Jean-Luc Coatalem, Une chambre à l'hôtel Mékong (Ma nuit au musée Stock)
Tintin au Guimet
Ce Breton, finistérien est un drôle d’oiseau qui n’aime guère la cage ou la volière, une sorte de fou de Bassan de la littérature, féru de grands espaces et aimant la haute mer autant que la compagnie de ses congénères. Jean-Luc Coatalem aime les retrouver autour d’une table, pour y lisser ses plumes. Et aiguiser la sienne, dont un de ses confrères, Fabrice Gabriel du « Monde », écrit à juste titre qu’il possède « une prose chatoyante et malicieuse ». Il faut se laisser porter par cet écrivain du voyage, qui aime emmener loin ses lecteurs. Voir dans d’autres contrées plus sombres, comme « Le Grand Jabadao » (Le Dilettante) où il s’essayait avec succès au roman noir « toujours pavé d’intentions littéraires » comme nous l’écrivions à sa sortie.
Magiquement seul
Avec « Je suis dans les mers du sud » (Grasset, 2001), Coatalem était parti dans le sillage de Paul Gauguin. Puis avec « Mes Pas vont ailleurs » (Stock, 2017), il avait mis les siens dans ceux de Victor Segalen. Ces deux figures tutélaires semblent se fondre et converger, comme les bras du Mékong, dans son dernier livre « Une chambre à l’Hôtel Mékong », paru chez Stock dans la formidable collection Ma nuit au Musée. Le programme est simple, un écrivain se laisse enfermer une nuit dans un musée, « magiquement seul », et raconte.
Une aventure puissance mille
Une nuit parmi les fantômes en réalité, car Coatalem n’est pas seul dans ce Musée national des arts asiatiques Guimet. Certains lui sont proches, « mon grand-père et mon oncle, en tant que militaires, avaient baroudé au début et au milieu du siècle en Extrême-Orient. Avaient-ils cru à la légitimité de l’Empire français ? Difficile à affirmer. Sans le sou, ils y avaient vu surtout une aventure puissance mille sur un terrain de jeux plus vaste ». L’auteur se souvient aussi de celui « qu’on appelait Jean-Louis, même s’il se nommait Rachana », un petit réfugié khmer « tombé du train de l’Histoire », recueilli par son Papé. Un « frére jaune », qui est un peu le Tchang de ce Tintin devenu écrivain.
Des statues de grès rose
Dans le cortège des revenants, Pierre Loti bivouaque avec lui entre « des monstres, des choses sans âge et sans prix ». Coatalem déambule dans les couloirs du musée endormi et croise dans l’épaisseur de la nuit le génial André Malraux, pilleur des statues de grès rose du temple de Banteay Srei, un siècle plus tôt. « Me voilà à remonter dans les Ailleurs et les Autrefois, écrit l’ancien journaliste, tentant de rejoindre l’explorateur Henri Mouhot sur le Mékong, lancer une ligne télégraphique vers Phnom Penh aux côtés d’Auguste Pavie ».
Une figure de proue émerge cependant de cette croisière jaune, celle de Victor Segalen, le médecin de Marine breton, qui après Tahiti et les Marquises s’efforçait de trouver dans la Chine ancienne « le génie ailé qui immobilise les instants ».
Une Chine intérieure
Mais que cherche donc Jean-Luc Coatalem dans cette « nuit de papier carbone » qui duplique sa mémoire et où, écrit-il, « le silence comme du buvard boit mes pas » ? Rien d’autre que « ma Chine intérieure qui est une région de l’esprit », répond-il, en se cachant sous sa « bonne mine de bon garçon joufflu ». Son dernier livre représente pourtant la quintessence de son œuvre, celui où il se livre avec le moins de retenue.
« Mon imagination est née là-bas… en Orient« , confie-t-il au détour d’une page, c’est donc là-bas qu’il nous entraîne, et qu’on le suit avec plaisir jusqu’à « Hué et sa ramure poivrée ».
Le faste du Japon impérial
Allez revoir les masques d’Antinoë au Musée Guimet, Ils ne sont pas à la mode. C’est ce qui les sauve du luxe et les laisse vivre dans la pénombre sur des socles d’une peluche rouge irréelle, chiffonné, passée, et argentée de poussière blanche.
Jean Cocteau
La poussière a disparu, mais les statues de Ganesh, le dieu hindou à tête d’éléphant qui supprime les obstacles, et les nombreuses représentations du Bouddha attendent toujours les visiteurs place d’Iéna. Une exposition sur le faste du Japon impérial s’y tient en jusqu’au 25 mars 2024, « A la cour du prince Genji », tout l’Orient et ses extrêmes.