Sylvain Tesson, combat avec les fées (Equateurs)

[Conversation starter] Ecrivain-voyageur, les deux mots riment souvent avec imposteur, rappelle Thierry Dussard pas dans le cas de cet aventurier des steppes, à la fois marin et grimpeur, qui dans son dernier livre « Avec les fées » (Editions des Equateurs) enchante à nouveau ses lecteurs. Le choix de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes suscite cependant une polémique dont la vague déferle, mais sur laquelle l’auteur du « Petit traité sur l’immensité du monde » n’en finit pas de surfer. Notre « Jack London » est un écrivain engagé, dans le sens où l’on parle d’une course « engagée » dans les Alpes…

Hugo a eu sa bataille d’Hernani, Tesson son combat

« Avec les fées ». Mais avant de parler de la levée de boucliers contre le parrain du Printemps des poètes, du 9 au 25 mars plongeons dans son dernier livre paru aux Editions des Equateurs. Après avoir roulé sur la terre et marché dans le ciel, traqué le loup en Sibérie et la panthère au Tibet, passé « Un été avec » Homère et un autre avec Rimbaud, Sylvain Tesson s’est embarqué à bord d’un voilier blanc.

Sa croisière blanche trace un arc celtique, qui va du Finisterre espagnol aux îles du nord de l’Ecosse.

Le bourlingueur en chef de la littérature

Cap au nord, donc, avec pour seul but de « chercher les fées sur la côte atlantique », même si le bourlingueur en chef de la littérature déclare d’emblée : « Je ne crois pas à leur existence ».
Pourquoi partir, alors ?
Tout simplement pour fuir « un monde de machines et de banquiers », écrit-il, et aller à la rencontre du « poulpe, de l’étoile et de l’araignée ».  D’autant que sa vie a basculé dix ans auparavant, lorsqu’il est tombé d’un toit après s’être enivré d’alcools non appolinairiens.

Il s’agit d’invoquer et convoquer les fées, de guetter leur « réapparition », de se remettre en route et en danger, tant l’auteur est en quête d’une renaissance au seuil de la cinquantaine.

Cinq fractures du crâne plus tard

« Vivre, c’est s’en aller », clame l’écrivain des confins atlantiques. Non pas soigner le mal par le malt, breuvage qui lui est désormais interdit, mais « guérir sa pathologie du mouvement » par le voyage et l’écriture. Cinq fractures du crâne plus tard, il vit avec une « affreuse disgrâce du visage ». Au lieu de monnayer sa gueule cassée, à coups de conférences et d’émissions télé, Tesson préfère trouver son « antidote à toute situation ». Le bivouac entre copains, les quarts de nuit, et la compagnie des « peuples des promontoires », telle est sa thérapie. Le voici donc parti de Galice en Bretagne, et d’Irlande en Calédonie.

Où le regard s’élève, le monde s’embellît 

Toutes voiles dehors, escorté de deux compères Humann et Benoît, Tesson n’est pas né de la dernière risée, même si son pied et sa main aiment mieux la terre ferme et le rocher. L’érudit s’est par ailleurs lesté d’une « bibliothèque de licornes et de chevaliers ». Cela nous vaut un récit formidable, lardé de citations de Goethe à Yeats, en passant par Aragon : « La vie est une avoine, et le vent la traverse » fredonnait dans Brocéliande le poète des Yeux d’Elsa.
Le style tellurique de Tesson sait comme personne lire les paysages, lorsque « le soleil tiédissait le feldspath », ou quand « le gneiss retenait l’eau ». Il cultive l’aphorisme, « où le regard s’élève, le monde s’embellit », et multiplie les métaphores faisant faire au phare de la Vierge « les carreaux de la nuit ». Quitte à tomber parfois dans la facilité, en s’écriant « ils trépassent et je passe », au fond de la baie des Trépassés.

Aux parapets des Orcades et des Shetland

A la recherche des Celtes dans les rias galiciennes et les lochs écossais, ce qu’il appelle « la bande passante du baladin du monde occidental », Tesson reste sans illusion. « Le celtisme n’est pas chose sérieuse », dit-il, sciant la branche sur laquelle il faisait mine de grimper, en fustigeant la « celtomania » à l’instar de JMG Le Clézio.

Ni moussaillon, ni monchu, touristes des mers ou des montagnes, il prend plaisir à se moquer des « mères libérales », et des « clubs de voile pour enfants réussis ». Tout en rythmant chacune de ses escales de cigares marinés d’iode, et d’escapades en VTT.

« Le sentier breton, ce fil à couper l’heure » a disparu de l’horizon et le Connemara n’est plus qu’un souvenir dans son sillage, lorsque parvenu aux parapets des Orcades et des Shetland, il apprend la mort de la reine d’Angleterre.

L’inquisition se met en marche

« L’absence d’un mythe était notre malheur tricolore, à nous qui avions tué le mystère, lance-t-il, dans un couplet royaliste. Au nom de l’égalité, les Français s’étaient condamnés à ne pas connaître de vibration commune ».

Soudain, la croisière blanche prend l’allure d’une croisade. Tesson avait déjà donné le ton en foulant la tourbe et la bruyère irlandaise : « Les hommes doux se méfient de la brutalité du présent, n’accordent pas de foi à l’arrogance de l’avenir et regardent tout reflet du passé avec tendresse ».

Découvrant que cet « icône réactionnaire » avait été nommé parrain du Printemps des poètes, il n’en fallait pas plus pour déchaîner les foudres des censeurs. Une pétition des poètes dits ‘progressistes‘ sort dans Libération le 19 janvier, l’inquisition se met en marche.

Aveuglé par sa russophilie

Une première tête tombe, volontairement, celle de Sophie Nauleau, directrice artistique du Printemps des poètes, qui après avoir désigné Tesson choisit de démissionner. La gestion de l’événement, qui doit avoir lieu du 9 au 25 mars, est en effet fortement contestée en interne. Huit personnes sont parties en trois ans, et Sylvain Tesson fait les frais de ces dysfonctionnements, mais aussi de ses propres errances. Dans « Bérézina » (Guérin, 2015), il écrivait « nous rentrâmes en Biélorussie comme une lame de sabre russe dans le gras d’un Ukrainien ». Aveuglé par sa russophilie, il voyait en Vladimir Poutine un « rédempteur », avant de reconnaître lors d’un forum du Figaro, le 1er juillet dernier, « je me suis trompé de beaucoup ».
Mais le fond de l’affaire Tesson est ailleurs.

C’est notre Jack London

Ses héros sont les nageurs de combat du service Action, ou les soldats sans nom et sans peur de la Légion. Dans une France frileuse biberonnée au principe de précaution, cela passe mal.

Tesson est un écrivain engagé, dans le sens où l’on parle d’une course « engagée » dans les Alpes : on n’y fait pas demi-tour à la première difficulté. Il fait figure de facho pour ses détracteurs, en étant tout à la fois un écolo proche de la nature et des animaux, sachant allumer un feu sous la neige, passer un gué à la nage ou sur les épaules d’un ivrogne.

De surcroît, il a du succès. Cet écrivain de grand chemin qui vante les vertus de la solitude est partout, et ne craint pas de « descendre dans l’arène de la réalité ». Imposture, crient les bien-pensants de la culture. Toutes ces accusations sont « aberrantes et insultantes », répond celui qui se frotte malgré lui aux fées Carabosse du politiquement correct.
Lisez-le, tout simplement, c’est notre Jack London.

Thierry Dussard

Signaturemardi 6 février à la Librairie Compagnie, 58 rue des Écoles Paris V à 19 h

Pour aller plus loin 

« L’Energie vagabonde », de Sylvain Tesson (éd. Bouquins, 1418 p. 32€ +) : Cette anthologie contient les récits de ses voyages sur les routes du Nouveau et de l’Ancien Monde à pied, à cheval, à bicyclette, dans les piémonts du Caucase, les steppes de l’Asie centrale, les taïgas de Sibérie, les plaines de Mongolie et de Russie, et sur le plateau du Tibet. Ils sont complétés de reportages et de récits de promenades, bivouacs et ascensions « plus ou moins contrôlées » :

« En voyage, je vis, je respire, je cherche l’aventure. (…) L’énergie vagabonde, c’est la traversée de l’éphémère, perpétuellement renouvelé. L’énergie vagabonde consiste à faire moisson d’idées dans les collines inspirées. (…) Cette géographie a aimanté mon corps. Là-bas, les ciels aspirent le regard, les horizons reculent : on n’a pas de scrupules à tirer des bords en pareils parages !