Culture
Anne-Sophie Barreau revient sur ses Instants Décisifs (Versions Courtes)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 30 janvier 2025
Ses nombreuses interviews pour Singular’s en témoignent, Anne-Sophie Barreau a une réelle empathie pour les photographes. Cette fascination pour leurs instantanés se retrouvent en pleine clarté dans son récent recueil de nouvelles Instants Décisifs, titre repris de la formule d’ Henri Cartier Bresson (aux éditions Versions Courtes, collection Recueil). L’auteure qui investit beaucoup d’images aussi fixes que cinématographiques a répondu aux questions d’Olivier Olgan sur sa volonté de ne rien perdre du spectacle du quotidien, qui révèle aussi sa passion pour la précision des mots.
Votre recueil reprend l’un des titres d’un livre d’Henri Cartier Bresson. Que vous ont appris ses « Instants décisifs » ?
Anne-Sophie Barreau : En 2003, la Bibliothèque nationale de France a consacré une grande rétrospective au travail d’Henri Cartier-Bresson sous le titre « De qui s’agit-il ? ». J’ai eu la chance d’y aller. Je n’avais pas l’habitude de voir des expositions de photographies.
Soudain, je découvrais des images qui embrassaient la vie dans sa totalité, qui en célébraient la dimension collective – Henri Cartier-Bresson a élevé le photojournalisme au rang d’art – autant qu’intime, je pense par exemple à la photographie de William Faulkner avec son chien.
J’ai d’abord été subjuguée par cette volonté de ne rien perdre du spectacle du monde, par cette passion du réel, avant d’être éblouie par une virtuosité qui, quant à elle, emmenait dans un réel non univoque.
Henri Cartier-Bresson disait : « Je n’ai pas l’obsession de la photo. Je suis obsédé par ce que je vois, par la vie, par la réalité. La photo, c’est pour moi la joie de regarder avec un outil qui enregistre immédiatement. Mais ce n’est qu’un outil.«
Les mots « instants décisifs », choisis en référence au photographe, renvoient aux notions de brièveté et d’intensité. Ils me semblaient pertinents pour deux raisons : ils vont bien avec cette forme courte et dense qu’est la nouvelle. Ils ont, de même, du sens dans un recueil où l’image est très présente.
Avez-vous quelques images en mémoire à mettre en correspondance de vos nouvelles ?
Je pense en premier à une photographie de Gérard Rondeau – qui, au passage, est devenu photographe après avoir découvert le travail d’Henri Cartier-Bresson. Il s’agit d’un portrait de Patrick Modiano chez lui. Il pourrait être un hors champ idéal de la nouvelle Modiano tous les jours. Les portraits d’écrivains et d’intellectuels de Gérard Rondeau, d’une façon générale tous les portraits qu’il a réalisés, notamment chez lui dans la Marne, sont les plus beaux que je connaisse.
Dès lors qu’il est question dans les nouvelles de la ville et de sa pulsation, je pense immédiatement à Garry Winogrand. Tout Winogrand. La ville est les êtres sont au diapason, comme parcourus d’un même mouvement, et gardent intacts leur mystère.
Pour les nouvelles qui célèbrent le sentiment amoureux et la relation à l’autre, deux photos de Diane Arbus extraites du livre In the beginning me viennent à l’esprit. Ce sont des photos prises lors d’un bal à New-York en 1959 : sur la première, une jeune fille danse avec un homme issu de l’aristocratie, sur la seconde, une femme chuchote à l’oreille de son voisin de table, dans les deux cas, l’image est un peu floue, on est comme dans un rêve, l’émotion m’empoigne à chaque fois.
La photographie et ses arrêts sur image sont très présents mais aussi le cinéma. Pourquoi l’image est-elle si présente dans vos nouvelles ? Et quel rôle tiennent-elles dans votre propre vie ?
L’image est un formidable véhicule narratif. Elle est synonyme de liberté : on peut très bien en avoir une lecture au plus près du réel ou décider d’aller vers la fiction. Elle se prête particulièrement bien à l’exercice de la nouvelle, elle incite tout de suite à mon sens à aller vers une forme concentrée, resserrée.
D’une façon générale, je trouve qu’écriture et photographies dialoguent naturellement. J’ai d’ailleurs initié il y a quelques mois un projet sur ce thème à partir de mes propres photos (j’ai une pratique amateur). Encouragée par certains avis, j’ai proposé à des amis auteur(e)s de s’emparer de ces images à leur guise et d’écrire à partir d’elles.
Tous, ils sont huit – Christian Garcin, Belinda Cannone, Marie Taurand, Catherine Soullard, Frédéric Schiffter, Nils Trede, Jean-Philippe Domecq et Philippe Castelneau – ont immédiatement accepté. Je ne les remercierai jamais assez. Leurs textes sont magnifiques. Reste à trouver un éditeur !
Je suis devenue une passionnée de photos. Quant au cinéma, c’est une passion de toujours. Adolescente, je veillais tard la nuit dans la maison endormie pour découvrir les films du Ciné-club de Claude-Jean Philippe.
Que représentent ces cinq films et quatre réalisateurs (Jules et Jim et Baisers volés de François Truffaut, César et Rosalie de Claude Sautet, Le journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel, et Pierrot le fou de Jean-Luc Godard) que vous revendiquez comme « inspirations » à la fin du receuil ?
Jules et Jim et Baisers volés de François Truffaut, César et Rosalie de Claude Sautet sont des films de chevet. Tout y est de ce qui m’habite : la rencontre, le sentiment amoureux, les lieux (la ville le plus souvent). La scène de Baisers volés dans laquelle Delphine Seyrig rend visite à Jean-Pierre Léaud dans sa petite chambre de Montmartre est un sommet, référence littéraires – Le Lys dans la vallée d’Honoré de Balzac – en prime. Il faudrait d’ailleurs ajouter la scène qui précède celle-ci où l’on voit la circulation souterraine des pneumatiques dans Paris. Romanesque quand tu nous tiens…
La subversion, propre au cinéma de Luis Buñuel, ne peut pas avoir plus belle interprète que Jeanne Moreau dans Le journal d’une femme de chambre.
Enfin, le choix de Pierrot le fou est une évidence en raison du couple magnétique que forment Anna Karina et Jean-Paul Belmondo et du choc qu’a été autrefois la découverte des films de Jean-Luc Godard : il était donc possible de réaliser des films ainsi, en pulvérisant les codes.
Enfin, le lecteur est surpris par cette injonction sur la dernière page « Action! » A quoi l’invitez vous à agir ?
C’est encore une référence au cinéma. L’injonction suit la phrase « Ce matin, tandis qu’elle courait dans le froid lumineux de décembre, elle a entendu dans son dos, s’élevant sonore et franc dans l’air… Action ! ». Phrase qui sous-entend qu’il y avait un tournage tout près et qu’au moment où l’héroïne est passée, le réalisateur lançait le célèbre mot prononcé au début de chaque prise.
Mais c’est aussi une invitation au mouvement, pour la narratrice comme pour le lecteur, jusqu’au prochain arrêt sur image...
Propos recueillis le 30 janvier 2025 par Olivier Olgan
A lire la chronique de Frédéric Martin photographe sur « Instants décisifs«
Pour suivre Anne-Sophie Barreau
son univers en photographies sur instagram
Bibliographie
- Retour Pôle Emploi (Publie.net, 2013)
- MacGuffin (Publie.net, 2014)
- Géographie (JC Lattès, 2019),
- Ceci, maintenant qu’il le faut (Amazon, 2022, 9.50€)
- Instants Décisifs (éditions Versions Courtes, collection Recueil, 2025)
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