Vins & spirits
[œnologie] Le vin fait sa révolution pour Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 25 octobre 2021
A la fois serrée très documentée et serrée, l’ « enquête de terroirs » qu’ont mené Etienne Gingembre et Mohamed Najim sur les terroirs français aboutie à ce qu’ils appellent une ‘révolution viticole’.. Les deux compères passionnés d’œnologie ont confié leur premier interview à Singulars, pour la sortie de leur récit « Quand le vin fait sa révolution » (Ed. du Cerf)
Leur ‘roman’ de cette « révolution » vécu et raconté à hauteur d’hommes et de vignes s’accompagne d’une sélection après dégustations d’une centaine de vignerons qu’ils estiment comme « les dépositaires de notre patrimoine culturel et matériel, d’un petit morceau de France pas si négligeable que cela. »
Singulars : Dans votre récit, Quand le vin fait sa révolution (Ed du Cerf), comment s’est-elle produite sur le terrain ?
Mohamed Najim : C’est un alignement de planètes. D’abord une évolution des goûts chez les jeunes amateurs des années 1990, sous l’influence des vins de cépage du Nouveau Monde qui faisaient leur entrée sur le marché. Des bolées de fruits rouges, des arômes de fleurs blanches, de la fraicheur, de la gourmandise, de la volupté… C’est ça que se sont mis à exiger les jeunes. Ils ne voulaient plus de ces rouges durs, fermés, tanniques, et de ces blancs acides que nos régions leur proposaient.
Cela tombait bien, parce qu’une nouvelle génération de vignerons commençait à remplacer ses pairs et ses pères, ceux qui avaient pris la tête des domaines juste après la guerre. C’était une génération formée par les écoles et des universités aux sciences du vivant et à la chimie qui se substituait à la précédente, très souvent autodidacte. Et ces jeunes vigneronnes et vignerons voulaient eux aussi des vins de plaisir, d’émotion…
Etienne Gingembre : C’est alors que la rupture climatique est arrivée. Après 1987, on constate la disparition des automnes pourris. En même temps, les consultants Dany et Michel Rolland, massacrés à tort, nous semble-t-il, dans le film Mondovino, ont commencé à diffuser à Saint-Emilion et à Pomerol des techniques culturales qui permettaient d’obtenir de beaux raisins à maturité, comme l’effeuillage ou les vendanges vertes. Et puis une multitude de technologies ont débarqué dans les chais. Les caves poussiéreuses et délicieusement puantes ont peu à peu cédé la place à des chais semblables à des labos pharmaceutiques…
Tout changeait, tout arrivait en même temps, la viticulture entrait dans l’ère des technologies douces, la chimie reculait devant l’offensive de la culture raisonnée, du bio et de la biodynamie. Parce que la révolution, elle se soucie de naturel.
Avec le « retour des vins d’émotion » que vous documentez auprès d’une centaine de vignerons, nos bouteilles sont-elles vraiment devenues des « objets d’art »?
MJ : Ce ne sont pas des bouteilles uniques, mais chaque cuvée est un véritable travail d’artiste. Les jeunes alchimistes des terroirs ne sont pas seulement des sur-diplômés et des femmes savantes, qui ont parcouru les cinq continents de la viticulture et maitrisent les technologies, ce sont aussi des « nez » qui, comme chez les parfumeurs, créent des compositions, réussissent des assemblages. Ce sont des aventuriers, avides d’expériences, qui nous disent en Champagne, « tiens, on va planter cette petite parcelle en arbane », un cépage quasi-disparu, ou nous confient dans les Graves qu’ils élèvent trois hectolitres en amphore pour faire 400 bouteilles sans aucun ajout de bois…
EG : La vinification parcellaire a en effet envahi le paysage. Chacun s’applique à connaître intimement ses parcelles, jusqu’à identifier parfois la géologie d’un lopin de terre, d’une « sous-parcelle ». La Corse est l’un des vignobles les plus avancés dans cette approche. Sa géographie offre une grande variété de terroirs et de microclimats où l’on peut cultiver une myriade de cépages, dont certains, très anciens ou même oubliés, ont été arrachés au maquis. Cette infinité de combinaisons potentielles permet aux jeunes vignerons insulaires d’élaborer une large palette de rouges, de blancs, de rosés, de secs, de doux et de pétillants. Cette marqueterie préfigure la France de demain, quand des artistes des vignobles produiront des pépites dans tous les bassins ainsi que sur des terres jusque-là considérées comme impropres à la viticulture. A titre d’exemple, Gérard Samson vinifie cinq cuvées différentes sur ses terres normandes, à 25 kilomètres de Caen.
N’êtes-vous pas trop optimistes ou idéalistes sur ses « nouveaux vignerons » qui selon vous s’attachent à ce que chacune de leurs cuvées soit différente, unique, remarquable et recherchée pour ses qualités ? N’est-ce pas oublier un peu vite l’impact des foires aux vins et la surenchère ?
Etienne : Les nouveaux vignerons poussent tellement loin leurs expériences qu’ils en arrivent à sortir du cahier des charges de leur AOC pour se trouver contraints de vendre leurs cuvées en « vin de France ». C’est de plus en plus fréquent en Corse, dans la Loire et même à Bordeaux où Loïc Pasquet produit hors AOC mais dans les Graves le vin le plus cher du monde (30 000 euros la bouteille).
En général, ces cuvées d’exception sont minimalistes. Les quantités sont trop peu importantes pour intéresser la grande distribution…
MJ : Ce sont des vins pour les revues d’œnologies, des bouteilles qui se vendent le plus souvent au domaine, et à l’unité… Ces cuvées parcellaires représentent peut-être 10 % de la production d’une propriété. C’est les 90 % restants que commercialise la grande distribution. Parce que les grandes enseignes, comme le réseau très maillé des cavistes, joue un rôle fondamental dans notre révolution. On ne distribue plus du tout les vins comme avant. Les hypermarchés font des efforts considérables pour commercialiser une large palette de très bons vins, toute l’année, et pas seulement pendant les foires aux vins. Et il n’y a pas que Carrefour, Leclerc et les autres… Il y a aussi les sites de vente en ligne.
Tout le monde s’y retrouve : les consommateurs, les commerçants, les producteurs qui vendent de plus en plus en direct. C’est ça aussi, la révolution.
Propos recueillis le 24 octobre par Olivier Olgan
Lire la sélection régulière de Mohamed Najim & Etienne Gingembre de pépites de la révolution viticole.
En savoir plus
Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€,
et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion » lire sélection
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