Faut-il aller voir Megalopolis, une fable de Francis Ford Coppola ?
Loin tous les qualificatifs négatifs colportés depuis sa projection au dernier festival de Cannes, Megalopolis, de Francis Ford Coppola est un ogre cinématographique d’une éblouissante de virtuosité. Calisto Dobson revendique la portée de cette virtuosité narrative dérangeante. Il faudra du temps pour qu’enfin, Megalopolis soit reconnu comme une grande œuvre cinématographique au sens propre du terme. Il est encore temps de découvrir ce magnum opus en salles.
Le malentendu de Cannes ?
Lorsque la dernière folie en date de Francis Ford Coppola est projetée en compétition au Festival de Cannes le 16 mai 2024, l’attente avait été considérable. Ce désir légitime s’est retourné contre lui.
Le premier réalisateur à obtenir deux Palmes d’or n’a plus donné de nouvelles depuis plus d’une douzaine d’années. Et nous ne pouvons pas dire que ses dernières réalisations – bien qu’il n’y ait eu rien d’indigne L’Homme sans âge, (2007), Tetro (2009) et Twixt (2012) tout en bénéficiant d’avis obligeants – n’aient marqué loin s’en faut le landerneau cinématographique.
Quant au box office, il faut remonter à 1992 et son Dracula pour trouver un succès digne de ce nom dans sa filmographie. C’est dire si le microcosme cinématographique piaffait.
Surtout que son nouveau projet Megalopolis, ne serait-ce que par son titre, annoncé à grands renforts de qualificatifs tonitruants, comme étant l’œuvre de sa vie, a fait bouillir les expectations. Coppola lui-même aurait patienter 40 ans avant d’être en mesure de se lancer dans cette réalisation.
L’ attente exacerbée a créé la bulle médiatique
Pour la grande majorité des privilégiés qui assistent à l’avant-première cannoise, c’est la douche froide. Au travers de la bulle médiatique consacrée au Festival, les jugements à l’emporte-pièce fusent : baudruche, toile boursouflée, déception abyssale etc., j’en passe et des meilleurs. Surtout qu’une fois le palmarès dévoilé, le film repart bredouille. Sans aucune acrimonie, permettez-moi d’ajouter que de la part d’une présidente de jury, réalisatrice d’une nébuleuse rose bonbon lénifiante consacrée à un jouet en forme de mannequin, cela n’a rien de surprenant.
Il est temps de remettre les pendules à l’heure et d’expliquer en quoi Megalopolis est une grande œuvre cinématographique au sens propre du terme.
Ne pas se tromper de film
Michel Ciment, le regretté critique de cinéma, pilier du magazine Positif, disparu il y aura un an dans quelques semaines, avait établi ce qu’il appelait les 7 règles que peut avoir un bon critique. Sans m’étendre sur le sujet, en guise d’introduction, il mentionnait ce qu’à son avis il ne faut surtout pas faire, je cite : << Désirer un film qui n’est pas celui qu’a voulu son auteur. C’est-à-dire que le critique parle d’un autre film, celui qu’il aurait aimé voir ou qu’il aurait aimé faire. Il faut juger une œuvre vis-à-vis de son ambition à elle, et estimer si elle est réussie ou non. Mais ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est parler d’un film qui n’existe pas ailleurs que dans la tête du critique.
Billy Wilder disait : “ On ne va pas reprocher à Johann Strauss de ne pas avoir composé la 7ème Symphonie de Beethoven. “ >>
Cette approche critique me semble bien illustrer une part de l’incompréhension qui accompagne Megalopolis depuis sa sortie.
Une fable d’un grand moraliste
Le carton façon générique des temps du cinéma muet qui ouvre le film sous le titre Megalopolis, annonce qu’il s’agit d’une FABLE : récit allégorique dont l’on tire une morale. Ce qui mesure la taille de la mésentente du public qui au sortir d’une salle peut commenter en ces termes : “ Il y a longtemps que je n’ai pas vu un navet pareil… “
Comment imaginer qu’un cinéaste qui a failli donner sa vie pour un film, Apocalypse Now, peut sortir 120 millions de dollars de sa propre poche sans sourciller afin de pondre un navet.
Mégalo Coppola ? Répondre à la question c’est déjà renoncer à comprendre ses intentions.
Une toile éblouissante de virtuosité
Avec Megalopolis, Coppola déploie une toile éblouissante de virtuosité qui sous la forme d’une dystopie allégorique pointe du doigt notre époque. Il use de toute sa maestria et sa maîtrise de la technique cinématographique d’aujourd’hui pour représenter la folie de l’abondance d’images, d’informations, qui innervent nos quotidiens saturés de sollicitations. Et qui à quel point nous induisent en erreur.
Il nous alerte et nous rappelle que “nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves et notre petite vie est entourée de sommeil” (William Shakespeare La Tempête).
Se laisser emporter par le maelstrom narratif
Malgré ou à cause de tout ce qui nous donne le sentiment que le monde s’effondre et que nous n’en avons plus pour très longtemps, il nous enjoint à faire preuve d’optimisme.
Son héros, capable de stopper le temps, idéaliste de génie, est le magicien qui, à l’inverse du Joueur de flûte de Hamelin, nous entraîne à sa suite vers une humanité renouvelée, apaisée. Qui aurait enfin compris que son intérêt réside dans un renoncement, celui de la domination.
Il faudra du temps pour qu’enfin, Megalopolis soit reconnu comme le magnum opus qu’il mérite d’être.
Coppola a sans doute commis le péché de la virtuosité narrative, celle qui dans la tempête fait en sorte d’appliquer la sentence de Victor Hugo : “la forme c’est le fond qui remonte à la surface.” Le maelstrom narratif et sa mise en scène baroque feront que la réputation de ce film prendra de l’ampleur pour devenir un classique incompris.
En son temps, Apocalypse Now en dépit de sa Palme d’or ex aequo avec Le Tambour de Volker Schlöndorf, et de Françoise Sagan la présidente du jury qui n’aimait pas le film, avait reçu un accueil tout autant mitigé voire franchement négatif. Vous connaissez la suite. Il s’agit de l’un des plus grands films de guerre de tous les temps.
Il existe des avis qui ont encensés Megalopolis. Vous l’avez compris je m’y associe sans réserve.
avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, Talia Shire. 138 mn