Libres de toute étiquette

Regardés rapidement, les programmes et la discographie de l’ensemble Des Equilibres se mesure par sa profondeur à toute solide formation de chambre : une intégrale de la musique de chambre de César Franck (4 cd Klarthe), largement saluée

un programme Brahms,  Bach, Bartok y côtoient des compositeurs moins connus voir oubliés comme le compositeur « soviétique » Mieczysław Weinberg (1919-1996), ami de Chostakovitch et égal de Prokofiev,

ou Sandor Veress (1907-1992) compositeur suisse d’origine hongroise que Bartók recommandait comme le plus grand talent hongrois.

Mais à y regarder de plus près, on est loin de tout chemin tout tracé.

Dans « Brahms Aujourd’hui », Des Equilibres a commandé à trois compositeurs Nicolas Bacri, Philippe Hersant et Graciane Finzi, trois œuvres en écho aux Sonates pour violon de Brahms. « Sonates aussi géniales que différentes entre elle, Une occasion rêvée de susciter de nouveaux univers et paysages sonores » rappelle Agnès Pyka dans le livret.

Cette ADN de la continuité entre musique d’hier et d’aujourd’hui est au cœur du projet de l’ensemble qui se revendique comme ‘un laboratoire de créations’.

« Soucieux de tisser des liens entre le répertoire et la musique de notre temps, de mettre en regard les œuvres du passé et celles d’aujourd’hui afin de toujours mieux faire sentir la continuité et l’unité de la musique »
Agnès Pyka

Même volonté de continuité dans le « Voyage avec un violon seul », Agnès Pyka associe la partita n°2 BWV 104 de JS Bach côtoient avec ‘Sonate-Monologue’ d’Aram Khatchatourian et « Passacaille et variations » de Thierry de Mey. La balade sonore est solaire, captivante, transmet de multiples sensations des paysages sonores ciselés par le magnifique instrument de Pyka.

Agnés Pyka, violoniste et cheffe d’ensemble Des Equilibres photo DR

Concevoir la musique comme un échange, loin des étiquettes

Depuis sa fondation en réunissant des musiciens venus d’horizons différents l’ensemble Des Équilibres assume une « formation à géométrie variable » du récital à l’octuor selon le projet ou la commande. Il s’est construit à travers le dialogue des esthétiques et des formes d’art diverses avec une volonté de défricher de nouveaux territoires, comme ces collaborations avec Florentine Mulsant et Bryce Dessner, autour de deux programmes originaux Sensibilité́ à la française et La classe américaine.

 « L’effet miroir », une invitation à croiser les disciplines

La rencontre de la chorégraphe Michèle Anne De Mey sur la musique de son frère Thierry De Mey en 2008 stimule les pluridisciplinarités, celle de Shiro Daïmon et de François Rossé (Mukae, 2009), nourrit le dialogue entre la tradition occidentale avec l’art japonais de l’improvisation, tout comme avec la musique classique algérienne de Nour-Eddine Saoudi, le jazz du pianiste – compositeur Ray Lema ou encore le Trio Atar dans une exploration de la musique israélienne d’aujourd’hui.

Dernière ouverture en date, les concerts puis l’enregistrement « Fado em Movimento », où le chant du fado traditionnel de Cristina Branco, et le guitariste Bernardo Couto sur des textes de Gonçalo M Tavare se frottent aux créations de Florentine Mulsant, Fátima Fonte et Anne Victorino d’Almeida.

Autant que dire que la dynamique de Des Equilibres franchit une nouvelle frontière avec « Trans Europe Express »

Transmission et création au féminin en Europe

Au fil de de ses nombreux voyages et projets, l’ensemble Des Equilibres a constaté les différences de développement de la création contemporaine au sein des pays européens : faible présence de la création dans les programmes de concerts, d’une part, et freins au développement de carrières pour les interprètes ou les compositeur·ices, d’autre part.

A force de relever des disparités évidentes concernant la création contemporaine féminine. même si en France le sujet est désormais largement abordé, il n’en va pas de même dans tous les pays européens où l’égalité des chances n’est toujours pas acquise : obstacles financiers, biais culturels…

Un long travail reste à accomplir pour atteindre cette égalité.
C’est ainsi qu’est né le projet Trans Europe Express qui, au-delà de la diffusion des œuvres à travers différents concerts (huit commandes de créations qui circuleront dans le monde entier), mettra en contact huit compositrices reconnues des quatre pays sélectionnés (Espagne, France, Hongrie, Malte) avec de jeunes étudiantes compositrices lors de masterclass, de conférences et d’ateliers.
Agnès Pyka

Pour favoriser l’égalité des genres dans la musique

Ensemble des Equilibres photo DR

Concrètement, d’une durée de 18 mois (1er novembre 2024 – 30 avril 2026) qui réunit des partenaires de quatre pays : la France, la Hongrie, Malte et l’Espagne, Trans Europe Express offre aux jeunes compositrices l’opportunité́ de développer leurs compétences, de créer des œuvres originales et de se faire connaître sur la scène internationale.

Le projet se décline en une série d’actions, comprenant des concerts, des masterclass, des ateliers pour jeunes compositrices, des commandes d’œuvres, des conférences, des actions de médiation, un think tank et une plateforme en ligne.

La transmission sera le maître mot :soutenir le parcours des artistes féminines en leur faisant découvrir les clés des métiers de la création et en leur offrant les conditions d’un épanouissement

Bonne route à ce Trans Europe Express !

texte

Le Carnet de lecture d’Agnès Pyka

Neige de Printemps, de Yukio Mishima, Gallimard

J ‘ai lu d’un trait , il reste gravé dans ma mémoire me renvoyant à une période où je pouvais m’échapper de longues heures dans des romans. J’ai adoré les portraits qu’il dresse de ses deux personnages Kiyoaki et Satoko, la fragilité, la poésie de son écriture. Ces atmosphères qu’il recrée et ce que l’on ressent d’une culture qui n’est pas la nôtre.

Le gout de l’interdit, la passion qui mène au désespoir, cette quête d’un idéal que l’on n’atteint jamais: n’y a-t-il pas là un parallèle avec notre recherche musicale?

La sonate n°2, de Bartók, Sz76, par Thomas Zehetmair et Olli Mustonen au piano

J’ai une passion pour cette sonate de Bartók qui fait partie de mon répertoire et que j’ai étudiée à Budapest avec Ferenc Rados puis avec Lorand Fenyves à Toronto. Thomas Zehetmair arrive à lui donner une légèreté, un mystère,une intensité que je trouve remarquable. Tout fait sens dans  son interprétation de cette pièce au combien complexe, il raconte une histoire. Il a en plus un timbre très particulier,

c’est ce  que je recherche  toujours chez un interprète, cette fragilité, cette fébrilité liée à la responsabilité qu’il semble endosser en interprétant un tel chef d’œuvre.

Le concerto pour piano en sol majeur, de Maurice Ravel, par Samson François

Évidemment cette pièce me suit depuis toute jeune Elle  a été un des moteurs qui m’a fait me consacrer à la musique. Difficile d’exprimer ce que je ressens quand j’entends cette pièce, comme si Ravel avait tout synthétisé, une vie en entier, tout ce qu’il y a à dire, tout ce qui s’y passe, le pourquoi de tout.
La version de Samson François est une référence: une finesse de son mais aussi une force, une énergie folle, mais également  une simplicité de discours qui force le respect. C’est comme s’il enfilait un gant qui lui sied à merveille ou qu’il improvisait la pièce sur le moment.

Les sonates et partita de Bach, par Sergiu Luca

J’ai l’impression qu’il a été mon professeur à distance. J’ai compris beaucoup de choses sur ce répertoire en écoutant encore et encore sa version des sonates et partita. Tout d’abord cette clarté de discours, le cheminement des voix: on sait exactement où on est, où on va, pourquoi. Cette simplicité, rien n’est ajouté ayant pour but l’effet, il va à l’essentiel. Comme un moule de départ qui me permettrait de réfléchir et envisager ma propre version.

Et Back to Black, de Amy Warehouse .

Ce live de 2006 qui me remonte le moral systématiquement

Auteur de l'article

Olivier Olgan

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