Culture
Max Jacob, le cubisme fantasque, aux 1000 facettes paradoxales (MAM Céret - Lienart)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 25 novembre 2024
« Je suis un poteau indicateur, c’est ma mission » Des confidences complexes ou saillies fantaisistes, Max Jacob (1876-1944) en a écrit beaucoup, brouillant les pistes et les identités, multipliant les paradoxes, mêlant une recherche artistique et mystique incessante au point qu’il reste une énigme ! À l’occasion des 80 ans de sa déportation et assassinat en 1944, le MAM de Céret jusqu’au 1er décembre 24 et les éditions Lienart renouvellent pour Olivier Olgan le regard sur le poète-artiste à la croisée de toutes les avant-gardes des années 1910 et 1930 et l’univers cubiste, en particulier compte tenu de sa proximité avec Picasso, notamment à Céret entre avril et juin 1913.
La musique, la danse, le cirque, le cinéma et le théâtre, l’amour, le côté imprévisible de la vie et la foi : tout sert à nourrir une imagination débordante, comique et tragique.
Hermeline Malherbe Présidente du musée d’art moderne de Céret
Un saltimbanque des mots et des formes jonglant sur un fil
Que de facettes qui cachent la vérité d’un homme ! A la fois poète et peintre, juif chrétien, catholique juif, juif breton, critique mondain, artiste saltimbanque toujours sur un fil, et pauvre comme les plus pauvres, observateur lucide, surtout dans ses nombreux ouvrages de prose, des mœurs, des travers et des ridicules, mais aussi le plus humble des hommes, son intérêt précoce pour l’ésotérisme, de même que son homosexualité cachée, Max Jacob continue d’interroger.
L’exposition et le catalogue ont le mérite de lever le voile sur bien des paradoxes et des pistes sur l’artiste-poète le plus complexe et en même temps un « homme harmonieux » puisqu’il réussit une mystérieuse combinaison de nombreux contrastes.
Aucune étiquette ne colle durablement
Sa production ne se borne pas à la poésie mais elle comprend aussi une œuvre graphique et musicale ainsi que l’une des plus riches correspondances de son temps. Ses amitiés précoces avec les peintres – il rencontre Picasso en 1901 – et ses liens privilégiés avec Apollinaire, Salmon ou Reverdy le placent au cœur des mouvements esthétiques de l’Esprit nouveau et à l’origine de la poésie moderne. A l’instar de Satie, sa vie excentrique le mêle mythes et légendes à l’effervescence des avant-gardes de la bohème parisienne.
Éclaireur d’une relation profonde dans l’écriture entre la poésie et la peinture, rénovateur des qualités plastiques et musicales du poème en prose dont il va jusqu’à revendiquer la paternité, son œuvre est faite de contrastes : sa poésie est traversée d’élans religieux et mystiques mais elle est aussi cocasse.
Patricia Sustrac, Max Jacob, essai du catalogue
« Le fond de mon ventre est “opéra-comique” ».
Cette affirmation qui confirme son indépendance singulière donne l’une des clefs pour saisir le positionnement du poète. Ayant été « livré au hasard des emplois » avant les années 1900, son parcours kaléidoscopique révèle un esprit tiraillé et ironique. Mais l’opinion négative de Max Jacob sur ses propres travaux a longtemps contribué à leur mauvaise prise en considération, en dépit de leur succès du vivant du poète qui vit de ses gouaches et de leur cohérence avec son écriture et sa personnalité.
Le terme « fantaisiste » est régulièrement utilisé pour qualifier son caractère, de même que celui de fantasque, plus imprévisible et déconcertant. Son rapport passionné au théâtre, à la musique et à la danse enrichit une identité diverse. (…)
Acteur et critique du cubisme en littérature et dans les arts plastiques, il fonde son œuvre sur un sens aigu du burlesque et du tragique. Enclin à l’autodérision et susceptible, surprenant et mélancolique, burlesque et mystique, l’auteur ne se laisse pas enfermer dans une seule approche.
Jean-Roch Dumont Saint Priest, Max Jacob, les jeux de l’imagination et de l’eutraplie, catalogue
Peu pris au sérieux
Celui qui est longtemps resté dans l’ombre de Picasso était pris pour un pantin, un clown, un magicien qui pouvait jouer non seulement avec les mots, mais aussi avec sa propre personne. Volontairement jongleur, il brouille la cohérence d’œuvres toujours différentes: des romans, des essais, des+ lettres moqueuses ou pleureuses, des poèmes signes Morven le Gaelique, d’autres poèmes qui ne gardaient aucun lien avec la tradition parce qu’ils contenaient des drôleries et des calembours trop évidents. Pis encore, fidèle a son œuvre protéenne, un jour, après une vision du Christ au cinéma, poète juif de naissance, se convertit, se métamorphose en dévot catholique. C’est en trop pour être raisonnable !
Méprisé par André Breton
Ses liaisons a-logiques de mots, leur pouvoir de surprise ironique, la place de l’humour, du rêve, et d’un merveilleux tantôt léger et fantaisiste, tantôt bouleversant en son intensité, tout dans l’œuvre mais aussi dans sa façon de vivre, justifie la présence de Max Jacob parmi les Surréalistes, d’autant qu’il se refusait Cubiste!.
Il faut dés lors comprendre la déception de l’auteur des Pénitents en maillot rose, voir, même une légitime rancœur devant ce qu’il voyait comme une fin de non-recevoir d’André Breton, qui le jugeait avec une surprenante sévérité. D’autant plus suspecte que le « Pape Surréaliste » avait accordé son ‘imprimatur’ de «surréaliste» non seulement à Saint-Pol-Roux, mais encore à Léon-Paul Fargue et à Saint-John Perse.
Ange et démon, homosexuel et bigot.
« L’expression des désirs intimes pour le même sexe résonne d’une tonalité troublante dans son œuvre, prise dans l’étau de la race maudite décrite par Marcel Proust et celle, plus céleste, poétisée par Jean Cocteau, qui dessina Jacob en « ange de la rue Gabriel. (…)
Max rêvait de chasteté, et il se punissait toujours parce qu’il n’y parvenait pas. Les quelques portraits de et par Jacob ont parfait cette image d’homosexuel maudit, dont il tira le meilleur en littérature.
Damien Delille, Images d’homosexuel maudit, catalogue.
Difficile de vivre son homosexualité, face à une hostilité mêlée de méfiance qui se retrouve aussi dans les rangs de l’avant-garde!
Une influence et une postérité indéniables
Ses conceptions esthétiques réunies dans son livre phare Le Cornet à dés (1917) ont fortement marqué les jeunes générations venues à lui comme à un maître au rang desquelles Aragon, Malraux, Éluard, Reverdy ou encore René Guy Cadou, Marcel Béalu, Edmond Jabès, Michel Leiris. Usant du calembour, de l’ironie, de jeux de mots, se repliant quelquefois dans le même temps dans l’humilité et la prière, son œuvre oscille entre l’angoisse d’un croyant tourmenté, une impuissance à être et des élans de plénitude tournée vers l’incantation au Dieu sauveur.
L’énigme Jacob reste ouverte
Même si les recherches notamment sur sa fascination pour l’astrologie resserre les touches du portrait que Paul Poiret condense parfaitement :
« L’homme paradoxe, qui se débat toujours entre deux extrêmes et dont l’âme est continuellement tiraillée par deux forces complémentaires et rivales, Dieu et Satan, le blanc et le noir, le vice et la vertu, l’eau et le feu, Rome et Jérusalem ».
Pour aller plus loin
Jusqu’au 1er décembre 2024, musée d’Art moderne de Céret (EPCC) 8, Bd Maréchal Joffre66400 Céret. Tél. : +33 04 68 87 27 76 – contact@musee-ceret.com
Catalogue, sous la direction de Jean-Roch Dumont Saint Priest et Gwendoline Corthier-Hardoin – MAM de Céret & Lienart, 176 p. 35€
avec des essais passionnants de Jean-Roch Dumont Saint Priest (Max Jacob, les jeux de l’imagination et de l’eutraplie), Patricia Sustrac (Max Jacob, Pablo et Eva à Céret), Antonio Rodriguez, (Max Jacob, les oscillations poétiques entre le cubisme et le primitivisme breton), Damien Delille (Images d’homosexuel maudit) et Gwendoline Corthier-Hardoin (Max Jacob et l’ ésotérisme, l’art du paradoxe).
Ce beau-livre éclaire tous les paradoxes d’un artiste protéiforme, mal compris, dont le travail et les amitiés artistiques en font l’une des figures majeures de la modernité durant la première moitié du XXe.
Ses amitiés en témoignent qui l’ont souvent portraiturés : de Pablo Picasso à Amedeo Modigliani, en passant par Juan Gris, Marie Laurencin, Moïse Kisling, Jean Metzinger, Serge Férat, la baronne d’Oettingen, Louis Marcoussis, Alice Halicka ou encore Dora Maar – mettent en avant les différentes identités du poète-artiste, entre littérature et arts graphiques, excentricités exacerbées et homosexualité cachée.
« Sa « fantaisie somptueuse » selon le mot de Guillaume Apollinaire rejoint une exceptionnelle quête poétique, artistique et spirituelle jusqu’à sa déportation et sa mort au camp de Drancy il y a quatre-vingt ans. (…)
Précurseur du dadaïsme et du surréalisme sans y participer, l’œuvre singulière de Max Jacob ne cesse d’ouvrir de nouveaux horizons de recherche. »
Jean-Roch Dumont Saint Priest, co-comissaire, catalogue Lienart
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