O mon bel inconnu, de Sacha Guitry, Reynaldo Hahn, par Émeline Bayart (Théâtre de l’Athénée)
Direction musicale : Samuel Jean, Orchestre des Frivolités Parisiennes
Mise en scène : Émeline Bayart, Décors et costumes : Anne-Sophie Grac, Lumières : Joël Fabing
« Ce spectacle enlevé exige des vrais comédiens-chanteurs » Jean-François Novelli nous avait prévenu – lui qui tient deux rôles – à l’occasion de son carnet de lecture, O mon bel inconnu, exige le maximum de ses interprètes. Il faut dire que ses deux auteurs y mettent le meilleur d’eux-mêmes : Sacha Guitry avec une pièce bourrée de bons mots et de situations vaudevillesques, et Reynaldo Hahn avec une musique raffinée et pétillante. Autant dire qu’il ne faut pas rater l’une des trois dernières représentations, ce week-end, les 14, 15 ou 16 sinon vous passerez à coté d’un petit joyau bien ciselé et bien servi par une troupe tonique et l’orchestre des frivolités parisiennes, qui porte bien son nom.
Il s’agit bien de fêter la comédie musicale, de lui offrir des couleurs élégamment
acidulées, de la chanter avec drôlerie, émotion et panache, et surtout de porter aux nues la
Joie qu’elle procure… Champagne !
Émeline Bayart, metteuse en scène et comédienne-chanteuse
Sauvons l’opérette
Reléguée dans les oubliettes de l’histoire par le mépris des amateurs de « grands » opéras, l’opérette a pourtant bien des atouts pour revenir au goût du jour : elle ne se prend au sérieux, ni du côté de la mise en scène, ni du côté de la fosse. Il ne s’agit pas ici de faire des ‘relectures’, mais de donner des couleurs à des œuvres négligées. Quand il n’ y a rien à perdre, la troupe peut se lancer sans peur ni reproche. et cela décoiffe. Les valeurs sont plutôt plus modernes que le grand répertoire, notamment avec la part belle donnée à des femmes aux caractères bien trempés, enfin ces envolées lyriques ludiques se montent artistiquement et économiquement dans des délais resserrés sans piocher de subventions publiques.
Dommage malheureusement, qu’elle ne se donne que trop peu, faute de confiance des programmateurs.
Ô mon bel Inconnu ! : titre évocateur… espoir d’un amour idéal ou idéalisé, chimère impalpable
et fantasme inavouable. Ô mon bel Inconnu ! ou les rêveries de trois promeneuses solitaires.
Émeline Bayart
Revitaliser une alchimie
Cette frilosité, l’opéra de Tours qu’il l’a crée en décembre et l’Athénée qui le soutient pour six représentations jusqu’au 16 avril ne la connaisse pas. Au contraire. Pour en assurer la réussite, il faut en donner aux auteurs, à la hauteur de leur talent, avec une troupe de comédiens chanteurs débridés et des musiciens solides et, au public pour leur argent, avec des décors soignés et une mise en scène, bien maitrisée et soignée mais qui libère tout le suc des situations !
Ringarde l’opérette ?
Certes l’ intrigue du vaudeville créée en 1933 est plutôt basique : un père de famille n’en peut plus des disputes entre sa femme, sa fille et sa bonne, aussi il rédige une petite annonce en poste restante pour trouver l’âme sœur… sauf que ce se sont les trois femmes qui lui répondent ! Pour se venger, il leur tend un piège dans une villa de rêves… ajouter le parfum élégant des Années folles, et une musique agile qui se fond dans les mots ou les réveille, en gomme les arêtes désuets pour aiguiser les angles comiques, …
et vous avez un cocktail tonique que la mise en scène d’Emilie Bayart secoue avec élégance à point.
Cette histoire merveilleusement drôle, où des membres d’une même famille se font la cour
sans le savoir en entretenant, par petites annonces interposées, une relation épistolaire,
c’est la préhistoire de Tinder. Inutile de moderniser, tout est déjà là…
Émeline Bayart
Une troupe réjouissante
Et c’est là que la magie opère grâce à une troupe de chanteurs comédiens, qui s’en donne à cœur joie pour donner du relief aux airs et du rire aux situations comiques, et grâce bien sûr à la direction malicieuse de Samuel Jean. Le chef fait des étincelles avec les Frivolités parisiennes, bien rodée à cette mécanique de précision exigée par l’opérette comme l’ensemble l’avait déjà prouvé avec Coup de roulis d’André Messager.
Si le vaudeville de Guitry ne permet pas la fantaisie décalée que Messager, la mise en scène de Émeline Bayart – qui incarne aussi l’espiègle bonne qui se fait passer pour une comtesse – revendique cette précieuse « authenticité exacerbée » propre aux opérettes et comédies musicales du XXe siècle. Elle surfe sur une certaine classe rêvée, celle du milieu social des années 30 dans laquelle elle évolue, celle des couleurs acidulées du décor et des costumes signés d’Anne-Sophie Grac et, enfin celle de Clémence Taquin, l’épouse qui garde toute sa dignité malgré la tentation …
Autour de ces deux femmes aux sensibilités si opposées, la gouaille d’un côté, la retenue de l’autre, navigue à vue un mari (Marc Labonnette) qui cherche à garder son autorité, le jeune amant (Jean- François Novelli) qui tente de forcer la porte de Madame, et la fille (Sheva Tehoval) en quête de liberté. La dynamique aussi bien incarnée est joyeuse, soignée, la fantaisie pétille tantôt dans les répliques, tantôt dans les airs. Le spectateur s’amuse et se dit que ce répertoire populaire nous réserve encore bien de bonnes surprises grâce à l’audace de musiciens de bonne volonté.
Et puisqu’il est souvent question de chapeaux, Chapeaux bas les artistes !
#Olivier Olgan
Distribution : Marc Labonnette (le mari Prosper), Clémence Tilquin (la mère Antoinette), Sheva Tehoval (Marie-Anne, la fille) Émeline Bayart (Félicie la bonne), Jean-François Novelli (Jean-Paul, l’amoureux transi / M. Victor, le loueur de la maison) , Victor Sicard (Claude) • Carl Ghazarossian (Hilarion Lallumette)