Culture

Atelier en plein air : Wang Keping à l'œuvre (Musée Rodin)

Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 12 mai 2022

Keping face à Rodin. Trois étranges totems sont installés dans les jardins du musée Rodin. Ils sont l’œuvre d’un grand sculpteur chinois, né en 1949, près de Pékin, qui a transformé une des allées en un véritable atelier à ciel ouvert jusqu’au 5 juin. Plus que le bronze ou le marbre, ce sont les arbres qui inspirent Wang Keping. Parmi les trois troncs aux formes arrondies, l’un est en cours de finition, et l’on peut donc voir l’artiste au travail, armé d’un maillet et d’un ciseau à bois, ou d’une ponceuse.

Wang Keping au travail dans une allée du Jardin du Musée Rodin Photo Thierry Dussard

Faguo Wutong : arbre français

Wang Keping fait sculpture de tout bois, et toutes les essences prennent forme sous ses doigts. Acacia, buis, févier, if ou pommier, cèdre, cyprès, merisier, et bien sûr chêne ou hêtre, feuillu et résineux, se transforment. Ici, ce sont trois gros platanes qu’il a sélectionné, et par un curieux hasard platane se dit « Faguo Wutong » en chinois, soit mot à mot : arbre français. « Oui, c’est l’expression que l’on emploie à Shanghaï, sourit-il, ravi de la coïncidence. Mais on ne trouvait pas ce bois noble à Pékin, lorsque j’ai commencé la sculpture. Le bois, principalement du bouleau, était contingenté et utilisé pour le chauffage, et je demandais au marchand de mon quartier de me garder les morceaux les plus difficiles à scier ».

Wang Keping devant l’une de ses sculptures Photo Thierry Dussard

Work in progress

« Ce sont les bois durs et les nœuds qui m’intéressent », poursuit-il, en expliquant que les billes sont préalablement étuvées pour en fixer les veines, avant d’être dégrossies à la tronçonneuse. Puis comme on patine le bronze, l’œuvre est brûlée, et parfois cirée, ou laissée dans sa teinte brute. Après avoir participé au groupe d’artistes dissidents des « Etoiles » en butte à la censure, Wang Keping s’est exilé en France depuis 1984.
Et il a accepté de sortir de son atelier en Vendée pour les frondaisons du musée Rodin, où entre marronniers et tilleuls il achève une de ses œuvres sous les yeux des visiteurs.

Keping côtoie Jacques de Wissant,  l’un des six Bourgeois de Calais de Rodin Photo Thierry Dussard

Un sculpteur « plein-airiste »

Confronté aux bouleversements politiques en Chine, où il devient tour à tour ouvrier, soldat et comédien, sa rencontre avec Rodin aura été sa vraie révolution culturelle. Un contact établi sous forme de photos en noir et blanc, qui lui aura cependant permis de prendre ses distances avec la sculpture officielle. « Les corps nus de ses femmes dégageaient une lumière brillante d’amour, se souvient-il avec une émotion intacte, et c’est un immense honneur d’être exposé aujourd’hui à ses côtés ». Wang Keping trône ainsi entre deux statues de Rodin : Jacques de Wissant, un des six Bourgeois de Calais, et Jules-Bastien Lepage, un peintre du courant « plein-airiste ».

Plus proche d’Auguste que d’Aristide

Une statuette asiatique ayant appartenu à Rodin dans l’une des vitrines du musée témoigne de son intérêt Photo Thierry Dussard

A l’intérieur du musée, on découvrira une autre des œuvres de l’artiste habituellement exposé à la galerie Nathalie Obadia, et au premier étage dans une vitrine, une surprise : une statuette asiatique en céramique, de couleur céladon, qui figurait dans la collection personnelle de Rodin.
Un clin d’œil à Wang Keping, plus inspiré par Auguste Rodin que par Aristide Maillol, dont la grande rétrospective vient d’ouvrir Musée d’Orsay se tient jusqu’au 21 aout. Avis aux amateurs de sculpture, mais seul le Musée Rodin offre la possibilité de dialoguer avec un artiste vivant.

#Thierry Dussard

Pour suivre Wang Keping

Les outils du sculpteur Wang Photo A Wang

A lire : Wang Keping, Virginie Perdrisot-Cassan, Flammarion, 2022, 224 p. 49€

Dans cette monographie qui met à l’honneur les œuvres monumentales de la maturité de Wang Keping, l’ historienne d’art Virginie Perdrisot-Cassan analyse ce répertoire de signes au sein duquel l’universalité des motifs rencontre une éblouissante variété de formes, infinies variations autour de la féminité, de l’animalité, du couple, du désir, de la souffrance et de la finitude.
Née d’un sensuel mariage entre la nature et le style, la générosité du bois et l’autorité de la main, l’œuvre de Wang Keping incarne la quête de vérité d’un artiste au destin hors norme. Membre-fondateur du premier groupe d’avant-garde chinois, le « mouvement des Étoiles », exilé politique, Wang Keping fait le choix à son arrivée en France d’emprunter le chemin ténu d’une radicale essentialisation des formes, dans la lignée de maîtres aussi divers que les artistes, cinéastes et écrivains Qi Baishi, Picasso, Matisse, Chaplin, Beckett, Zadkine, Brancusi. Le plasticien et activiste Ai Weiwei lui rend un vibrant hommage, témoignant de son admiration pour l’audace de son aîné au moment de l’exposition dissidente des Étoiles en 1979 et célébrant l’autonomie et l’intégrité de la création de celui que l’on surnomme « Le Maître du Bois ».

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