Culture

Tiina Itkonen, la photographe qui vient du froid (Les Pêcheries Fécamp & Persons Projects)

Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 7 novembre 2023

(Elles avaient osé) Photographe finlandaise, Tiina Itkonen joue presque à domicile lorsqu’elle documente le Groenland, Nikon en bandoulière. Alors que le Sommet des pôles se tenait à Paris le 8 novembre, et où elle expose à Paris Photo (galerie Persons Projects du 9 au 12 novembre 2023), Thierry Dussard est allé la rencontrer à Fécamp, où Les Pêcheries lui consacre une superbe exposition jusqu’au 8 janvier 2024.

Tiina Itkonen, ouvre son exposition Groenland au Musée de Fécamp, Les Pêcheries Photo Thierry Dussard

Faut-il être Finlandais, Russe, ou Scandinave pour parcourir le Groenland, la plus grande île du monde ?

Non, répondrait Jean Malaurie, l’auteur mythique des Derniers rois de Thulé (Plon, 1955), mais cela peut aider. Question d’acclimatation au froid, les voisins du cercle polaire partent avec de l’avance.
Née à Helsinki en 1968, Tiina Itkonen a ainsi 27 ans lorsqu’elle s’embarque pour ce territoire d’outre-mer associé à l’Union européenne, car danois.
Un désert boréal, de 56 000 habitants, sans compter les ours blancs.

Tiina Itkonen, Avigiaq, Groenland (Les Pêcheries Fécamp) Photo Tiina Itkonen

Voyage par 76 degrés de latitude nord.

Vous n’en verrez aucun dans l’exposition que lui consacre Les Pêcheries, le magnifique musée de Fécamp, en Haute-Normandie. Car la photographe finlandaise se garde de tout exotisme depuis 1995, et son premier voyage par 76 degrés de latitude nord, (pour mémoire, le pôle est à 90° N, et Paris à 48° N). Elle a en effet choisi de s’intéresser davantage aux Groenlandais et à leurs maisons, qu’aux ours blancs qui hantent comme des fantômes ses paysages grandioses. Cabanes abandonnées, ensevelies par la neige, ou perdues au bout d’un permafrost en train de fondre, leur désolation sonne l’alerte et nous alarme.

La beauté de ces blancs immaculés n’exclut donc pas une prise de conscience environnementale aigüe de la part de l’artiste.

Tiina Itkonen, Icefjord Illiussat, Groenland (Les Pêcheries Fécamp) Photo Tiina Itkonen

Le niveau des océans monterait de 7 mètres

A mes débuts, personne ne parlait de changement climatique, la mer était gelée dix mois par an, mais aujourd’hui la glace de mer ne tient que six mois, et alors qu’elle pouvait atteindre deux mètres d’épaisseur, elle ne mesure plus que 30 cm.
Tiina Itkonen

Si toute l’eau douce gelée du Groenland fondait, le niveau des mers et des océans augmenterait de 7 mètres. Rien d’étonnant si Tiina Itkonen, après avoir rencontré Jean Malaurie, le vieux jaseur boréal (qui aura 101 ans en décembre), travaille désormais avec des scientifiques des régions polaires.

Tiina Itkonen, Kullorsuak#2, Groenland (Les Pêcheries Fécamp) Photo Tiina Itkonen

Deux anoraks l’un sur l’autre

Parfois il fait si froid que je n’arrive pas à presser le bouton de mon Nikon Z7, avec lequel je réalise des vues panoramiques 
Tiina Itkonen

Histoire de rassurer le néophyte qui pourrait croire que l’on peut poser en transat sur la banquise. Sa photo d’Avigiaq, un Inughuit enfilant un second anorak montre à l’évidence que le Groenland reste une des régions où l’on enregistre les plus basses températures du monde (- 28°C en moyenne). Les Inughuit, qui habitent à l’extrême nord du Groenland, « du moins certains d’entre eux, ont ce pouvoir extraordinaire que nous avons perdu de voir l’imaginaire dans la matière », écrivait Jean Malaurie, dans la préface du livre que Tiina Itkonen leur a consacré (éd. Libris Oy, 2004).

Tiina Itkonen, Isortok #9, Groenland (Les Pêcheries Fécamp) Photo Tiina Itkonen

Derrière la beauté, une fragilité

Le vieux chasseur, Qaerngaaq qui pose aux côtés de sa femme Thresie dans un canapé, et les falaises de glace vive se dressant au-dessus d’une mer aux teintes plombées, deviennent sous nos yeux les témoignages d’un monde en train de disparaître.

Tiina Itkonen, Qaerngaaq & Thresie, Groenland (Les Pêcheries Fécamp) Photo Tiina Itkonen

Derrière la beauté des sites, sublimés par la lumière et la couleur que Tiina Itkonen sait si bien capter, se cache une fragilité et le réchauffement climatique à l’œuvre qui sollicitent notre réflexion.
Chantal et Gabriel Bauret, commissaires de l’ exposition, organisée dans le cadre de Lumières nordiques.

vue du port, Les Pêcheries, musée de Fécamp Photo Thierry Dussard

Un musée à hauteur de goélands

Les Pêcheries, musée de Fécamp Photo Thierry Dussard

Tout comme il existe des auteurs de polars polaires, Tiina Itkonen est diplômée de l’Université d’Aalto, et appartient à cette catégorie encore plus rare des spécialistes de la photo boréale, telle la Sibérienne Evgenia Arbugaeva (exposée à Paris Photo par la galerie In Camera, stand B07).

Mais c’est à Fécamp qu’il faut apprécier les 40 photos prises entre 2002 et 2019. Portraits et paysages trouvent toute leur dimension dans l’ancien port morutier, d’où sont partis les derniers grands voiliers au cours des années 1930. Ces Racleurs d’océan, racontés par Anita Conti, sont évoqués dans le très complet catalogue (15 €) édité par le musée, qu’il ne faut pas quitter sans monter sur la terrasse pour embrasser la vue sur le port et la Manche, à hauteur de goélands.

#Thierry Dussard

Pour suivre Tiina Itkonen

jusqu’au 12 novembre 2023, galerie Persons Projects, stand C2, Paris Photo, Grand Palais éphémère,

jusqu’au 8 janvier 2024, Tiina Itkonen, Groeland, Les Pêcheries, musée de Fécamp, 3 quai Jean Recher, Fécamp – Commissariat général : Gabriel Bauret & Chantal Bauret, association Lumières Nordiques

Persons Projects, Lindenstr. 34-35, 10969 Berlin

Le site de Tiina Itkonen

Tiina Itkonen, Anori – Silence of the Glacier, K1, Kämp Galleria, Mikonkatu 1, 00100 Helsinki

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