Voyages

Ceci n’est pas une porte (III) : Des portes, sans en refermer aucune.

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 18 octobre 2023

Carnet d’horizonsPorte à Porte (III) « dès que la porte s’ouvrait, la magie de nouveau opérait » (Anne-Sophie Barreau). Romans et récits regorgent de ce qu’une porte cache ou révèle d’ensorcellements ou d’enchantements, parfois dès avant le seuil. Cette sensation que tout commence précède pour Jean de Faultrier le franchissement d’un seuil,  comme Gide le dit dans La Porte étroite : « Le cœur me battait fort en poussant la barrière du jardin. »

Portes flottantes

Il y a des portes battantes, parfois elles claquent. Il existe aussi des portes flottantes. Ainsi, au cœur d’une ville du Nord qui se donne des airs de bord de mer douillettement emboitée dans le creux de son archipel loin des vagues baltiques, un port se pare d’un encombrement d’embarcations hérissées de mille balustrades, antennes, cheminées et autres compléments saillants. Des vélos, des drapeaux, des mats, des bouées, le tout dans un bric-à-brac joyeusement tendu vers des cieux cléments, proposent une idée farfelue de la vie à bord. Ça peut sembler petit ou étroit pour y vivre, mais de l’intérieur, gageons que l’horizon a la taille d’un océan de rêves.

Franchir une de ces portes exigües c’est acquiescer à un état d’esprit : on n’entre pas, on est. Le pied marin n’est sans doute pas utile, un bon pull ou un caban feront l’affaire des sorties sur le pont. D’ailleurs, nul besoin d’initier un déplacement sur l’eau ou de se détacher du quai, le passage d’un bateau taxi fera ce qu’il faut pour lever un clapot qui rappellera opportunément que la terre est liquide ici.

Un balcon sur le vide.

Comme souvent, tout dépend du point de vue. De l’intérieur c’est une porte. De l’extérieur, c’est une fenêtre. On peut sortir par la porte, mais là il ne faut pas aller trop loin. On n’entre pas par une fenêtre, c’est pourtant ici le seul moyen de ne pas rester dehors. Ce pourrait être un balcon sur le vide, histoire de voir de toute hauteur ou d’être vu dans toute sa hauteur…

Catane. Photo Jean de Faultrier

Des armoiries estampent la façade avec un rapace étiré dont les ailes à la fois protectrices et altières anoblissent la demeure tout entière. Et ce sont là de belles traces de la vanité comme un miroir allégorique des incertitudes humaines qui subsistent encore quand les opulences somptuaires qui les ont engendrées se sont effacées dans les limbes d’une histoire âpre et filante. La hauteur des tours des bourgs de Toscane traduisait au Moyen-âge la richesse des marchands bâtisseurs, de ce point de vue rien n’a changé dans nos villes qui se targuent de gratter le ciel quand plus près du sol on s’étripe en jouant avec l’argent, le pétrole ou les conseils valorisés. Sous le soleil de Sicile, les ouvertures d’une demeure de cette sorte asseyaient autrefois l’ordonnancement des postures sociales ou représentatives qui y logeaient ou qui y officiaient ; le mystère du silence d’un quartier, l’incertitude du temps qui passe, ou ne passe pas, n’y change au fond plus grand-chose.

La rue en contrebas où déambulent les anonymes contemporains se veut ignorante d’un intérieur peut-être occulté, sans doute désaffecté, sinon couvert de vétusté. Drapant cette rue d’une ombre propice, le mur à l’appareil de simples briques exhibe encore le pilastre et le chapiteau qui, par leur soulignement distingué, assument le paraître qui fut indiscutablement éminent. Mais voilà, l’important n’est en fait pas tant de savoir que d’imaginer, se faire une idée c’est s’affranchir de la face évidente des choses et chercher dans les histoires qui circulent dans notre mémoire celle qui épousera idéalement l’apparence que nous contemplons.

Londres Photo Jean de Faultrier

Hello ? (Londres).

Londres conserve, avec une élégance qui n’est jamais de légende, des lieux qui permettent de s’isoler sans paradoxe aucun au milieu d’une rue passante et bruyante. Comme quoi l’isolement est plus une question d’humeur que de réalité physique. On appelle ça des cabines (red phone box), mais elles ont tout du château à commencer par leur porte faite d’une alliance distinguée de ferronnerie rouge et de carreaux de verre. Il est des portes plus hermétiques qui n’ont pas un tel maintien. Une fois franchie l’une ou l’autre des portes jumelles de ces boxes, reconnaissables avec l’évidence qu’impose la métamorphose d’un symbole, s’ouvre un espace immensément étroit débordant d’intimité. Tandis qu’un simple fil relie les quelques pouces-carrés de ce havre intemporel au reste du monde…

Tout est là, un musée d’histoire naturelle à l’arrière-plan, des grilles et de la verdure ou l’inverse, un anachronique rayon de soleil sous un ciel gris ainsi qu’un trottoir luisant d’une averse au goût de thé qui vient la laver les illusions de la veille. Des portes comme celles-ci ne se poussent pas, on les tire à soi, à l’heure où tout est portable ou mobile, il faut encore du muscle pour le faire, décidément, il n’y a rien de désuet ici.

Inveraray. Photo Jean de Faultrier

Une porte de perdition (Inveraray).

Rincées par des averses glacées et battues par les vents gaëliques, les façades d’une petite ville étirée le long de l’interminable Loch Fyne font en sorte de ne laisser entrer ni les premières ni les seconds. Mais l’étroitesse d’une porte de pub ne doit pas rebuter le passant, en lettres majuscules bien lisibles et flanquée d’un serveur statufié à la fois généreux et bienveillant, elles affichent un réel qui lui fait comprendre que la pousser sera le début d’un chemin, un chemin qui, de la désaltération à la perdition, ne dépendra que de son vouloir ou de ses faiblesses, de l’une à l’autre les heures passées feront la différence.

Un port laconique, une prison dérisoire et un puits dans lequel on lance des souhaits, définissent la bourgade sans exagération. Ceux qui s’y seront arrêtés la quitteront avec dans leur mémoire la silhouette du fantôme au parfum d’orge malté et de levures qu’ils auront croisé au fond de leur verre, un souvenir dans des vapeurs aussi fluides que l’eau du Loch qui agace le ciel en se jouant des gris qu’il profère.

Venise. Photo Jean de Faultrier

En guise de porte (Venise).

Il fallait marquer d’une frontière tangible le passage du solide au liquide, et la seule porte qui puisse endosser ce rôle est une grille. Elle sépare mais elle montre. Quitter le jardin bordé de pierres veinées ou arriver par le canal aux tonalités d’émeraude c’est, quel que soit le sens, passer d’un état à l’autre. La grille n’est là que pour freiner une ardeur qui pourrait s’avérer risquée, elle commence dans l’eau et se donne pour firmament une corniche marmoréenne, voilà une allégorie d’ambition.

La vraie marche est celle de l’onde, elle est le degré unique et odorant d’un escalier sans décompte comme une métaphore de perron.

Une porte occultante assurerait l’intime ou édulcorerait le péril, l’ouverture est ici démonstrative tant elle rappelle sans cesse l’étrangeté d’un voisinage d’éléments aussi différents l’un de l’autre. On ne tombera pas dans la rue, on s’y noiera…

#Jean de Faultrier

Plus de feuillets du Carnet d’horizons

Bibliographie en forme de clins d’œil

  • André Gide, La porte étroite : « Efforcez vous d’entrer par la porte étroite car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition et nombreux sont ceux qui y passent mais étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la Vie, et il en est peu qui les trouvent. (..) La tristesse est une complication. Jamais je ne chercherais à analyser mon bonheur. »
  • B.A ParisDerrière les portes ! . « J’entends le cliquetis de la clé dans la serrure et, quelques minutes plus tard, le ronronnement des volets qui descendent, précaution supplémentaire contre l’improbable éventualité que je trouve une façon de franchir la porte verrouillée et que je gagne le vestibule, au rez-de-chaussée. Mes oreilles, désormais habituées à repérer le plus ténu des sons, puisqu’il n’y en a aucun ici, ni musique, ni télévision, susceptibles de les stimuler, captent le bourdonnement du grand portail noir extérieur, puis le chuintement des pneus sur le gravier. « 
  • John ConnollyLes portes. : « Quelque part se trouvaient aussi le Mal et tout ce qui le provoque, tout ce qui amène des êtres humains ordinaires sensés à se faire souffrir les uns les autres. Il y en a un peu en chacun de nous et le mieux que nous puissions faire est de ne pas le laisser gouverner trop souvent nos actions. »
  • Magda Szabo, La Porte : « Si tu l’as respectes, Chouchou t’aidera jusqu’à ton dernier jour, parce que tu ne pourras pas la mettre en danger. Elle n’a ni secret ni porte, et si elle a une un jour, il n’y a pas un chant de sirène qui la lui fera ouvrir à qui que ce soit. « 

ou en beaux livres

  • Jean-Marc LarbodièreLes plus belles portes de Paris, Massin 2008.
  • Claude Abron, Portes de Paris, Editions Vial , 2000

Pour la musique…

  • Les Doors, bien sûr !

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