Théâtre : Merteuil, de et avec Marjorie Frantz (Le Lucernaire)
Le défi de la suite
On peut toujours se demander s’il faut se risquer à une suite quand se frotter à l’un des monuments de la littérature française est toujours une prise de risque surtout quand il reste un sommet dans la cruauté des sentiments nourrie d’un érotisme mordant perdu désormais. De grands cinéastes n’ont pu résister à croquer dans le fruit vénéneux souvent avec bonheur, volonté de modernité ou pas : de Roger Vadim (1960) à Hur Jin-Hoi (2012) en passant Stephen Frears (1988) et Milos Forman (1989) sans oublier Roger Kumble (Sex intentions, 1999)
Crânement, Marjorie Frantz propose une suite qu’elle situe quinze ans après la déchéance et l’exil de la marquise de Merteuil à la suite à la mort de vicomte de Valmont, tué par Danceny, l’amant de sa victime, Cécile de Volanges. Une mystérieuse missive l’enjoint de se présenter à un rendez-vous dont elle ne sait ni la cause ni l’auteur. Elle y découvrir une Volanges, tout en rancœur et habité d’une impossible requête.
Les vertiges du libertinage
Commence en joute verbale sans concession qui brasse deux conceptions extrêmes de la condition féminine, l’une éprise de liberté fusse au prix de la solitude, l’autre cherchant le confort de l’amour conjugal et filial, l’indépendance ou le consentement, dans toutes les acceptions du rapport entre les sexes. Pour mieux garder toute la puissance des enjeux, autant psychologiques que sociaux, Marjorie Frantz a bien fait de garder le recul de l’époque, il permet de mieux brosser un spectacle en costumes toutes subtilités historiques et sociales.
Le boudoir des Lumières est un lieu de confidences et surtout de pouvoirs qui garde tout son aura de non-dits et de secrets intimes
Car c’est la force de sa langue actualisée et de la mise en scène subtile, malgré les pics et les tacles, il y a toujours une intrigue à dénouer. Le spectateur avance avec la quête de Merteuil pour comprendre ce que lui veut précisément Cécile au-delà de ses reproches du machiavélisme qu’elle a subi en étant jetée dans les bras de Valmont, et de sa quête broyée d’un amour sincère.
Duel d’honneur et de repenties
Le jeu de miroirs historiques et sociétales est virevoltant, avec de belles idées de mise en scène jusqu’à la chute finales des masques. A ce jeu de provocations et de confidences arrachées, les deux comédiennes font merveilles. Fier de son intelligence, et d’un passé qu’elle assume avec un orgueil un peu trop insistant pour ne pas être voilé d’ambiguïté, Marjorie Frantz incarne l’autorité d’une femme de tête, fier de son émancipation, ne lâche rien quand au pouvoir à porter de mains que les femmes peuvent assumer. Elle fait face ne supportant ni la victimisation de Cécile, ni le mystère que lui dissimule cette victime trop expiatoire à son gout. Chloé Berthier, un peu trop larmoyante comme oie blanche sacrifiée ‘victime collatérale’ recadre Merteuil, sait se ressaisir pour mieux tisser sa toile. Elle n’hésite à jouer de cruauté pour obtenir gain de cause, et quelle cause ! Nous n’en dirons pas plus.
N’oubliez jamais que lorsqu’une femme en combat une autre, l’issu est souvent fatale
Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Savoir jouer avec le feu
Le règlement de compte et des turpitudes a sonné. A vous de trancher pour déterminer qui est la victime dans ce conte cruel, liaison heureuse avec le soufre du roman de Laclos. Une liaison dangereuse «pour mieux la faire vivre».
du mardi au samedi 20h – Dimanches 17h, Lucernaire
53 Rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris – Tél. : +33 1 45 44 57 34