Théâtre : L’Ecole des Femmes, de Molière par Anthony Magnier [Lucernaire]
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Adaptation et Mise en scène d’Anthony Magnier avec Mickael Fasulo (Arnophle), Eva Dumont (Agnès et Georgette) en alternance avec Agathe Boudrières, Victorien Robert (Horace et Alain) en alternance avec Victorien Robert.
Bicentenaire Molière 22 oblige, les productions pullulent au plus grand plaisir des spectateurs. Surtout quand elles décoiffent tout en donnant sans artifice du crédit à leur modernité troublante. Celle de L’Ecole de Femmes par la Compagnie Viva dans l’adaptation décapante et la mise en scène ramassée d’Anthony Magnier est un bijou drôle, enlevé et très pertinente. Sans excès de grivoiserie, ou relecture.
Une adaptation virtuose du coté de la farce
Dans le théâtre privé, c’est désormais une habitude à la fois esthétique (retrouver la modernité) et (hélas) économique : les distributions sont ramassées au maximum, avec des acteurs incarnant plusieurs rôles, passant souvent des personnages à la trappe. Cette concentration sur l’intrigue principale autorise des décapages spectaculaires, parfois avec sorties de route et des points de vue engagés non sans risque de nombrilisme. Cette Ecole de femmes constitue une jolie réjouissance, délicate et riche en saveurs.
L’école des femmes, d’abord une école pour les hommes
Avec une prise de risque bien maitrisée, l’adaptation éclairée d’Anthony Magnier d’un des best of historique de Molière est un modèle du genre. Il signe un spectacle enlevé, drôle et donnant la part belle aux comédiens. L’école des femmes, devient ici une école pour les hommes, et principalement Arnolphe, obsédé par la peur d’être « cocufié » qui pour se rassurer cache et élève une enfant à sa main dans l’ignorance des hommes… Sauf que la belle poupée docile comme une automate mécanique, l’énigmatique Agnès découvre une autre vie, un autre corps, et le désir avec les charmes d’Horace… Lui aussi à beaucoup à apprendre, la patience et la prudence tant il confie trop naïvement son bonheur à un « ami » qui n’est autre qu’Arnolphe…Le portrait acide d’un schizophrène machiavélique
Dans un décor réduit à quelques murs, deux portes et un rideau de tulle, la mise en scène d’Anthony Magnier prend le parti du burlesque – multipliant les clins d’œil, de la commedia dell’arte aux cartoons américains – distillant les bouffées d’air et les vents contre le sinistre barbon, prêt à tout pour s’assurer un mariage pur. Avec une précision pathétique, Mickael Fasulo incarne cet Arnolphe aussi schizophrène que machiavélique. Le coté sombre du personnage est sans cesse gommé par ses désillusions, et son incapacité à convaincre « sa » jolie innocente (Eva Dumont) dont les découvertes des « charmes » de l’amour va rendre aussi rusée que courageuse.Ni pathos exacerbé, ni grivoiserie complaisante
On rit beaucoup des égarements de ce vieux barbon misogyne, complexé et impuissant à suturer la sève des jeunes gens. La force du spectacle est de rester léger. Il n’en rajoute ni dans le pathétique de l’enfermement au nom d’une masculinité dominante, ni ne tombe dans la facilité de la grivoiserie, si explicite à force d’allusions sur la découverte charnelle et l’épanouissement sexuel qui firent tant scandale à la création en 1662. Grâce au double jeu d’Eva Dumont et l’ingénuité de son amant, Victorien Robert – qui interprètent aussi les deux servants très benêts d’Arnolphe -, c’est la grâce qui l’emporte, cette confiance amoureuse qui prend le dessus sur tout risque de nouveau enfermement …
Nul besoin d’artifices pour faire ressortir l’actualité de ce texte
Si l’Ecole des Femmes compte parmi les pièces plus jouées, toute la précision de ce spectacle – bien troussé, sans fausse note, ni d’abus d’anachronisme – est de rebondir sur tous les ressorts du comique, offert par Molière : des retournements de situation au profit des amants, à la puissance de l’engagement politique sourdant des sous-entendus grivois qui affleurent sous les alexandrins toujours aussi disruptifs.
L’air de ne pas y toucher, – sans volonté de créer ou de répéter un scandale par l’outrance – la troupe du Viva remet en plein air la cause des femmes – enfermées, voilées ou abusées – par des monstres aux pieds d’argile et aux têtes suintantes d’inhumanité.
Au spectateur – et la salle était pleine de jeunes gens – d’en tirer par lui-même les transgressions qui s’imposent sur l’amour, l’émancipation, et le respect de l’aimé(e) .
#Olivier Olgan