Culture

Petit carnet de route par temps de covid-19 : Pascal Amoyel, pianiste

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 31 juillet 2020

Sur les routes des festivals d’été malgré le covid, Pascal Amoyel a pris le temps de livrer à Singulars son carnet de route et ses réflexions sur la musique, ce qu’elle lui apporte. Alors qu’il reprend son spectacle ‘Looking for Beethoven’ à La Roque d’Anthéron le 6 août, il partage ce qu’il reconnait avant tout dans Beethoven cette quête d’humanité éprise d’une inextinguible utopie fraternelle.

Le pianiste n’hésite pas à incarner plusieurs personnages pour faire revivre Beethoven. Photo © Christian Visticot

Si Liszt inventa le récital, Pascal Amoyel invente le ‘récit musical’. Après ‘Cziffra, le pianiste aux 50 doigts’, ou « Le jour où j’ai rencontré Franz Liszt » le pianiste français a trouvé – à côté d’une discographie originale – la recette gagnante du récital pianistique associant musique, récit personnel et histoire musicale. La réussite est telle qu’il s’est mué en directeur artistique du Festival Notes d’Automne du Perreux sur Marne dont il est le directeur artistique pour inciter les vocations pluridisciplinaires afin de plonger le public de façon immersive dans la musique.

Singulars avait salué son ‘Looking for Beethoven’ qui ouvrit l’année Beethoven. Il est heureux que le pianiste acteur puisse le faire partager cet été. Son carnet de route en constitue une élégante introduction.

Pourquoi (fais-tu de) la musique ?

Il y a une question sous-jacente à toutes les autres, qui est probablement la cause de toute émotion, le vecteur de tout sentiment, et dont l’absence de réponse est l’explication de tous les faits, c’est la question: « Pourquoi ? ». Pourtant, l’apprentissage de la plupart des disciplines en requiert principalement d’autres : quoi, comment, où et quand.

La première question du pédagogue au disciple ne devrait-elle pas être : pourquoi fais-tu de la musique? Cette question provoque alors un retournement de l’esprit jusqu’à son propre centre, comme un noyau qui irradie. Plonger tête baissée dans le mystère du pourquoi – sans tenter d’y apporter une réponse à tout prix – c’est faire une chute en arrière. C’est tomber dans la non connaissance. Cette chute merveilleuse est le point de départ indispensable vers ce qu’on appelle l’inspiration.
Elle nous ramène à ce qu’on est vraiment, le regard qui regarde avant de se savoir regardant, l’écoute qui écoute avant de se savoir écoutante. Moi qui suis musicien depuis des décennies, je ne sais pas toujours ce qu’est la musique.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir émis un nombre considérable d’hypothèses ! Comment le savoir, ou plutôt comment le ressentir ? Se mettre à la place des premiers hommes qui dessinaient dans les grottes pourrait être un élément précieux de réponse. Jean Clottes dans « Pourquoi l’art préhistorique? »  tente un rapprochement passionnant entre l’art pariétal paléolithique et la magie, à travers notamment la distanciation corps et esprit des chamanes.

Observons l’art des magiciens.

Celui-ci nous rappelle soudainement que nous vivons au milieu d’un mystère total, qui échappe au mots. Nous sommes devenus de plus en plus inconscient à ce mystère.
Lorsqu’un magicien brise la frontière de l’impossible, il pointe alors vers notre propre inconscience, notre hypnose, notre oubli que la vie est pleine de surprises, toujours changeante, loin des automatismes et des conditionnements. Le maître-Magicien Eugene Burger l’illustre magnifiquement à travers son expérience du fil hindou.

Qu’est-ce que je tente d’exprimer lorsque je compose, ou lorsque j’interprète une œuvre ?

Il semble que dans cet instant l’intellect quitte enfin sa prépondérance. Il n’y a personne qui fait quoique ce soit.
Dans « se libérer du connu »,  Krishnamurti nous rappelle que nommer les choses, c’est déjà ne plus les voir. Voir un arbre sachant que c’est un arbre, n’est-ce pas déjà se rattacher à son étiquette, ne plus le ressentir, ne plus pouvoir contempler cette merveille de la Nature. Il est fascinant de faire l’expérience de retrouver la fraîcheur du regard de l’enfant. Qu’avions-nous ressenti lorsque nous avons regardé un arbre pour la première fois? La racine n’était alors pas une « racine », les feuilles devaient nous paraître des éléments inouïs et sublimes.

 

Dans « Etre dans le dire », Franck Terreaux fait la même observation quand il décortique tout ce qui occulte la vue, jusqu’à « l’aperception », qui est en fait l’état notre état naturel, et le plus ordinaire qui soit. C’est au fond passer de la pensée discursive, qui déprime nos vies, à la pensée perceptive. Dans cet état de vide mental, tout peut arriver, comme par exemple créer des moments musicaux dont on sent qu’il n’y a même plus lieu de se les approprier tant ce qui coule de nos doigts nous échappe, tout en provenant de notre intimité source.
Les grands musiciens semblent aux premières loges de cette vibration, tels Schubert, Liszt ou Beethoven lorsque leurs œuvres se sont aventurées aux confins du silence.

Écouter ce silence intérieur

Cette quête peut s’avérer une expérience quasi mystique, surtout si cette vibration est ressentie comme le miroir de la vie extérieure.

Dans la plupart des traditions spirituelles, c’est le son qui créa le monde. Écouter le son de l’univers à travers ceux reconstitués par la NASA relève sans doute de  l’expérience sonore parmi les plus pures et les plus intenses.

Mais revenons à la musique terrestre: comment se fait-il que l’on puisse ressentir tant d’emotions, et même de plaisir, en écoutant des œuvres si empruntes de douleur?

Répondre à cette question serait ….

sans doute comme résoudre celles, fondamentales, que ce sont posés les philosophes à travers les siècles. Et révélerait une grande part de ce que nous sommes.

La musique étant le mystère non résolu, elle pourrait être justement ce qui ne fait pas le lien entre l’émotion et la pensée. Par conséquent, la tristesse de la musique aurait sa beauté propre dans la mesure où l’identification n’intervient pas.

La musique nous fait découvrir une Harmonie, un Ordre, des Lois: nous comprenons peut-être grâce à elle que la tristesse, la douleur, en font partie…

Quelques repères bibliographiques

Tout savoir sur Pascal Amoyel

Tournée Looking for Beethoven

  • 6 août Festival International de la Roque d’Anthéron
    • 10h. Joute entre Beethoven et Steibelt, concert d’improvisation avec le pianiste Dimitris Saroglou
    • 21h. Looking for Beethoven
  • 7 août – Ecuillé (49) Festival Heures musicales du Haut-Anjou
  • 19 août – Peyssac, Festival des Grands crus musicaux Récital Bach, Beethoven, Liszt
  • 20 août – Sanary (83) Récital avec Emmanuelle Bertrand
  • 6 septembre – Estivales de Court (Suisse)
  • 12 septembre – Albret
  • 13 septembre – Toulouse (33), Chapelle des Carmélites
  • 20 septembre – Thaon-Les-Vosges, Théâtre de la Rotonde
  • 1er octobre – Jaunay-Clan (86)
  • 5 octobre – Clermont-Ferrand (63)
  • 6 octobre – Courbevoie (92)

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