Théâtre : Glenn, naissance d'un prodige de et mise en scène par Ivan Calbérac (Le Splendid)
Avec: Thomas Gendronneau, Josiane Stoleru, Bernard Malaka, Lison Pennec, Benoit Tachoires et Stéphane Roux,
Scénographie: Juliette Azoppardi et Jean-Benoît Thibaud – Lumières: Alban Sauvé – Vidéo: Nathalie Cabrol – Costumes: Bérengère Roland.
Comme tous les grands génies, le destin de Glenn Gould garde un immense mystère. S’en approcher constitue toujours un risque de se brûler les ailes. Avec Glenn, naissance d’un prodige, Ivan Calbérac (La dégustation) relève le défi en nous entraînant dans la jeunesse du pianiste, étouffée par une mère castratrice, jalonnée de névroses et de solitude. Sa pièce très musicale qu’il met aussi en scène se révèle être un moment de pur bonheur avec une distribution remarquable, tirée par Thomas Gendronneau littéralement habité par le fantasque personnage. Le succès, appuyé par deux Molières 2023 révélations féminine (Lison Pennec) et masculine (Thomas Gendronneau) est tel, qu’après au Petit Montparnasse, le spectacle se poursuit au Splendid jusqu’au 30 juin.
Une comète à la longue traîne d’émerveillements
« Il avait mal à la musique. La musique est affaire de corps« , écrivait Michel Schneider dans son Glenn Gould, piano solo (Gallimard) en soulignant que l’hypocondriaque devint « la mère de son propre corps ». Le « cas » Gould méritait un récit à la hauteur de son aura, quasi intacte depuis sa disparition le 4 octobre 1982.
Plus qu’un « biopic », c’est l’histoire d’un drame que j’ai voulu écrire, une tragédie familiale, shakespearienne, ou plus le temps passe, moins les êtres qui s’y débattent n’ont de chance de trouver ce bonheur qui leur échappe, et bien au contraire, plus ils courent vers leur perte, et leur disparition prématurée.
Ivan Calbérac
C’est ainsi qu’ Ivan Calbérac, auteur et metteur en scène présente sa pièce. L’auteur prolifique notamment de La Dégustation (actuellement au cinéma) tente un portrait de Glenn Gould (1932-1982), comète de la musique du XXe siècle. Le pianiste, compositeur, écrivain hors norme, signe un contrat avec CBS à 22 ans, et surprend le monde en 1955 avec son enregistrement des Variations Goldberg de Bach qu’il va rendre populaire. Il abandonne la scène en 1964 à 32 ans pour s’enfermer en studio pour créer une magistrale discographie. Emporté par un accident vasculaire cérébral, il décède en 1982 à 50 ans peu de temps après un ultime enregistrement des Variations Goldberg.
Glenn, naissance d’un prodige hypocondriaque
Doté de dons exceptionnel, à trois ans, il a déjà l’oreille absolue. Il devient le prolongement du piano de sa mère pianiste qui ne cessera de rêver pour lui d’un grand destin, et va s’employer à faire le vide autour de lui, notamment de sa cousine éprise de Glenn. La mère castratrice, incarnée magnifiquement par Josiane Stoléru, se révèle un monstre vorace couvant agressivement son enfant, l’empêchant de s’épanouir dans toute vie amicale et affective. Seule compte la musique et de veiller sans relâche sur son propre destin. Glenn devient peu à peu centré sur lui-même, sur son art et développe de nombreuses pathologies et TOC divers, créant un hypocondriaque compulsif.
Respectant une chronologie du drame, Ivan Calbérac forge une mise en scène clinique qui apporte de la clarté au récit. Elle est aussi enlevée et musicale, poétique par instants. La distribution est parfaite, outre l’impressionnant Thomas Gendronneau. Bernard Malaka joue un père incapable de contrer sa femme, Lison Pennec la très touchante cousine éprise et compréhensive, Benoit Tachoire l’agent artistique débonnaire et Stéphane Roux qui performe avec conviction plusieurs rôles dont un amusant journaliste canadien. « La direction d’acteur pendant les répétitions a été particulièrement musicale : travail sur le phrasé, le tempo, les silences, les respirations, l’agressivité » revendique le metteur en scène.
La musique est affaire de corps
Le spectateur le constate, se laisse facilement entrainer dans les entrelacs émotionnels et cette séduction contribue à ce spectacle très réussi. Il ne peut qu’être ému devant ce destin dramatique que résume bien Michel Schneider : « » Gould déclara un jour que la seule biographie qu’il aimerait qu’on écrive sur lui ne devrait pas relater faits et gestes, mais être un ouvrage de fiction, comme si on écrivait par exemple la vie de Sherlock Holmes. ».
Celui qui avait un rapport si particulier avec la musique en général, et le monde en particulier – la pièce en lève une partie du mystère – ne l’empêcha pas ni de marquer l’histoire de l’interprétation et ni celle de la musique enregistrée. Hissant les Variations Goldberg en tube planétaire.
#Patricia de Figueiredo
Pour aller plus loin : Ivan Calberac : « Glenn Gould a un destin fascinant« (Musique matin)