Théâtre : Fin de partie, de Samuel Beckett, par Jacques Osinski (Théâtre de l’Atelier)

Jusqu’au 16 avril 2023. Du mardi au samedi à 19h, Le dimanche à 15h Théâtre de l’Atelier , 1 place Charles Dullin, 75018 Paris – Tél. : + 33 1 46 06 49 24 – billetterie@theatre-atelier.com

Mise en scène : Jacques Osinski, avec Denis Lavant (Clov), Frédéric Leidgens (Hamm), Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg)
Texte publié aux Éditions de Minuit

« Vous êtes sur terre, c’est sans remède ». D’emblée le metteur en scène Jacques Osinski met le spectateur au tempo crépusculaire de Fin de Partie, véritable brûlot jeté sur la société du bonheur. Dans la (deuxième) pièce de Samuel Beckett (1906-1989), le temps suspendu corrompt les âmes et devient un personnage du huis clos à lui tout seul. Créée en 1957, les personnages vieillissants remarquablement incarnés par un quatuor d’acteurs interpellent toujours Patricia de Figueiredo par la modernité des sujets abordés. Non sens de l’existence, catastrophe écologique, guerre mondiale, est-ce la fin du monde ou du théâtre ? au Théâtre de l’Atelier jusqu’au 16 avril 2023

Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski (Théâtre de l’Atelier) Photo Pierre Grosbois

L’infini du vide sera autour de toi,
tous les morts de tous les temps ressuscités ne le combleraient pas,
tu y seras comme un petit gravier, au milieu de la steppe.
Samuel Beckett, Fin de partie

Après plusieurs mises en scène des pièces de Beckett (Cap au pire, L’image, Words and Music) qu’il ne cesse d’interroger, Jacques Osinski aborde – comme on débarque sur une ile à la fois déconcertante et imprévisible,  Fin de Partie. Pièce selon lui la plus difficile de l’auteur irlandais naturalisé français, « Plus aboutie que Godot, moins rabâchée aussi peut- être »

Encore Beckett.
Tant qu’il reste en lui des choses que je ne comprends pas,
qui me sont obscures, étrangères, je crois que je peux le mettre en scène.
Jacques Osinski. Note d’intention

Frédéric Leidgens (Hamm), Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg) Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski (Théâtre de l’Atelier) Photo Pierre Grosbois

Pour réussir sa voie – comme on dit pour défier une montagne – le metteur en scène place littéralement son quatuor de grands acteurs, dans un décor de « petit théâtre » à multiples entrées.  Dans une direction d’acteurs, tirée au cordeau, souvent étouffante,  Frédéric Leidgens en tête, Peter Bonke, Claudine Delvaux et bien sûr Denis Lavant, nous entrainent dans un monde apocalyptique où les survivants ne sont plus que des fantômes d’eux-mêmes. Ils appliquent au souffle près la consigne du metteur en scène « trouver cette âpre douceur et une lucidité sans amertume ».
Autant dire, qu’au bord du gouffre,  l’air et l’humanité sont des éclairs rares.

C’est me poser la question du théâtre, retrouver le théâtre,
après m’être centré sur les mots et la musicalité :
Tout à coup, il faut voir les choses en grand.
Jacques Osinski. Note d’intention

De la vieillesse comme un théâtre de l’irrémédiable

Denis Lavant (Clov) et Frédéric Leidgens (Hamm) Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski (Théâtre de l’Atelier) Photo Pierre Grosbois

Quatre survivants habitent une maison quelque part entre mer et terre. Il y a Ham, l’aveugle cloué sur son fauteuil, superbement interprété par Frédéric Leidgens, tyrannique, donnant des ordres à son valet qui s’avère être son fils adoptif, Clov (Denis Lavant dont la formation de clown ressort dans son personnage) boiteux d’aspect maladif, il obéit aux caprices de Ham, jusqu’à quand. Il veut partir mais pour où ? Le fera-t-il ? Le duo se répond, chacun dans leur propre logique. Il y a aussi les parents de Ham amputés après un accident, coincés dans leurs tonneaux, qui réclament à manger, un peu d’attention, Ham négocie tout. La famille est le lieu où la haine peut s’exprimer mais ils sont liés les uns aux autres, ils forment un tout.

Rarement une pièce de théâtre n’a aussi lucidement et sobrement exposé les liens d’amour-haine
qui lient les membres d’une famille. Strindberg et Ibsen sont dépassés haut-la-main.
Jacques Osinski. Note d’intention

Le décor renforce ce sentiment de solitude, de dépouillement.

Le décor reflète la radicalité de Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski (Théâtre de l’Atelier) Photo Pierre Grosbois

Dans ce décor de bois – est-ce une arche refuge ou un cercueil ?, le verbe de Beckett sort haut et clair, les phrases courtes percutent le monde absurde, croque ou dévore l’homme inconséquent. Seule son parfait approvisionnement de l’antithéatre de Beckett, permet au metteur en scène de ne pas tomber dans le piège de l’absurdité, ici et là une présence humaine palpite, se bat contre le temps immobile qui s’enkyste dans l’incommunicable.

« Quelque chose suit son cours » même si rien ne change.  La routine s’embourbe dans un ennui poisseux où la mort guette « puisque toute la maison pue le cadavre ». Tout ici est exacerbé au fil du rasoir. C’est un infini recommencement de rien, comme dit Hamm: « La fin est dans le commencement et cependant on continue. »

Difficile de ne pas ressortir autrement que sonné ou grandi, écœuré ou (plus) lucide. La radicalité de Beckett reste intacte, insondable, irréductible. Le metteur en scène et ses quatre complices ont réussi paradoxalement à en capter la force et souligner la nécessite de garder coûte que coûte malgré l’apesanteur, une liberté de mouvement.

# Patricia de Figueiredo