Théâtre : Britannicus, de Racine, mise en scène d'Olivier Mellor (L’Epée de Bois)
Le jeudi, vendredi, et samedi à 21h, Le dimanche à 16h30
Avec Marie Laure Boggio, Caroline Corme, Vincent do Cruzeiro, François Decayeux, Marie-Laure Desbordes, Hugues Delamarlière, Rémi Pous et Stephen Szekely
Avec une mise en scène engagée de Britannicus au Théâtre de l’Epée de Bois (Cartoucherie jusqu’au 29 mai 22), Olivier Mellor relève un double défi : revendiquer un théâtre populaire tout en respectant ses redoutables alexandrins, casser la scène frontale pour faire feu de tout média capable d’actualiser une intrigue qui touche le spectateur d’aujourd’hui. L’ambitieuse feuille de route fait triompher le verbe sans pour autant échapper à quelques facilités.
Prendre sa revange sur l’ennui du collège
A l’accueil le metteur en scène encourage le public découvrant le dispositif tri-frontal à se placer selon son goût – en face ou sur la scène – signalant que des vidéos seront projetées latéralement – ce qui explique que les rangs centraux aient été occultés. Il insiste aussi sur l’utilité de changer de siège à l’entracte. L’invitation de mobilité est en cohérence avec son ambition de (faire) changer de points de vue sur la mythique pièce de Racine en balayant d’abord tout découragement associé au pensum scolaire : « Nous, on estime que, même à l’époque de TikTok et de Netflix, tout le monde peut entendre et voir du Racine » revendique crânement le directeur de la Compagnie du Berger, et d’ajouter : « Britannicus c’est d’abord l’histoire d’un immense gâchis, du sacrifice de la jeunesse au profit de la folie politique des hommes qui me touche et résonne encore aujourd’hui. » Plutôt en résonnance avec l’actualité brulante d’aujourd’hui.
Au service de la modernité du texte
« Nous voulons faire de Britannicus un spectacle précis, avec une esthétique au service du texte, mais aussi au service de son bouleversement. » Le moins que le spectateur peut constater est qu’ Olivier Mellor ne ménage pas ses efforts pour « moderniser » la pièce, avec des bonheurs et quelques égarements.
Le décor minimal inscrit dans l’immense espace du Théâtre de l’Epée de Bois réduit à une unique structure de fer rappelle autant une entrée de (jeux) de Cirque que les portes du palais impérial ; un jeu de rideaux latéraux permet de transformer l’espace en bistrot, en alcôve, voir ring. Sur les voiles, comme sur des écrans latéraux, des vidéos projettent des représentations souvent chocs des héros du drame. Sauf que ce qui est revendiqué comme « de nouvelles fenêtres destinées à éclairer les enjeux de la pièce » convainc peu, voir distrait de l’essentiel, le verbe des acteurs.
Réussite enfin que cette intégration de la musique live et du chœur qui dope les scènes les plus paroxystiques – les musiciens devenant aussi les gardes qui ne cessent d’être mis à contribution pour surveiller, arrêter ou protéger les protagonistes de la tragédie racinienne. Enfin visuellement, les éclairages jouent avec les costumes cuir punk noir entre Mad Max et Game of Thrones des bourreaux, tranchent avec les kimonos teintées de rouges des victimes.
Coté langue, le bonheur est total
Les alexandrins sont parfaitement sertis dans la dramaturgie – et servis – grâce aux efforts de Julia de Gasquet qui permet à la troupe de leur donner une spontanéité efficace. Face à l’écrasante tragédie : Néron épris de Junie, l’amante de son frère Britannicus, profite de son pouvoir pour se libérer de l’influence d’une mère manipulatrice, et de se débarrasser de son frère. Sauf que le partis pris d’un Néron noir incarné Hugues Delamarlière tendance cuir, torse nu et bouffeur de chips confond crise d’ado et puissance, vulgarité et soif de pouvoir… L’ultra virilisé tendance cuir n’a pas de mal à circonvenir le fragile Vincent do Cruzeiro, trop léger, trop peu capable de retenir celle qui l’aime (Caroline Corme) pourtant sensible et attachante Junie. Passionnée, prête à toi pour protéger les siens, Marie Laure Boggio projette une Agrippine redoutable aussi monstrueuse que son roi. Enfin, les omniprésents conseillers, le sage Burrhus (Stephen Szekely) et le machiavélique Narcisse (Rémi Pons) jouent parfaitement leur partition, éteignant et soufflant sur les braises de la peur, de la trahison ou de la haine. L’innovation réussie dans ce torrent d’eaux sombres est l’ajout d’un chœur, incarné par François Decayeux dont la fonction de ‘fou’ du roi permet de libérer la tension.
Restituer le drame d’une jeunesse sacrifiée par ses aînés
« Au-delà de l’intrigue géopolitique et de l’histoire d’amour contrariée, Racine nous parle d’une jeunesse sacrifiée par ses aînés. » Les réflexions d’Olivier Mellor dans le très dense dossier pédagogique (avec notamment un arbre généalogique salutaire) disponible sur le site de la compagnie sont passionnantes Elles déclinent l’avertissement visionnaire d’Antoine Vitez que partage la Troupe : « Le théâtre va apparaître comme le lieu où on ne racontera pas des histoires, mais où on montrera des modèles d’existence, anciens ou possibles. » : « Racine invente un laboratoire de la langue, et étudie avec ses lecteurs les méandres de l’expression du désir chez ses personnages. éclaire Mellor. Car il ne s’agit sans doute que de cela : un désir fou, pour le pouvoir, pour l’autre, pour tout, qui anime chacun des protagonistes. »
Au final même s’il ne perçoit pas toutes les ambitions affichées, ou que certaines sont peu ou prou exploitées, le spectateur sort bousculé par la puissance intacte du verbe et la noirceur du drame qui s’est joué passionnément sous ses yeux.
En cela le pari de la troupe de la Compagnie du Berger est tenu haut le verbe. Chapeau les artistes !