Une journée particulière, d’Ettore Scola, par Lilo Baur (Théâtre de l’Atelier)

On se souvient du couple incandescent, sensible, entre le désespoir et la lumière que formaient Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans « Une journée particulière », film de Ettoré Scola. Son scénario a été adapté pour le théâtre par Huguette Hatem et mis en scène par Lilo Baur au Théâtre de L’Atelier jusqu’au 31 décembre 2023. Laetitia Casta (Antonietta) et Roschdy Zem (Gabriele) relèvent le défi d’incarner cette rencontre explosive sur fond de fascisme menaçant.  Pour Patricia de Figueiredo, le passage à haut risque de l’écran à la scène est réussi,  et c’est déjà une performance en elle-même.

Un passage à la scène réussi

Adapté du scénario du film d’Ettore Scola, la pièce reprend la même configuration de l’appartement et de la cour de l’immeuble grâce à des jeux astucieux de paravents mobiles. Nous sommes à Rome le 6 mai 1938. Hitler doit rencontrer Mussolini lors d’un défilé qui symbolise pour les deux pays l’entente fasciste. Le mari d’Antonietta et ses six enfants vont au défilé. Elle reste seule dans l’appartement pour des tâches ménagères quand son perroquet s’échappe et atterrit sur le rebord de la fenêtre de son voisin qu’elle ne connait pas. En allant le rechercher, elle fait la rencontre de Gabriele, journaliste sportif qui vient d’être licencié à cause de son homosexualité.

Une journée particulière, d’Ettore Scola, mise en scène par Lilo Baur (Théâtre de l’Atelier) Photo Simon Gosselin

Débute alors « Une journée particulière » où ses deux êtres exclus de la société vont se découvrir, se confier puis s’aimer.

Quant au metteur en scène, aux comédiens et aux comédiennes, ils choisiront un parti parmi tous les partis possibles, qui se superposera au texte, aux prémisses dramaturgiques, en s’efforçant de constituer une unité organique. Cette œuvre est assez rayonnante pour accepter une telle polysémie, ou une addition de significations qui ne parviendront jamais à l’épuiser. » 
Huguette Hatem, adaptations et traduction

Le drame de la pièce, intemporel, interpelle toujours.

Même si dans nos sociétés, la condition des femmes et des homosexuels s’est largement améliorée, on ne peut s’empêcher de penser à d’autres pays où la stigmatisation voir le déni conduit à une répression aveugle. Où être femme ou homosexuel peut encore dans certains cas être synonyme d’emprisonnement ou de menace de mort.

Le douloureux contexte historique

Laetitia Casta et Roschdy Zem dans Une journée particulière, d’Ettore Scola, par Lilo Baur (Théâtre de l’Atelier) Photo Simon Gosselin

La mise en scène de Lilo Baur et la scénographie de Bruno de Lavenère nous plonge sans transition dans un contexte historique, âpre et désincarné,  la pression de la foule, de l’oppression, grâce à des projections d’images d’actualité ou de sons radiophoniques de l’époque. Face à l’étouffement brun, les symboles qui raccrochent à une humanité sont eux aussi importants, l’oiseau, le livre…

« … en la conduisant chez Gabriele, l’oiseau fait aussi apparaître un autre symbole : le livre. Gabriele offre à Antoniella le livre Les trois Mousquetaires avec une évidence déconcertante. Pour lui il est évident qu’elle le lira un jour. Pour elle, qui n’a jamais de temps à elle, c’est impossible. Mais elle ouvrira le livre, et le livre l’ouvrira. Ses pages seront ses ailes. Par ce livre et par cet oiseau, Antoniella ne sera plus la même. Elle aura goûté à la liberté » a
Lilo Baur, la metteure en scène et comédienne d’origine suisse

Remplacer Sophia Loren et Marcello Mastroianni.

Laetitia Casta et Roschdy Zem, dans Une journée particulière, d’Ettore Scola (Théâtre de l’Atelier) avec Photo Simon Gosselin (1)

C’est toujours une gageure et un risque pour tout comédien de se glisser dans une incarnation mythique, incandescente, sensible, entre le désespoir et la lumière. Laetitia Casta émouvante en femme tantôt soumise, tantôt révoltée, est toujours juste. Elle nous emporte dans sa situation d’épouse et mère qui n’ose pas rêver d’en sortir. Rochedy Zem, sobre, un poil trop peut-être, fait ressortir toutes les complexités du personnage. Joan Bellviure et Sandra Choquet complète cette belle distribution.
Un passage de l’écran à la scène réussi , c’est déjà une belle performance en elle-même.

 Après avoir vu cette pièce, il serait intéressant que le spectateur se demande ce qui, dans les circonstances actuelles, réalise encore un obstacle sur la voie des chemins de la liberté, celle où la femme et l’homme accèdent à leur plus authentique condition, à la conquête -même si elle est trop souvent sans lendemain – de la réelle indépendance ou mieux, d’une autonomie physique et morale.
Huguette Hatem

#Patricia de Figueiredo

Adaptation pour le théâtre Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari
Texte français Huguette Hatem, édité à L’avant-scène théâtre, dans la Collection des Quatre-vents, 2022
Mise en scène Lilo Baur Avec Laetitia Casta (Antonietta), Roschdy Zem (Gabriele) et Joan Bellviure (Emanuele), Sandra Choquet (La concierge)
Photographie Simon Gosselin