10 (nouveaux) Beaux-livres 2024, le choc des images et le poids des mots

Si l’exercice est convenu à la veille de fêtes, une sélection de Beaux Livres – en complément des catalogues d’exposition – est un puissant aiguillon de curiosités autant pour le lecteur que le rédacteur ! Choisir une dizaine de titres dans la pléthore d’ouvrages édités pour l’occasion, c’est au-delà des images toujours magistrales, valider la pertinence du texte sur une thématique.
Cette année, Singular’s vous entraine dans la Grotte Chauvet et au cœur des Océans insolites, mais aussi dans le Ciel, à travers l’Histoire et le regard des peintres, Les Anges qui l’habitent, sans oublier les années charnières ‘1945’ et ‘1979’, La fabrique des rêves, Mondrian, L’Art Déco et Les Symboles dans la peinture… De quoi s’émerveiller et donner à voir!

Le poids des mots autant que le choc des photos. Si la formule est galvaudée, elle convient bien à notre confiance aux livres, loin des écrans et de la captation  de nos données personnelles. Lire ou offrir un Beaux Lives est dans le temps qui courent trop vite un acte de résistance et un partage de connaissances !

La Grotte Chauvet, de Carole Fritz (Citadelles Mazenod)

En attendant de vous rendre à l’exposition « Grotte Chauvet, l’aventure scientifique » de la Cité des sciences qui permet de suivre jusqu’au 11 mai 2025,  les pas de celles et ceux qui explorent la grotte depuis plus de vingt-cinq ans. Le récit de Carole Fritz (déjà auteure de la remarquable somme «  L’art de la préhistoire » aussi chez Citadelles Mazenod  et surtout les photos somptueuses qui l’accompagnent, fait le point sur les avancées considérables dans la compréhension de la grotte, de son contexte, des œuvres et de leurs auteurs (qui ont aussi permis la réalisation de l’espace de restitution Chauvet  2-Ardèche !)

Changer notre regard.

Au-delà de l’opportunité unique de s’attarder sur l’iconographie aux nombreux mystères, Carole Fritz rappelle aussi les enjeux de l’art ‘pré historique’ : l’art des grottes ornées n’a pas été immédiatement accepté par la communauté scientifique, puis cloisonnée. « Il serait pertinent désormais de le considérer comme une composante essentielle des arts premiers. » Son objectif est ici de proposer « une anthropologie sociale et culturelle de la cavité » ; elle brosse les comportements individuels et collectifs des groupes humains qui l’ont investie. Bien loin de stéréotypes ou des idées reçues.

Océans insolites : Voyage au cœur de phénomènes naturels extraordinaires, de Catherine Vadon (Edition Quae)

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » Dans un somptueux album magnifiquement illustré, Catherine Vadon et Michel Olagnon nous rappellent que notre fascination pour l’océan tient à son immensité, sa diversité et sa puissance. Mais ils vont au-delà de la surface pour nous faire découvrir et expliquer  «les phénomènes naturels extraordinaires» qu’il recèle (édition Quae) et qui défient l’imagination.
De la surface aux abysses les plus profondes, la vie marine s’adapte à des conditions extrêmes, donnant naissance à des créatures et des écosystèmes uniques. Il n’est que temps, d’en saisir la fragilité pour les préserver. Lire plus par Ghyslaine Moreau de Raymeront

Les Symboles dans la peinture, de Robert Bared (Hazan)

Qui n’a pas souhaité posséder les clés de lectures pour comprendre les figures et les signes qui se cachent dans la peinture occidentale si imprégnée de christianisme ?

Passeur confirmé et grand érudit, Robert Bared, déjà auteur de « L’art et le nombre«  est le guide idéal pour compendre la signification ou la portée des symboles, et établir les analogies pertinentes entre le visible et l’invisible. Son texte synthétique en regard d’une oeuvre bien choisie est dense et incisif. L’ouvrage (Hazan) volontairement synthétique apporte grâce à une mise en page fluide et thématique, les outils appropriés permettant de saisir tous les sens symboliques que les tableaux des grands maîtres recèlent. Lire plus par Olivier Olgan

La fabrique du rêve, Songe et représentation au seuil de la modernité, de Victor Stoichita (Hazan)

Si connaitre « les symboles de la peinture » peut être utile,  cela suffira pas à percer le mystère de la « Fabrique du rêve ». Si les interprétations comme les raisons d’un tableau permettent rapprochements érudits, hypothèses clairvoyantes, c’est toute la dynamique de l’histoire de l’art qui s’éveille. Réalité ou rêverie, illusion ou réalisme, entre l’art et le réve, les frontières sont poreuses et dépendent autant d’une intention que d’une projection.  Victor Stoichita nous entraine avec érudition et une stimulante iconographie aux confins du rendu pictural, entre onirique et tentatives de déchiffrement. L’ambition est immense, mais les pistes ouvertes passionnantes.

C’est d’amblée un toile de Pollock qui ouvre « comme l’abîme (et l’abyme) une possible histoire picturale du rêve » : « Chez Pollock, la représentation du rêve tourne autour de sa propre obscurité jusqu’au point où le sur-signifiant onirique devient in-signifiant. »
Au bout d’une magnifique déambulation, c’est « la ruse de Vermeer » la suspend. « Plié et déplié, le tapis vermeerien (ce tapis vermeerien de « La jeune fille endormie ») n’ex-plique pas. Ni rêve, ni tableau. Il les im-plique »

Entre les deux icones, s’enchaînent les questions et des pistes d’interprétations

Quels sont les enjeux d’une histoire (et d’une interprétation) diurne du nocturne ? À cette question fait suite immédiatement une deuxième. Quelles sont les pistes à suivre dans la constitution d’une histoire (et d’une interprétation) éveillée du rêve ? Et enfin, une troisième interrogation nous concerne de plus près, car ce livre ne se propose pas de parler directement de songes, mais de leur transposition visuelle, en l’occurrence de leur représentation picturale. Quels sont donc, au seuil de la modernité, ces défis ?

Avec une écriture dense parfois très chargée de concepts,  l’auteur multiplie les ouvertures poétiques dans cette ‘esthétique de la réception’. Cette « fabrique du rêve » n’est en fait qu’ «lieu d’indétermination » ou, mieux encore, un éclatant «lieu de surdétermination». Le sens du scénario onirique ne se trouve pas dans l’une ou dans l’autre de ses figures, mais dans le zigzag de sa grammaire. Dans son ondoiement. Dans son ressac. Elle les im-plique. Elle l’effleure, le suggère. L’ex-pliquer serait un leurre. »

Mais images et chemins faisant, la démarche est le voyage, tellement enrichissant dans ces contrées où l’art amplifie la vie.

Le style Art deco, Grands créateurs et collectionneurs, d’Alastair Duncan (Citadelles Mazenod)

Comment se définit le style Art déco ? S’il est difficile de répondre simplement à la question, d’autant qu’il se prolonge jusque dans les années 2000 !  Le spécialiste des arts décoratifs Alastair Duncan, auteur déjà d’une « encyclopédie des arts décoratifs », Art Déco » en 2010, aussi chez Citadelles Mazenod. revient à la charge avec une richesse iconographie, toujours pertinente.

Pour cerner le style d’un art total Il identifie les créateurs et ensembliers parisiens qui, avec leur clientèle, ont été les précurseurs du style Art déco (appelé à l’époque style moderne ou contemporain) avant le début de la Première Guerre mondiale. Les clients étaient presque exclusivement des sommités de l’industrie de la mode française mais ils ont été rejoints, au fil des années 1920, par des riches collectionneurs étrangers attirés par une décoration avant-gardiste.

Le regain d’intérêt que ce style a suscité chez une nouvelle génération de collectionneurs (Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent, …) dans la seconde moitié des années 1960, à l’époque où les historiens de l’art ont donné son nom définitif à ce style.

Une troisième génération d’aficionados ont constitué, dans les années 1980, 1990 et au début des années 2000, des collections exceptionnelles de meubles et objets Art déco. Ceux dont la provenance a pu être retracée jusqu’aux années 1920 et à leurs premiers propriétaires sont aujourd’hui considérés comme de véritables « étalons-or » du style Art déco.

Jean-Christophe Buisson (1945) & Brice Couturier (1979), historiens des années-charnières (Perrin)

2024 (ou 2025) sera-t-elle une année charnière ? Il faudra quelque recul pour s’en convaincre. A moins que deux journalistes historiens s’y consacrent à leur manière aiguisée à la fois encyclopédique et analytique, globale et culturelle. Après « 1969, année fatidique », Brice Couturier raconte « 1979, Le grand basculement du monde » (Perrin). Dans un album spectaculaire tant l’illustration choisie compte, Jean-Christophe Buisson, après « 1917, l’année qui a changé le monde » relate jour après jour « 1945 » (Perrin). Leurs chroniques entre deux mondes s’immergent dans les courants profonds et détectent bruits faibles, elles sont aussi instructives qu’éclairantes de notre présent, voir notre futur. Lire plus pour Olivier Olgan 

Le ciel des peintres, de Daniel Bergez (Citadelles Mazenod)

Après « L’Arbre dans la peinture », quoi de plus omniprésent que le ciel sur les toiles depuis que la peinture existe!  C’est même à cette surface éthérée qu’elle se fait connaître.
Très synthétiquement pour un livre de 200 pages magnifiquement illustré, « Le ciel des peintres », de Daniel Bergez (Citadelles Mazenod) nous entraine dans ce travail de la lumière, qui devient la matière première pour les plus grands peintres de l’ art occidental – et principalement français – du Moyen Âge chrétien jusqu’à l’époque contemporaine. Nous passons aussi de l’espace (du divin) à l’expérience (sensible) picturale. Lire plus par Olivier Olgan

Les Anges dans la peinture, de Laurent Bolard (Hazan)

Intermédiaires « entre Dieu siégeant au Ciel et les hommes qui vivent et souffrent sur terre », les anges relèvent de l’un et de l’autre, et ainsi sont-ils représentés dans l’art occidental. La religion chrétienne, spécialement catholique, les a particulièrement appréciés, leur conférant rôles et missions multiples. Au point qu’ils sont omniprésents dans la peinture jusqu’au XIXe.  Appuyée sur l’iconographie somptueuse, de Caravage à Gustave Moreau, « Les anges dans la peinture » de Laurent Bolard (Hazan)nous fait entrer dans leur intimité et leur rayonnement: ange de l’Annonciation, de l’Apocalypse, témoins de la Passion du Christ et de sa Résurrection… sans oublier de trancher sur leur genre. Lire plus par Olivier Olgan

L’Atlas historique du ciel, de Pierre Léna et Christian Grataloup (Les Arènes)

Après les best-sellers « Atlas historique mondial » puis « Atlas historique de la terre », le géohistorien Christian Grataloup et l’astronome Pierre Lénade nous font lever eux aussi vers « le haut », vers le « ciel des humains » (Editions les Arènes – Sciences et Avenir – La Recherche).
Leur « Atlas historique du ciel » souligne combien l’observation du cosmos et les découvertes astrophysiques qui en reculent limites façonnent l’histoire humaine en questionnements et notre regard en émerveillements. Avec cette plongée dans les savoirs célestes, vous ne regarderez plus confirme Olivier Olgan le cosmos de la même façon !. Lire plus par Olivier Olgan

Astres, Ce que l’art doit au cosmos, de Pascal Dethurens (Flammarion)

A l’infographie scientifique de l’ « Atlas historique du Ciel » répond la richesse d’illustrations artistiques issues de toutes les civilisations face à l’infini. Pascal Dethurens fait le récit de « Ce que l’art doit au cosmos » véritable témoignage de cette fascination pour la science des étoiles.

Des Grecques aux traditions japonaises, de Vermeer à Georgia O’Keeffe, en érudit Pascal Dethurens explore l’histoire de l’art à l’aune des « mystères » de la mécanique céleste en général, le soleil, la lune, les planètes et les évènements célestes (comètes et éclipses) par chapitres étayés, entre infini et sublime. Le professeur de littérature comparée à l’université de Strasbourg offre une plongée dans l’infini du Ciel et rend avec quelle majesté, hommage à la puissance de l’esprit face au vertige.

« Geste dérisoire que celui de cette main tendue, fait autant pour prolonger que pour protéger le regard. Mais geste sublime aussi, qui cherche à approcher de notre petitesse humaine la splendeur des cieux. »

Dans une iconographie et langue somptueuses,  « Astres » scrute l’Inextinguible besoin de l’humanité à voir plus loin que l’horizon et de le traduire en images. Depuis des millénaires, les artistes scrutent à en perdre la vue les cycles des sphères au-delà des étoiles, au-delà de la sidération, comblant ainsi le fossé entre le connu et l’inconnu, le visible et l’invisible.

Ainsi naît la beauté : faut-il rappeler que le mot « cosmos », en grec, signifie e ciel, bien sûr, mais aussi l’ordre, la parure et l’ornement ? Pythagore ne craignait pas de soutenir que la Terre, le Soleil et la Lune étaient des astres sphériques, dont la forme, parfaite, représentait la perfection des créations divines.

« Le  Ciel n’est que l’écran de nos rêves, le réceptacle de nos secrets. Les astres, dans ces conditions, sont comme des doubles de nous-mêmes : pas surprenant que nous les ayons imaginés habités, sinon par d’autres êtres humains, au moins par nos peurs, par nos fantasmes et nos souhaits. »

Sachons  à notre tour ressentir quelque chose de ce saisissement qui s’est emparé  des siècles depuis que l’on a demandé au regard de se porter plus loin que toute limite.

Mondrian, de Brigitte Léal (Citadelles Mazenod)

Qui a (encore) peur du rouge, du jaune et du bleu ?  A forcer de galvauder ou de réduire en « système » avec son apparente simplicité (trois couleurs et un jeu croisé de lignes et de plans) et son impact visuel immédiat, on perd de vue l’extraordinaire arborescence construite par Mondiran dont la variété surprend.

« Ses ramifications touchent tous les centres nerveux de la modernité, du divisionnisme au purisme en passant par le cubisme et le constructivisme » : Brigitte Léal réussit une double gageure dans cette somme Citadelles Mazenod, apporter de nouveaux éclairages sur le chantre du néoplasticisme dans sa globalité, depuis sa naissance aux Pays-Bas en 1872, jusqu’à sa mort, en 1944 à New York, en considérant que son « œuvre-monde » est entier et unique. Sans l’enfermer ni dans une querelle de clans (formalisme vs monolithisme), ni dans l’hermétisme trompeur de son monde tautologique. Elle revient notamment sur ses années de formation, ses ambitions plastiques pour imposer une plastique pure, « une beauté nouvelle »,, ses idéaux …

« Loin d’être un enchaînement de formules répétitives et lassantes autour de l’angle droit, ses nombreuses séries, parfois très courtes, se nourrissent de ruptures et de renouvellements constants, jusqu’à l’apothéose, celle de Victory Boogie Woogie, qui incarne aussi une victoire sur lui-même et sur son enfant roi, le néoplasticisme. »
Brigitte Léal

Combien plus riche et plus humain nous apparaît le nouveau portrait! Ce qui s’en dégage balayer les idées reçues sur son dogmatisme ou sa rigidité.

« La vérité de Mondrian ? Elle est tout entière dans sa fidélité à ses idéaux, sa pensée, ses écrits, son oeuvre »

Olivier Olgan