Voyages
Au cœur des bayous, une faune fascinante indomptable règne en maître sur un univers d'eau
Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 1 juin 2023
(Carnet d’horizons) « Vous ne savez pas ce que c’est que la chaleur tant que vous n’avez pas traversé le frontière entre le Texas et la Louisiane l’été. Vous ne pouvez pas trouver de mots pour la capturer. » (Toni Morrison) Au cœur de la Louisiane, à commencer par son nom même, on pourrait se croire entre Orléans et Vierzon ou aux abords de la Brenne. Mais dans une démesure insensée de la nature, Jean de Faultrier est pris dans un temps différent, un temps dont l’eau est la seule mesure et à travers lequel on joue à sauter d’un bayou à l’autre au gré des routes que toisent d’en haut de grands oiseaux noirs ou d’en bas de placide alligators.
Dans la brume limoneuse.
Ici, l’herbe jaillit de l’eau comme le diable d’une boite, elle s’élance accouplée aux lianes, aux troncs, et arrive avec eux à toucher le ciel. Tout est beau même le danger. La ville la plus proche ? Il n’y en a pas. Certes, il y a bien des noms sur la carte, comme Ville-Platte ou Broussard ou encore Lassalle et Poufette, mais on est loin de tout et on ne rencontrera pas les Martin, les Bréaux ou les Charlotte dont le nom s’est figé sur des panneaux décatis. Entre ces points, une eau limoneuse, des bras de rivières d’un lac à l’autre, des méandres ou des flaques exhalent des effluves âpres et capiteuses.
A la recherche de son reflet.
- Tout pourrait sembler paralysé, même le grand héron blanc qui se cherche dans son image. Pourtant, l’immobilité est trahie par des odeurs d’abord, en mouvement permanent elles sont une promenade à elles seules, par des froissements ensuite qui sont un langage que l’on ne connaît pas, par des souffles encore qui sont des inspirations à comprendre. L’air se fait discret, la nature est dans le moindre détail, rassurante et inquiétante à la fois.
Des arpents de marécage couvrent tout ce que le regard peut embrasser, cependant la condition de l’humain l’oblige à respecter la limite non pas de son regard mais de ce qui est tout proche de lui, devant lui-même. Comme la conversation qu’il surprend entre l’alligator et l’oiseau qui ont décidé ensemble de l’ignorer s’il consent à ne pas les défier. Alors, beau temps pour la pêche ?
- Il n’y a pas de sous-bois, seulement un au-dessus de l’eau. Avec des arbres, bien sûr, des sculptures qui s’accordent au temps qui les a façonnées et qui projettent avec la végétation vivante des ombres que contredisent les moirures à peine irisées du miroir qui sépare le visible de l’insu. Là, un arbre ne meurt jamais, il se dresse sur l’eau dans l’autre vie d’une effigie de l’avant.
Il ne faut pas se fier à l’apparence du lisse.
- Un arbre ne meurt jamais.
- Le jour s’étire avec la paresse apparente d’un reptile, un rayon de lumière plus que de soleil affleure la surface du bayou que protègent les troncs dressés comme des chevaliers initiés. Les senteurs sont près de céder la place à des émanations plus mystérieuses encore, celles que la nuit foisonnante va déployer pour tenir les imprudents éveillés. De larges cambrures horizontales charrient un limon qui fertilisera des rêves peuplés.
Dans une rumeur de cris et d’ailes, le soleil s’éloigne vers d’autres états comme vers un autre état de lui-même, durant toute cette journée il n’a été que l’hôte de l’eau et non l’inverse. - La lumière caresse l’eau qui frissonne.
- Le soir capture le soleil.
- Dans une déflagration de lumière, un nuage d’oiseaux part en éclats, jouant avec des irisations effrénées. Dans quelques instants, à peine les ténèbres installées, une armée de crapauds invisibles occuperont l’espace avec une multitude de concerts qui, chacun, trahit la présence d’une eau peuplée.
Toni Morrison disait : « Le voyage est ma maison ». Mile après mile on a parcouru des endroits téméraires sur le chemins des bayous mais on ne les a pas habités, on en a été l’hôte intermittent. Au final, ce sont eux qui nous hantent.
#Jean de Faultrier, Louisiane (Etats Unis d’Amérique), fin janvier.
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« Je rêvais de ces marécages brumeux, où la mousse espagnole flotte comme un linceul, je rêvais des yeux des reptiles entraperçus dans la mousse verte. Je rêvais aussi des immenses chênes de Virginie couverts de mousse espagnole, de toute cette végétation fantomatique, fascinante, du sud des Etats-Unis. » (extrait)
Pour s’y rendre :
De même que tous les chemins mènent à Rome, tous les avions vont aux Etats-Unis. Choisissons une entrée en matière symbolique, pourquoi pas la Nouvelle-Orléans ? De là, projetons un quadrilatère irrégulier dont un côté remonte jusqu’à Natchez, véritable joyau accroché au flan Est du Mississipi, une fois ce dernier traversé, direction Alexandria avant de redescendre jusqu’à Lafayette avant de rejoindre New-Orleans via Bâton-Rouge.
A l’épicentre de ce grossier carré, le Bayous est là pour nous prendre comme un sable mouvant.
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