Alice Guy, Mademoiselle cinéma, de et avec Caroline Rainette (Théâtre Le Funambule)

Les femmes d’exception ont enfin le vent en poupe au théâtre, voir même en proue puisque la statue d’Alice Guy fut une des icones de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques! Il était temps de réhabiliter ce destin artistique hors du commun, invisibilisé comme quasi toutes les artistes féminines. C’est pour cette pionnière du cinéma, réalisatrice, productrice à la tête de l’un des premiers studios hollywoodiens que Caroline Rainette a écrit et interprète « Alice Guy, Mademoiselle Cinéma » (Le Funambule-Montmartre jusqu’au 10 décembre 24). L’auteure comédienne nous plonge avec ses deux complices Lennie Coindeaux et Jérémie Hamon, dans la naissance plutôt difficile du 7e art – des deux cotés de l’Atlantique – pour croquer pour Olivier Olgan une véritable aventure technique et industrielle, artistique et personnelle. Une belle réussite bien troussée d’un théâtre populaire qui divertit autant qu’il instruit.

Un destin de et du cinéma exceptionnel

Il faut encore beaucoup de projecteurs pour sortir Alice Guy de l’ombre dans laquelle cette pionnière du cinéma a été plongée. Certes, elle a fait l’objet de nombreux récits, d’une BD (Catel & Boquet, Casterman, 2021) et ultime justice, elle fut l’une des 10 sculptures hommage à des figures féministes révélées à l’ouverture des JO et actuellement exposées à l’Assemblée Nationale.

Actrice pionnière de la naissance du monde moderne

Alice Guy, Mademoiselle Cinéma,  de Caroline Rainette nous plonge dans la création du 7e art (Funambule Montmartre) Photo Luca Lomazzi

La pièce de Caroline Rainette qui assume le texte et le rôle-titre, co-signe aussi la mise en scène avec force image d’archives notamment de films de la réalisatrice, revient avec lucidité et enthousiasme sur le destin de cette pionnière visionnaire du 7ème art. En brossant d’abord une vie de femme entrepreneuse, plongée dans l’histoire industrielle en général et du cinéma en particulier, l’auteure évite le piège d’un didactisme féministe engagé.  Elle nous plonge dans les innovations techniques et narratives des inventeurs du cinématographe. La force du récit est de ne pas occulter la dimension industrielle de cet art. Alice Guy l’avait bien intégré en fondant sa propre société de production.  Et c’est sa banqueroute financière qui participa à son invisibilisation !

Pourtant le cinéma doit beaucoup à cette femme qui a cru d’emblée aux potentiels artistique d’un médium que d’aucuns ne considéraient que comme une reproduction technique.

Alice Guy fut la première à détecter le potentiel fictionnel de la technique du cinématographe inventée par les frères Lumière en 1895.  Moins d’un an plus tard, à Paris, avec La Fée aux choux pour Léon Gaumont, elle devient à 23 ans la première réalisatrice de l’histoire du cinéma avec plus de 300 films en France.

Pionnière du cinéma, première femme cinéaste au monde, raconter la vie d’Alice Guy c’est aussi se pencher sur la condition des
femmes. Car dans un milieu masculin, Alice a évidemment dû se battre pour se faire, sinon aimer, du moins accepter.
Caroline Rainette

Une entrepreneuse visionnaire

Alice Guy, Mademoiselle Cinéma, texte de Caroline Rainette (Funambule Montmartre) Photo Luca Lomazzi

Dans ce maelstrom d’innovations, Guy construit aussi les ressorts de son indépendance. La partie n’est pas facile et le combat toujours inégal, même si elle a su réaliser ses intuitions avec son propre studio.  En 1907, mariée, elle part conquérir l’Amérique :  laissant les Films Gaumont aux mains de son assistant Louis Feuillade, elle est la première femme à créer sa propre maison de production, elle construit un studio dans le New Jersey et fait fortune. Mais son mariage malheureux lui fait tout perdre. Rentrée en France, dans l’indifférence générale, elle meurt en 1968, certes avec la légion d’honneur, mais sans avoir ni revu aucun de ses films perdus et oubliés, no obtenu la reconnaissance de ses intuitions. Le récit hollywoodien l’ayant balayé de l’Histoire.

Durant toute sa carrière Alice Guy a révélé bon nombre d’acteurs, mais avant tout d’actrices. Elle a créé le style Gaumont. Plus révélateur aussi, elle changé la manière de jouer au cinéma, mais aussi au théâtre, en demandant une seule chose à ces acteurs « soyez naturels ! »…

Lennie Coindeaux et Jérémie Hamon font vivre autour d’elle, tous ceux qui donnent lui sa chance, de Gustave Eiffel, à Léon Gaumont, ou partagent son émerveillement pour le cinématographe de Méliès à Feuillade, ou ceux qui entrainent sa perte, dont Herbert Blaché (1882 -1953), mari et associé si fier de ses prérogatives qui assumera la ruine du rêve de sa femme et la vente de son Studio en 1921.

Autant dire que l’on apprend beaucoup de cette aventure entrepreneuriale exceptionnelle, qui aurait pue s’épanouir… si elle n’avait pas été celle d’une femme!

Olivier Olgan

Jusqu’au 10 décembre 2024, les lundis et mardis à 19h ou 21h (en alternance, une semaine sur deux), Théâtre Le Funambule-Montmartre 53 rue des Saules, 75018 Paris

avec Caroline Rainette, Lennie Coindreaux et Jérémie Hamon.
Création des décors et accessoires : Caroline Rainette
Création des costumes : Axel Boursier
Création vidéo : Frédéric Weigel et Caroline Rainette
Création des lumières : Matthieu Duverne et Morgan Lambert
Musiques : Cécile Cheminade (1857-1944), Rodolphe Berger (1864-1916), Amy Beach (1867-1944) et Francis Popy (1874-1928)