mondiale.

Interroger l’évolution et la place de Spirou

Emile Bravo, a signé quatre volumes de Spirou, l’espoir malgré tout (Dargaud) Photo Baptiste Le Guay

À la suite de la sortie du dernier tome de la série « Spirou, l’espoir malgré tout » d’Emile Bravo, Didier Pasamonik, commissaire scientifique de l’exposition Spirou dans la tourmente de la Shoah rappelle dans le catalogue (et au vernissage) qu’une « histoire méritait d’être racontée autour de la bande dessinée la plus importante écrite sur la Shoah depuis Maus d’Art Spiegelman ».

A l’inverse d’Art Spiegelman (1948- ), le partis pris d’Emile Bravo (1964- ) est de ne pas montrer pas l’horreur de la Shoah avec les camps et ses détails sordides. A partir d’une minutieuse enquête sur les sources et les faits historiques, le dessinateur s’attarde sur la mécanique implacable du processus génocidaire, broyant tout sur son passage. Se faisant, il interroge comment le pire a pu être poussé aussi loin. Spirou, un jeune groom d’hôtel complétement ingénu sert de témoin et de révélateur à cette sombre page historique, auquel chacun peut s’identifier : « C’est en découvrant ce qui se passe qu’il va avoir un sentiment de révolte et va s’engager dans la Résistance ensuite » révèle Didier Pasamonik.

C’est une exposition familiale, transgénérationnel qui parlera autant aux enfants qu’aux parents.
C’est un formidable outil de transmission pour parler de la Shoah aux plus jeunes
Didier Pasamonik. Commissaire

Les liens entre Spirou, Felix et Felka Nussbaum et la Shoah

Planche originale de la page 54 du volume 1 de « Spirou, l’espoir malgré tout » d’Emile Bravo, photo Baptiste Le Guay

Le parcours de l’exposition explore et restitue les faits historiques à travers des documents d’époque, comme des planches originales de bandes dessinées et des documents officiels de personnages historiques.

Nous y trouvons une inscription au registre de l’Association des Juifs de Belgique de Felix et Felka Nussbaum, association « fondée en vertu de l’Ordonnance de l’Autorité Occupante » du 25 novembre 1941.  Le type d’association qui servait à recenser efficacement les juifs Belges pour que les autorités Allemandes puissent les déporter plus facilement par la suite…

Dans Spirou, l’espoir malgré tout, la rencontre entre le héros de fiction et Felix Nussbaum se fait à Bruxelles sous l’occupation, avant que le peintre juif soit assassiné à Auschwitz en 1944. Un personnage qui a vraiment existé comme son épouse Felka Platek, leur histoire étant racontée dans un ouvrage de juriste sur la condition des Juifs en Belgique entre 1940 et 1944.

Felix Nussbaum, atelier à Bruxelles en 1940, photo Baptiste Le Guay

Spirou est un personnage de fiction qui rencontre des personnes réelles
comme le couple Nussbaum, victimes de la Shoah.
Didier Pasamonik

A travers ce récit, nous découvrons également l’histoire de Jean Doisy de son vrai nom Jean-Georges Evrard (1900 – 1955) rédacteur du Journal de Spirou à ses débuts (1938-1955) et résistant qui utilisa la couverture du Théâtre de marionnettes du Farfadet, pour exfiltrer de nombreux enfants juifs de l’extermination nazie.

Affiche de Spirou et Spip, théâtre du Farfadet, Photo Baptiste Le Guay

Jean-Georges Evrard, alias Jean Doisy et le Théâtre du Farfadet

Créateur de Fantasio, le compagnon de Spirou, Jean Doisy va lutter activement contre le nazisme notamment en enrôlant Victor Martin (1912-1989) surnommé « l’espion d’Auschwitz ». Ce sociologue n’est pas juif mais veut travailler pour la Résistance. Il ramène le rapport sur le camp de la mort d’Auschwitz à la mi-1943 et accélère ainsi la protection des enfants juifs Belges. « Parmi les 3 000 enfants juifs cachés en Belgique, il y avait ma mère, cachée grâce au Comité de Défense des juifs » témoigne avec émotion Didier Pasamonik.

Affiche de marionnettes au théâtre du Farfadet, photo Baptiste Le Guay.

C’est en rencontrant André, le fils de Suzanne Moons, marionnettiste passionné, que Jean Doisy a l’idée d’utiliser un théâtre itinérant « Le Farfadet », dès décembre 1942, sponsorisé par le Journal de Spirou créé en 1938 comme couverture pour la Résistance.  Pendant qu’André Moons fait un carton sur scène auprès des jeunes, dans la coulisse, tout un réseau parallèle s’active. Le théâtre du Farfadet sillonnera la Belgique et permettra de couvrir des actions de sabotage (Jean-Jacques Oblin) ou de cacher des enfants entre 1942 et 1944. Suzanne Moons (1901 – 1946) dite « Brigitte » à elle seule sauve 600 enfants.

En situation entre Histoire et fiction

L’exposition replace également Spirou dans ses origines réelles, notamment avec son créateur Jean-Georges Evrard qui s’engage dans diverses structures antifascistes. Ses fonctions de rédacteur en chef vont lui permettre d’établir un lien intime avec des dizaines de milliers de lecteurs avec lesquels chaque semaine, il encourage à tenir bon face à l’adversité.
Témoin fictionnel de la guerre et de l’Occupation, le jeune Spirou observe l’attitude de la population qui est soit résistante, collaboratrice ou résignée, et témoigne des persécutions contre les juifs en Belgique.

Une du Soir « volé », 9 novembre 1943, photo Baptiste Le Guay

L’histoire du Journal du Soir

En mai 1940, le journal belge du soir est sous séquestre Allemand, notamment avec une ligne éditoriale ouvertement collaborationniste et antisémite avec des sympathisants nazis, choisis pour diriger son édition. « La résistance belge a réussi un coup fumant en remplaçant le journal par un ‘faux soir’ en 1943. Le journal est distribué dans le réseau, quelques heures avant la sortie du soir allemand, c’était une parodie diffusée à plus de 50 000 exemplaires » dévoile Didier Pasamonik.

Emile Hambresin (1907 – mort déporté en Allemagne en 1943) journaliste belge de la gauche catholique est le cerveau de l’opération. Un acte de résistance inouïe qui vaudra des arrestations et coûtera même la vie à certains qui ont participé à la création.

Comprendre son histoire, c’est y intégrer son enfance.
Comprendre l’histoire, c’est y intégrer l’enfance de l’humanité, et donc le dessin. (…)
Auschwitz est une coupure avec l’humanité.
Pour préserver la candeur du personnage, je ne pouvais pas le faire.
Je voulais que les jeunes lecteurs s’interrogent sur Auschwitz,
mais c’est à eux de s’informer, d’en parler avec leurs parents.

Emile Bravo

Une ambition nourrie de questionnements existentiels

Si l’exposition est lourde de sens tant l’effort mémoire de la Shoah reste un enjeu permanent, notamment pour les générations d’aujourd’hui et futures, la bande dessinée y tient tout son rôle grâce aux coups de crayon et l’humanisme éclairée d’Émile Bravo. Décalée et ludique, elle permet aux jeunes de s’identifier à ses héros et aux adultes d’en apprendre plus sur de magnifiques résistants.

#Baptiste Le Guay