Exposition : Tempêtes et naufrages. De Vernet à Courbet (Musée de la Vie romantique)
Avis de tempête dans les sensibilités
La représentation de la tempête n’est pas une création propre du romantisme ; la présence d’un magnifique Rubens, Jonas jeté à l’eau (1618-1619) témoigne à la fois de l’inspiration biblique et de l’impuissance des hommes face aux éléments. La pertinence de l’exposition riche de plus de 80 œuvres est d’illustrer comme la tempête en constitue l’âme. Représenter la tempête c’est nourrir la métaphore puissante entre le déchainement de la nature et la tourmente intérieure de l’artiste et de la faire vivre sans filtre aux spectateurs : « Cette peinture de tempêtes puise ainsi tout à la fois au lyrisme romantique et à la précision atmosphérique, quais scientifique, afin d’émouvoir et de séduire le spectateur » rappelle Gaëlle Rio, commissaire de l’exposition et directrice du musée de la Vie romantique
« Le nuage dit en même temps l’état du ciel et celui de l’âme » Alain Corbin
En trois étapes : Aux sources de la représentation de la tempête – Le spectacle de la tempête en pleine mer – Après la tempête : épaves et naufragés, le parcours souligne et embrasse toutes les dimensions de la représentation du phénomène, et des ruptures qu’elles entrainent dans l’histoire des sensibilités.
Une rupture scientifique, comme l’a bien montré Alain Corbin dans Terre Incognita et dans un long entretien dans le catalogue ; les premières explications sur ces phénomènes naturels émergent après d’intenses travaux, de Howard sur les nuages en 1802 qui créent la science de la météorologie, mais pour l’essentiel, les contemporains ignoraient beaucoup de choses : « Qu’il s’agisse de sensibilité de l’âme ou de moi météorologique, le tempête reste un thème dont la beauté nos dépasse. » plaide l’historien des sensibilités.
Deuxième rupture, esthétique ; la représentation de la nature devient un spectacle, mais aussi une mise en abime de la nature : « La mer, par sa démesure et sa violence, fait écho, insiste Gaëlle Rio, la commissaire dans le catalogue, aux tourments intérieurs des artistes qui s’emparent des motifs de coups de vent, de nuages menaçants, de vagues se brisant sur des récifs, de navires en perdition et de personnages en danger afin de créer des mises en scène sublimes et dramatiques. Ce véritable spectacle des éléments déchaînés dévoile aussi toute une palette de sentiments exacerbés comme la terreur, le courage ou l’admiration devant la force et la beauté de la nature. » Le choix des œuvres ouvre aussi de belles perspectives ; aux incontournables (Joseph Vernet, Théodore Géricault, William Turner, Gustave Courbet) répond des réhabilitations ; Théodore Gudin, Eugène Isabey… et de belles surprises : Eugène Boudin et son élève Johan Barthold Jongkind.
Férue d’approches pluridisciplinaires et d’esthétiques variées, la commissaire n’oublie pas que le romantisme est un art total : « Imiter les sonorités de la tempête ne consiste pas en en reproduire les bruits mais à la reproduire en les analysant. De même que dans la peinture, les tourmentes musicales constituent les miroirs des affects qui agitent leurs héros. » L’essai du chef Clément Mao-Takacs Le libre esprit des tempêtes. Écrire en musique apporte un remarquable éclairage à cet enjeu; que le visiteur pour découvrir aussi à travers la balade sonore disponible (textes lus Guillaume Gallienne de la Comédie-Française) associe influences littéraires (de Diderot à Hugo) et musicales (de Beethoven à Wagner).
Enfin, la troisième rupture est psychologique car les artistes voient dans le tumulte de ces étendues d’eaux le miroir de leur angoisses les plus intimes « Cette expérience de la peur, engendre aussi la grandeur de la résistance : la mer en furie est sublime dans le sens om elle appelle à la force qui est en nous » Exaltation parfaitement condensée par Chateaubriand : « Les nuits passées au milieu des vagues, sur un vaisseau battu de la tempête, ne sont point stériles pour l’âme, car les nobles pensées naissent des grands spectacles. » (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811) ou Victor Hugo : « Que de cadavres sous ces plis sans fond ! […] Que de férocité impie dans le naufrage ! Quel affront à la providence ! » (Les Travailleurs de la mer, 1866)
« La nature certes, mais la nature vu au travers de l’homme et pas seule, en elle-même ou pour elle-même » écrit Barthélémy Jobert soulignant le magnétisme de la mer, en conclusion de son essai Géricault, Delacroix, Turner : au gré des tempêtes. Avec Théodore Gudin, Courbet, et Boudin, l’exposition montre aussi un tournant réaliste, où les marines cessent d’être selon le mot radical de Baudelaire, « des drames militaires qui se jouent sur l’eau ».