Culture

A la cour du Prince Genji, mille ans d’imaginaire japonais (Musée Guimet - Gallimard)

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 8 décembre 2023

Au départ de cette magnifique exposition A la cour du prince Genji, mille ans d’imaginaire japonais au Musée Guimet jusqu’au 25 mars 2024 un roman patrimonial,  « Le dit du Genji » écrit par la poétesse Murasaki Shikibu vers l’an 1000. Du XIIème siècle jusqu’au manga du XXIe, les artistes n’ont cessé de s’approprier l’histoire du Genji, au point d’être un ressort clé de l’imaginaire japonais, laissant une iconographie riche et passionnante. Aurélie Samuel, la commissaire de l’exposition décrit à Baptiste Le Guay comment le roman féminin et l’effervescence de l’époque d’Heian (794-1185) ont participé à la cristallisation d’une culture japonaise, à travers l’estampe, la gravure sur bois, jusqu’au manga, et plus récemment paradoxalement, par le métier à tisser jacquart français, pour les quatre admirables rouleaux de brocard réalisés par le Maître Itarô Yamaguchi (1901-2007), trésors nationaux présentés pour la première fois dans leur intégralité.

Boudha Amida assis, Epoque d’Heian, 1ère moitié du XIIe, Photo Baptiste Le Guay

Le reflet d’une identité japonaise émergente

Véritable roman emblématique de la littérature classique japonaise « Le dit du Genji » a été écrit par la poétesse Murasaki Shikibu (vers 973 – vers 1014-1025) vers l’an 1000. En pleine époque d’Heian (794-1185), ce roman décrit les intrigues d’un cour autour de l’empereur, gardien des rites et des codes, où, oisiveté oblige, se développe une culture d’un extrême raffinement :  « d’aucuns diront d’un raffinement extrême… par sa popularité et son influence, il participe à l’avènement d’une culture spécifiquement japonaise » rappelle Shigeatsu Tominaga, Président de la Fondation franco-japonaise Sasakawa, dans le précieux catalogue.

Avant cette époque, le Japon est extrêmement influencé par la culture chinoise. C’est une société écrivant avec des idéogrammes chinois, ils s’habillent à la manière des Tang. Ce roman va être le reflet de cette identité japonaise avec une garde-robe spécifique qu’on appellera le kimono, un bouddhisme proprement japonais, l’écriture « Onagata » (destinée aux femmes)
Aurélie Samuel, commissaire de l’exposition.

Nourrir un imaginaire à travers les âges

Palanquin japonais, bois laqué noir et or, époque Edo (1603-1868), photo Baptiste Le Guay

Avec une écriture simplifiée, la poésie devient accessible aux femmes, autorisant la création d’une classe d’écrivaines dont fait partie Murasali Shikibu. Son récit, considéré comme fondateur du roman psychologique s’inspire de nombreuses situations à la cour de l’Empereur, intégrant de nombreux personnages masculins comme féminins, croqués dans leur évolution sociale et psychologique. Le parcours récrée l’atmosphère de cette période prolixe

C’est une critique assez acerbe de la société, les personnages du roman ne sont pas réels mais elle s’est inspirée de gens autour d’elle. Les poétesses comme elle ont une place à part ce qui ne se retrouvera pas dans le Japon ensuite avec une société patriarcale, dominée par les hommes.
Aurélie Samuel.

Illustration du Dit du Genji, livre XXII, La Parure précieuse (Tamakazura), École Tosa, époque d’Edo, 18e siècle, Photo Michel Urtado Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques

Le dit du Genji illustré en estampes

Véritable source d’inspiration des artistes, les illustrations du « Dit du Genji » se diffusent, facilitées par l’invention de la gravure sur bois au XVIIème siècle. Le nouveau support permet de sans cesse renouveler les scènes du Dit du Genji, réadaptées à la mode contemporaine. Dans les représentations en images, le point de vue est en contre plongée, comme si les toits des maisons étaient transparents pour y voir les intérieurs.

C’est ce qui nous a inspirés pour la scénographie. Nous avons voulu reconstruire une maison japonaise, avec ces balustrades extérieures, avec la paille qui évoque les tatamis.
Aurélie Samuel.

Kiritsubo Hatakeyama, Kuniyoshi Utagawa (1797-1861), Estampe nishiki-e, 1843-1847, photo Michel Urtado Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. MA7318.

La nature s’invite largement dans les représentations artistiques.

L’art japonais accorde une place importante à la nature, il y a une grande part de description des saisons. La philosophie japonaise s’est beaucoup emparée de cette idée de l’impermanence des choses, que nous sommes toujours en mouvement et en construction.
Aurélie Samuel.

A l’exemple des cerisiers japonais dont le feuillage magnifique ne dure seulement que deux semaines à l’arrivée du printemps. Une allégorie de la vie et du monde, montrant la nature éphémère de l’existence.

Les parodies du Genji se répandent

A partir du XIXème siècle, des parodies provinciales du « Dit du Genji » se multiplient, notamment grâce au talent de l’artiste Toyokuni III et pour rendre l’œuvre accessible à un plus large public.

Il y a une évolution du roman, une réinterprétation de celui-ci au XIXème où les personnages sont habillés comme à la période d’Edo, jusqu’au manga d’aujourd’hui revenant à un Genji plus proche de l’œuvre original.
Aurélie Samuel.

Fuzuki (7e mois) Parodie des cinq festivals saisonniers et du Genji de l’Est (Azuma Genji mitate gosekku), Utagawa Kunisada dit Toyokuni III (1786-1864), photo Baptiste Le Guay

Les lectures du « Dit du Genji » s’adaptent au contexte historique et au média de diffusion, notamment magnifiquement recréé en « nishijin-ori » grâce au talent et au dévouement du maître tisserand Itarô Yamaguchi, qui a consacré sa vie au développement de cette technique.

Un trésor national japonais, les rouleaux tissés de Maître Yamaguchi

Yamaguchi Itarô (1901-2007) Rouleau tissé de brocard inspiré du Dit du Genji, 1990, 2ème rouleau, Photo Thierry Olivier Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques.

Issu de Nishijin, le maître Itarô Yamaguchi commence très jeune à tisser sur un métier Jacquard. Après 50 ans de carrière, le maître se lance dans un défi fou à 70 ans, il commence à reproduire les rouleaux peints du Dit du Genji datant du XIIème siècle en tissage. Jusqu’à la fin de sa vie, le maître consacra 37 années pour tisser quatre rouleaux et en faire des créations originales à part entière.

Une technique tissée avec la France

Réputé pour son textile, la ville de Lyon connaît en 1850 une maladie menaçant de détruire son industrie, la pébrine, décimant les vers à soie. Réouvrant ses frontières, le Japon va fournir de la soie, permettant de sauver la production lyonnaise. En 1872, une délégation japonaise de tisseurs de Nishijin (Kyoto) va se former à Lyon pour utiliser le métier à tisser Jacquard. Un métier permettant de réduire le coût de production du textile et d’en augmenter son rendement.

Au début, l’idée était de montrer les rouleaux de Maître Yamaguchi et d’orienter sur le tissage, la technique et les échanges franco-japonais, notamment avec l’exportation du métier Jacquard en France. C’était l’occasion d’expliquer le roman, l’époque de Heian et de montrer la richesse iconographique depuis le XIIème siècle.
Aurélie Samuel.

Le manga s’en empare

Le parcours consacre une salle à l’inventivité du Dit du Genji en manga, Musée Guimet, photo Baptiste Le Guay

Au XXe siècle, les nouvelles formes d’art comme le manga s’emparent du Dit du Genji et le réinterprètent, certains s’affranchissant des codes classiques avec une époustouflante inventivité. Aujourd’hui encore, on assiste à son adaptation par plusieurs auteurs et dessinateurs, dont la présence dans l’exposition atteste le renouvellement du genre.
Yannick Lintz, Présidente du musée national des arts asiatiques – Guimet

Si le roman est adapté en dessin-animé en 1987, le parcours nous amène dans une pièce consacrée exclusivement aux mangas. Du sol aux murs, la pièce est entièrement tapissée de pages de mangas en noir et blanc de l’adaptation de Sean Micheal Wilson parue en 2023. L’interprétation la plus populaire reste Asaki yume mishi de Waki Yamato (en 13 volumes), vendu à des millions d’exemplaires, se focalisant sur les rapports hommes – femmes et à la violence de la société, plutôt qu’aux raffinements de la cour, qui furent longtemps mis en avant dans les estampes.

Mille ans après la création du Dit du Genji et plus de cent cinquante ans après l’arrivée à Lyon des premiers maîtres tisserands japonais de nishijin-ori, en liant le passé et le présent de la culture japonaise, la scénographie immersive invite le visiteur à se plonger dans ce Japon ancien encore trop méconnu, dont l’imaginaire rste actif encore aujourd’hui, que la richesse de l’iconographie appelle à découvrir.

#Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin avec le Dit du Genji

Jusqu’au 25 mars 2024. Ouvert de 10h à 18h sauf le mardi fermé, Musée Guimet, 6 place Iéna, Paris 16e

Catalogue, coédition musée Guimet / Fondation franco-japonaise Sasakawa / Gallimard, 208 p., 160 p., 35 €  L’ouvrage, doté de nombreux essais, décrypte les innombrables œuvres dérivées, dans les domaines de la peinture, de l’habillement et de l’artisanat entre autres, …  d’un roman séminal de la culture classique japonaise. Il revient sur une période artistique marquée par l’émergence d’une littérature féminine. Ainsi, Le Dit du Genji s’est acquis une valeur historique et politique en tant que symbole de la culture aristocratique, puis une valeur littéraire comme modèle pour la poésie waka et le haïku.

L’importance de cette œuvre ne s’est jamais démentie car elle a répondu aux besoins de lecteurs de tous horizons appartenant à des époques différentes. C’est au cœur de cette œuvre, où sont décrits les sentiments et les paysages de la nature, que se trouve l’essence de la culture japonaise, dans sa sensibilité à leur résonance. (…) Pour les Japonais, Le Dit du Genji n’est pas simplement le symbole de la culture de la noblesse appartenant au passé, c’est aussi le fondement de leur fierté nationale. (…)
Le Dit du Genji continue également d’être aimé en tant qu’œuvre symbole du sens esthétique et de la spiritualité du Japon.
Junko Yamamoto, extrait du catalogue

Le Dit du Genji de Murasaki-Shikibu, illustré par la peinture traditionnelle japonaise, 520 peintures et 450 détails, Editions Diane de Selliers, Petite collection, 2008,  3 volumes, 165€

 

 

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