(Seul en scène) Gargantua, de Rabelais, par Pierre-Olivier Mornas (Théâtre de Poche Montparnasse)
Ne vous scandalisez pas : Il ne contient ni mal ni infection. Il est vrai qu’ici vous n’apprendrez que peu de perfection, sinon sur le rire.
François Rabelais, extrait du Prologue de Gargantua
Que pouvions -nous comprendre ?
Il fallait oser la forme théâtrale du seul en scène, à la fois si proche de nos cours d’antan pour ceux qui ont eu la chance d’avoir un professeur de la trempe de Pierre Olivier Mornas, et si éloigné de la réalité d’un cours de français, où l’inflexion grammaticale compte plus que l’enjeu humaniste.
Reconnaissons-le, encore plus que Corneille, Flaubert, ou Rimbaud, étudiés par chance plus « proche » du bac, Rabelais ne se dépare rarement de cours barbants, où nous rions de son vocabulaire coloré, charriant gros mots et scatologie rigolote. Il restait à distance de notre conscience, pire de notre réalité d’adolescent tout empêtré des explications lexicales type l’onomastique assénées sans recul. Sommes nous toujours capable de comprendre que l’appétit « énorme » de Gargantua est à la hauteur de celui de vérité, de savoir et de liberté promus si vertement par Rabelais.
Ce qui lui importe c’est l’attention de son auditoire, quel qu’il soit : « il faut interpréter à plus haut sens ce que hasard vous croyiez dit de gaieté de cœur », prévient-il
Pierre-Olivier Mornas
Retour vers le futur
Certes nous avons vaguement retenu l’adresse « Fais ce que tu voudras » inscrit sur le fronton d’une Thelem si éloignée de fait de celui de notre école qui joue davantage du par cœur que de l’intelligence. Que comprenions vraiment de cette utopie humaniste, que la liberté d’apprendre est le terreau d’une société fraternelle…. Désormais l’injonction du « vivre ensemble » tente de se rappeler à nos individualités, passant le verbe de chair qui habitait l’utopie par perte et profit.
Le livre s’achève sur un regard du père sur son fils : Grandgousier assiste à l’accomplissement de Gargantua sous ses yeux, et nous à la révélation d’une personnalité superbe, un géant de l’âme et de l’esprit, doué d’intelligence, de tolérance, d’amour, de courage et de clairvoyance.
Pierre-Olivier Mornas
Reviens Rabelais, ils sont devenus fous
Il fallait oser. L’acteur adaptateur, ou réciproquement tant tout dans ce conte à rebonds (personnages, situations, énumérations) exige une incarnation totale. Pierre-Olivier Mornas prend tous les risques pour dépoussiérer nos souvenirs, raviver la puissance d’un texte aux dimensions éthiques et humanistes aussi que exponentielles que celle de son héros, mais surtout il fait vivre un verbe. Par ses humeurs, ses voix et sa gourmandise. Et rappelle que loin de ces philosophies aseptisées, c’est dans l’exubérance charnelle des mots que se transmet la leçon de vie.
Joyeux et solaire
Inutile d’aller plus loin pour conseiller cette parenthèse de plaisir théâtral ! La sobriété de la mise en scène d’Anne-Bourgeois à l’unisson permet toutes les audaces à l’interprète pour de capter l’attention du spectateur pourtant charrié plus d’une heure durant dans un flow nourrissant de rires et de sens, « un déferlement de langage qui passe la barrière des siècles » pour la metteure en scène. La musique est omniprésente – subtile presque inaudible de François Peyrony mais elle accompagne le récit – presque inutile tant les tonalités des mots et des voix des protagonistes bercent le spectateur
« Vivez joyeux ! » nous exhorte-t-il à faire. S’il y a une raison pour laquelle ce texte me bouleverse, c’est pour ce message.
Pierre-Olivier Mornas
Il fallait oser pour combler – et c’est la promesse tenue du théâtre de Poche – autant notre soif de vie incarnée que de « nourritures terrestres » pour reprendre le joli mot d’André Gide, auteur lui aussi qui mérite de sortir du scolaire pour l’appel à une « sensualité absolue » contre les conventions de tout poil.
#Olivier Olgan
jusqu’au 3 mars 2025, les lundis à 21h, Théâtre de Poche Montparnasse, 75 Bd du Montparnasse, 7500 – Réservation