The Penguin, de Lauren LeFranc anti-héros fascinant (série HBO Max)
Un spin off de « The Batman »
Diffusé depuis le 19 septembre 2024 sur HBO Max dont le dernier numéro fut présenté le 10 novembre, « The Penguin » est un spin-off de « The Batman », version Matt Reeves où il faisait de courtes apparitions. Déjà interprété par Colin Farrell, l’acteur grimé endosse le rôle de l’anti-héros à merveille, roublard sans scrupule pour mettre la main sur Gotham
Jouer sur les codes du film de maffia pour mieux renverser ceux des superhéros.
Une production brossant un Gotham lugubre et sordide
La ville de Batman nommée « Gotham » a toujours été inspirée de la Big Apple. Nous y retrouvons ainsi un New-York pluvieux souvent de nuit, lugubre et boueux, avec ses métros aériens, ses ponts et ses zones industrielles désaffectées. Ces décors déglingués contribuent beaucoup à une séduction vénéneuse de la série, nous entraînant dans une ambiance sordide miroir de la psyché du personnage principal.
Une affaire de cadrage.
La vue de Gotham dans The Batman est montrée par le haut tandis que celle du Pingouin part du bas, en contre plongée. Comme expliqué dans le making off, ce dernier regarde la ville vers le haut pour voir ce qu’il peut y a prendre.
Une métamorphose physique délirante
Pour se faufiler dans la peau du pingouin, une routine démentielle de maquillage transforme Colin Farrel en monstre. Un nez proéminent, une balafre en plein visage et des sourcils froncés pour lui donner un air menaçant. La plasticité du visage – dans tous les sens du terme – lui attribue des émotions comme la douleur, l’agressivité, la cruauté et la tristesse, renforcée par sa manière de parler est également unique: celle d’une voix graveleuse à l’accent italien, inspirée légèrement de James Gandolfini incarnant Tony Soprano, le mafieux du New Jersey de la série télévisée éponyme.
En plus de son visage, Ozwald Cob est surnommé « le pingouin » à cause de sa démarche boitante et ses épaules rigides.
Sa position sociale en fait aussi un méprisé, ce méprisable en rajoute en bassesse face aux Falcone, la famille mafieuse pour laquelle il se donne corps et âme en vain depuis des années. Mais Oz n’a pas l’intention d’en rester là ni pour décorer ni obéir servilement à la sulfureuse Sofia Falcone (Cristin Milioti). Bien au contraire.
Un portrait d’outsider par excellence
Le pingouin est le portrait craché d’un outsider, comme c’est le cas dans les films Batman, connu pour être un protagoniste dans le background mais rarement au centre de l’action. Avant de voler de ses propres ailes, il est le chauffeur et l’homme de main de la famille Falcone.
La série montre à quel point ce personnage toujours relayé au rang de second couteau est prêt à tout tenter pour gagner sa place. En effet, vu comme une brute peu habile par les autres, Oz est sous-estimé ce qui joue en sa faveur. Il paraît rustre, sauf qu’en réalité il va monter les deux familles mafieuses (les Falcone et les Maroni) les unes contre les autres afin de les affaiblir tour à tour.
De Joker à Pingouin
Dans la même veine que le Joker, le pingouin est un antihéros représentant les personnes subordonnées, souvent peu ou pas appréciées à leur juste valeur. Oz devient ainsi le porte-parole des personnes délaissées et marginales, ces gens de l’ombre comme il y en a partout.
Naturellement, cette position nourrit un sentiment de frustration énorme car ils ne se sentent pas considérées, leur donnant l’impression d’être un pion interchangeable qui ne compte jamais.
Une identification des ‘laissés pour compte’
Dans un monologue saisissant, Oz explique que chacune de ces personnes serait prêtes à tout pour noyer cette honte afin d’obtenir un minimum de reconnaissance et de se sentir exister. Un discours montrant qu’il a été blessé par la vie et qu’il s’est fabriqué une carapace de dur pour survivre.
Ce discours fait d’une certaine manière écho au discours d’un personnage sorti de l’univers Batman également, à savoir le Joker. Lorsque le terrifiant clown est invité sur un plateau télévisé, il admet avoir tué 3 personnes dans le métro. S’en suit toute une tirade où il explique subir le manque de considération et de courtoisie de chacun en disant : « Personne ne pense à ce que c’est d’être à la place de l’autre ». Qui ne s’est pas déjà senti rejeté ou moqué au moins une fois dans son existence ?
Intégrer le système
Evidemment, ce discours ne peut justifier ni ses meurtres ni ses exactions, mais il offre une éclairage circonstanciel aux motivations de sa violence représentant ainsi une menace pour la société.
A la différence du Joker qui est contre le système et n’a plus rien à perdre, Pinguin veut infiltrer le système et y prendre son dû.
Pour autant, les deux « anti héros » partagent chacun un ressentiment destructeur, celui d’être écrasé par un système les ignorant sauf si ces derniers prennent leur place par la force.
Une série DC loin du politiquement correct
La série est réussie pour de nombreuses raisons, en partie pour une excellente production où l’univers du pingouin est extrêmement réussi, des décors aux costumes, en passant par les effets spéciaux, la musique et le jeu des acteurs.
Au-delà de cette identité audiovisuelle prononcée, l’histoire devient de plus en plus intrigante et dérangeante, lui conférant un aspect tragique très bien amené.
Renverser le schéma manichéen au profit du méchant
Des films Joker à Pingouin, le point de vue du « méchant » s’extirpe d’une narration dédié aux héros positifs. Tous ces portraits dérangeants deviennent plus profonds et plus intéressants que ceux du héros standardisé positif. Il est passionnant de découvrir comment ces « antihéros » en sont arrivés là, livrant une vision de la société beaucoup plus critique et complexe. Tout en restant fidèle dernière gageure à l’esprit des Comics de DC, ce qui la rend efficace et si addictive à regarder.
The Penguin, série HBO, diffusée sur Max, de Lauren LeFranc, scénariste et directrice de la série
Avec Colin Farrell, Cristin Milioti, Rhenzy Feliz, Michael Kelly, Shohreh Aghdashloo, Deirdre O’Connell, Clancy Brown, James Madio, Scott Cohen, Michael Zegen, Carmen Ejogo, Theo Rossi