Culture

Tout un monde de cartes pour mieux habiter un monde sans boussole

Auteur :  Olivier Olgan
Article publié le 11 décembre 2020

Toute cartographie est une volonté de savoir et un émerveillement. Qu’elle dessine un continent réel ou imaginaire, elle donne perspectives. Quatre récits complémentaires très illustrés témoignent d’une transition de la géographie à la géohistoire : Une histoire du monde en 12 cartes, L’Atlas des mondes imaginaires, en passant par L’histoire de la représentation du monde et celle des Défricheurs du monde. Pour de stimulants voyages spatio-temporels.

Une histoire du monde en 12 cartes, Jerry Brotton, Flammarion

Aucune carte ne montrera jamais le monde tel qu’il est vraiment, revendique l’anglais Jerry Brotton. Le ton est donné. Et tout y est relatif ! Pour étayer ce paradoxe très british, l’auteur forge 12 courts récits très enlevés et très informés. Chacun est thématisé, de « la science » de Ptolémée, à « l’information » de Google Earth en passant par « L’argent » avec Joan Blaeu ou « la géopolitique » d’Halford Mackinder. Le sérieux de l’érudition s’affirme pour mieux étayer la thèse qu’une carte reste toujours une représentation subjective, attachée à des contextes de pouvoirs et surtout des enjeux sociétaux  très mouvants … dont les géographes (google earth compris) sont les prophètes. Stimulant.

Les Défricheurs du monde. Ces géographes qui ont dessiné la terre, Laurent Maréchaux, Le cherche midi

Forcément acteurs de savoirs transitoires, c’est à tous ces arpenteurs de terrains depuis l’Antiquité auxquels s’attache Laurent Maréchaux dans un beau livre très bien illustré. Pour leur rendre hommage, une magnifique galerie de portraits savoureux et une somptueuse iconographie est convoquée.
Et la lecture est jubilatoire tant la postérité ne semble bien injuste que ce soit our leurs efforts et leurs travaux.  C’est à Eratosthène, au III° siècle avant Jésus Christ, a qui on doit la première « géo-graphie « avec la preuve de la rotondité de la Terre et la mesure de sa circonférence. Las, des « planistes » ont encore pignon sur rue ! Si l’enseignement de la géographie s’est imposé depuis le XIXe grâce à tous ces héros , il reste encore manifestement beaucoup de pédagogie à faire, meme si le maniement des cartes de toutes sortes est un geste quotidien omniprésent !

L’Invention des continents et des océans. Histoire de la représentation du monde, de Christian Grataloup, Larousse

Ce qui passionne de Christian Grataloup auteur prolixe notamment de l’Atlas historique mondial (Les Arènes/L’Histoire), c’est l’historicité du découpage du monde, et la discipline qui la conceptualise, la « géohistoire ». Son héraut la définit dans le prolongement des travaux de Ferdinand Braudel, comme l’étude des représentations du monde dans une dynamique historiques.
Dans la nouvelle édition enrichie de ce livre de référence,  la carte le dispute à l’œuvre d’art, tant l’ambition de l’iconographie reste de représenter le monde.
Chaque « œuvre » de ces cartographes, c’est entendu, est un témoin de l’Histoire autant qu’elle fait l’Histoire. Ses métamorphoses constantes de l’espace, si la cartographie les saisit, seuls les récits les mettent en relief au sens propre et figuré.
Et dans la mise en scène de ce récit pluridisciplinaire, Christian Grataloup est un maître, autant culturelle qu’historique, il nous convie autant à la géostratégie qu’à l’ouverture d’esprit.

Atlas des mondes imaginaires. De l’île au trésor à la Terre du Milieu, sous la direction de Huw Lewis-Jones, E/P/A

Peu de choses ne séparent finalement les cartes des livres précédents de celles de cet étonnant « Atlas des mondes imaginaires » écrit sous la direction de Huw Lewis-Jones. Cet inventaire « des possibles plausibles » des écrivains constitue pour le lecteur un fabuleux voyage littéraire magnifiquement illustré. La cartographie ne cesse de questionner la fiction du Jardin d’Eden à l’Enfer de Dante. Plus proche de nous, la magie des Iles (du trésor de Robert-Louis Stevenson, ou mystérieuse de Jules Verne.

Les plus grands d’univers de fictions sont ainsi à l’appel (croqués par une vingtaine de contributeurs) où l’inventivité graphique le dispute à l’émerveillement narratif, et réciproquement. Comme sur les micro planètes que visitent le Petit Prince de Saint Exupéry, chacun s’agite, crée ou rêve ; la Razkavie de Philip Pullman, le père de La Croisée des mondes n’est pas loin de la Terre du Milieu de Tolkien. Sans oublier, Westeros de George R. R. Martin auteur du Trône de fer ou le royaume de Narnia d’Abi Elphinstone …
Fiction ou fantaisie, les frontières s’effacent puisque tout existe ! « Un puits sans fond d’idées nouvelles », ce que souligne Huw Lewis-Jones de la carte de l’étang de Walden d’ Henry David Thoreau, vaut pour chaque lecteur. Entre exaltation et méditation à savourer

Références bibliographiques

  • Une histoire du monde en 12 cartes, Jerry Brotton, Flammarion, 544 p. 26€
  • Les Défricheurs du monde. Ces géographes qui ont dessiné la terre, Laurent Maréchaux, Le cherche midi, 224 p, 38 €.
  • L’Invention des continents et des océans. Histoire de la représentation du monde, Christian Grataloup, Larousse, 256 p., 29,95 €.
  • Atlas des mondes imaginaires. De l’île au trésor à la Terre du Milieu, sous la direction de Huw Lewis-Jones, traduit de l’anglais par Simon Bertrand, E/P/A, 256 p., 35 €.

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