Comme si on gravait dans le miroir : Ra’anan Levy - Gravures (Dina Vierny)
du mardi au samedi de 11h à 19h.
Catalogue. Gravures, édité par la Galerie Dina Vierny, 2021, 160 p., 40€, préface de Maxime Préaud.
Après Judit Reigl, la galerie Dina Verny revient à Ra’anan Levy, artiste qu’elle suit fidèlement et pertinemment, dont les gravures creusent si obsessionnellement ses espaces rapprochés qui sont aussi les nôtres – intérieurs vides, bouches d’égout, portraits et autoportraits, livres, mains, miroirs – que finalement ce sont ceux-ci qui réfléchissent tout et notre regard avec.
Une des galeries à suivre
La galerie Dina Vierny a de la suite dans les idées et les œuvres, et c’est heureux, on se croirait reporté au temps tonique où l’art contemporain vous ouvrait l’œil et l’esprit plus souvent qu’à votre tour de galeries parisiennes.
Avec cette autre galerie « éveillante » (tiens, voilà un label à proposer) qu’est la galerie Laurentin sise à deux pas, 23 Quai Voltaire, 7ème, Dina Vierny exposait cet automne Judit Reigl qu’avait découverte André Breton, qui décidément sut voir au-delà de l’image surréaliste ; on peut en juger par le livret et le film toujours diffusés par ces deux galeries : les tableaux de cette artiste ont l’air abstrait, mais justement, par leur matière sauvagement subtile ils ont et ouvrent l’air, comme disait Mark Rothko, dernier grand abstrait : « L’abstraction ? Rien que du concret »…
C’est tout un travail, pour que la matière vous travaille
Voici ce qu’explique en connaissance historique de cause Maxime Préaud, conservateur et historien de l’estampe français, dans son essai « Un noir qui démange » en préface du catalogue : « Ra’anan Levy pratique une gravure physique, ne se contentant pas d’érafler le vernis avec sa pointe. Il attaque le métal avec une relative brutalité. […] Un accident par-ci, une taille manquée par-là, et c’est un nouvel espoir qui s’annonce. Si tout est préparé par des esquisses, des découpages, des collages, l’œuvre se crée dans le cuivre même, avant l’épreuve sur papier qui permettra la réflexion, les corrections, les nouveaux départs. »
Formé à bonne école d’observation
Il faut dire que Ra’anan Levy (né en 1954) est de ces artistes qui savent qu’on est d’autant plus libres de sa main et de son œil qu’on les a formés à bonne école, d’observation bien entendu. Le natif d’Israel a étudié à l’Accademia delle Belle Arti et le SantaReparata Graphic Center à Florence, puis à l’université hébraïque de Jérusalem. Il est ensuite résident à la Rijksakademie à Amsterdam pendant deux ans, puis obtient une bourse de la Fondation de France.
A la source de cette impressionnante formation, tout jeune il était fasciné par les gravures de Piranese, de Rembrandt dont il verra les originaux au cabinet des estampes de Jérusalem, avec des vrais noirs imprimés dans la chair de vrais papiers ; fascination aussi pour un proche aîné de Rembrandt, Hercules Segers, qui fut un des premiers conquérants de l’art du paysage.
Le paysage rapproché de ce contemporain
Nos perspectives sont beaucoup moins creusées depuis que le monde s’est rempli de l’industrie et du pullulement humains ; cela ne veut pas dire que nous n’avons plus le vertige d’infini. Les gravures de Ra’anan Levy creusent si obsessionnellement ses espaces rapprochés qui sont aussi les nôtres – intérieurs vides, bouches d’égout, portraits et autoportraits, livres, mains, miroirs – que finalement ce sont ceux-ci qui réfléchissent tout et notre regard avec.
Et là c’est fascinant, interrogation optique qui se présente sous nos yeux mais en même temps à perte de vue, visible la perte de vue !
Moyennant quoi, glisse son préfacier, « la mélancolie est comme une démangeaison de noir, qu’il faut gratter et gratter pour atteindre le blanc libérateur céleste. »