Gastronomie
Au lait crémeux ou moulé : un choix cornélien pour le gâteau au riz
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 19 janvier 2019 à 21 h 41 min – Mis à jour le 21 janvier 2019 à 20 h 37 min
De quel riz se chauffe-t-on ?
Quelle que soit la recette, n’importe quel riz ne convient pas. Il faut impérativement un riz à grains ronds, plus riche en amidon et dont les grains s’agglutinent — sans pour autant coller — à la cuisson. Mais nul besoin de choisir un riz à risotto haut de gamme tels Arborio, Vialone Nano ou Carnaroli. Il suffit d’un riz grain rond ordinaire. On le trouve sous le nom de « riz grain rond » ou « riz à entremets ».
Autrefois, les manuels de cuisine ménagère (comme Le livre de cuisine de Madame de Saint-Ange, éditée par Larousse en 1927) recommandaient le riz Caroline, un riz de qualité supérieure poli et glacé par addition de talc et de glucose pour le rendre brillant. Mais attention ! Le talc est aujourd’hui un produit controversé pour la santé dans l’alimentation. Néanmoins, il est toujours utilisé en Europe et au Japon dans l’agro-alimentaire comme anti-agglomérant, notamment dans les colorants, au maximum de 5% (E553b). Il est donc préférable de l’éviter. Tombé en désuétude, le riz Caroline reste de toute façon difficile à trouver. Mais si vous l’utilisez quand même, sachez que par précaution, c’est un riz à laver absolument avant cuisson (contrairement à ce que nous disons plus loin).
Les entremets de riz à l’ancienne
Le gâteau de riz est l’un des entremets types de la cuisine de ménage française. Mais c’est improprement qu’il est appelé gâteau — terme qui devrait plutôt s’appliquer aux pâtisseries — car c’est en réalité un pouding, c’est-à-dire un entremets moulé. [Nous aurons l’occasion de revenir sur ce mot dans un prochain article sur les poudings]. Autrefois, il était souvent moulé en forme de turban (moule en couronne) pour pouvoir accueillir une garniture en son centre : compote de fruits, fruits au sirop. Ou bien il était accompagné d’une sauce présentée à part en saucière : crème anglaise, sabayon, marmelade de fruits, coulis de pommes. Lui-même pouvait contenir des raisins secs (Corinthe et Smyrne), des fruits confits (cerises, kumquats, abricots, oranges), des amandes, des macarons écrasés, etc.
Autre particularité : le pouding de riz était proposé plus souvent tiède que froid. ainsi que sa garniture.
Il existait également une présentation de « gâteau » servi froid et ferme, généralement moulé dans un moule à charlotte, cannelé ou non, préalablement beurré et poudré de macarons écrasés. Avant d’y verser le riz — en principe, ce gâteau ne contenait pas de raisins ou de fruits confits —, on le laissait tiédir puis on lui incorporait pour moitié de la crème anglaise froide et de la crème fouettée. On le plaçait alors au frais (dans un garde-manger) plusieurs heures, jusqu’à ce qu’il raffermisse, au besoin en le mettant sur glace. Ce gâteau était souvent accompagné d’une gelée de fruits (abricots ou groseilles) délayée avec un peu d’eau, passée et parfumée au kirsch ou au rhum.
Mais bien d’autres recettes coexistaient pour varier les plaisirs dominicaux Ainsi, on pouvait incorporer au riz des jaunes d’œufs puis des blancs battus en neige, le tasser dans un moule beurré ou caramélisé et le faire cuire environ 45 minutes au four au bain-marie. Ou encore, le mélanger avec du chocolat fondu, puis des jaunes d’œufs et des blancs battus en neige, comme précédemment, et le passer 35 minutes au four au bain-marie. À servir froid avec une crème anglaise qui peut elle-même être parfumée au chocolat. Dans les deux cas, il fallait bien laisser refroidir les gâteaux avant de les démouler.
Depuis la popularisation des réfrigérateurs domestiques
La recette du gâteau de riz que l’on prépare de nos jours est simplifiée dans la mesure où, une fois cuit et refroidi, on y incorpore presque toujours deux jaunes d’œufs pour le colorer, puis un peu de blancs en neige (moins que pour un gâteau qui passe au four) pour lui donner un peu de légèreté mais on ne procède que rarement à une deuxième cuisson, le passage au réfrigérateur assurant une prise suffisante. En revanche, qu’il soit caramélisé ou non, on ne dédaigne pas d’y mettre raisins secs (trempés au rhum), fruits confits coupés en macédoine, écorces d’orange confites, etc.
Les déclinaisons classiques du riz au lait
–Le riz à l’Impératrice
C’est un riz au lait cuit selon la méthode ordinaire dans lequel on incorpore des fruits confits, de la marmelade d’abricots, de la crème anglaise « collée » (c’est-à-dire contenant un peu de gélatine) et de la crème fouettée ferme. L’ensemble doit se tenir et pouvoir se couper au couteau ou à la cuillère mais rester moelleux. Il se sert tel quel.-Le riz à la Condé
C’est un riz au lait enrichi d’abricots au sirop et nappé d’un coulis d’abricot parfumé au kirsch. La recette fut créée par le cuisinier Vatel à la mémoire du Prince de Condé.-Le riz au lait crémeux
Statistiquement, allez savoir pourquoi, c’est celui que préfèrent les hommes. Douceur lactée évoquant le sein de la mère ou le lait du biberon ?
C’est un riz au lait qui se sert dans une jatte car les grains ne sont pas aussi solidaires que dans un gâteau de riz mais simplement enrobés de la sauce crémeuse de cuisson : lait réduit à consistance de sirop, enrichi ou non de crème fouettée. Bref, c’est un dessert très lacté qui ne peut être moulé.La méthode traditionnelle
-Blanchir le riz
C’est ce qui est préconisé dans la plupart des ouvrages, même aujourd’hui : jeter le riz dans une casserole d’eau bouillante et le faire blanchir entre 2 et 5 minutes. Et pourtant, elle est très paradoxale puisque son but est d’ôter sa fécule au riz, au motif qu’elle le fait coller à la cuisson. Or, tout comme pour le risotto (préparé lui aussi à base de riz grain rond), c’est justement l’effet recherché. D’ailleurs, on ne lave pas le riz à risotto, tout au plus le secoue-t-on dans un torchon.-Jeter le riz dans le lait bouillant et le faire cuire sans remuer
Là encore, la méthode est quasi-consensuelle : on conseille de remuer au début puis de ne plus y toucher pendant la cuisson, en prévenant toutefois que le fond attachera certainement mais qu’il suffit de ne pas le prélever une fois le riz cuit. Bah non, nous ne sommes pas d’accord. D’une part parce que le goût de brûlé peut se communiquer à la masse du riz et pas seulement à la partie qui a attaché. D’autre part, parce que c’est du gaspillage. Et aussi — surtout ! — parce qu’il n’est pas facile de récurer la casserole après !
Notre méthode iconoclaste (testée plusieurs fois)
Espérons ne pas nous attirer les foudres de ceux de nos lecteurs qui reproduisent des recettes transmises par le gynécée familial depuis des lustres. Et si ça vous convient, surtout ne changez pas ! Mais si l’on choisit un bon récipient de cuisson, c’est-à-dire une grande casserole ou une cocotte en inox à fond épais (pas de fonte qui ternit le riz ni bien sûr d’aluminium, trop mince) et que la cuisson se fait sur feu très doux en remuant — mais oui, mais oui ! — toutes les 5 minutes environ, il ne devrait pas y avoir de problème.
• Le lait : Il doit être impérativement entier.
• La cuisson : Le temps de cuisson est très approximatif car il dépend essentiellement de la qualité d’absorption du rizqui est très variable d’une marque à l’autre. Cela peut demander de 35 à 40 minutes, voire un peu plus. Il faut goûter pour savoir.
• Le sucre : Il vaut mieux le faire dissoudre dans le riz après cuisson même si certaines recettes le mettent dès le départ, ce qui augmente le risque d’attacher au fond.
Si on a l’intention de mettre des raisins ou des fruits confits dans le riz, on peut revoir sa proportion légèrement à la baisse.
• Les œufs : à prévoir seulement pour le gâteau de riz : 1 ou 2 jaunes pour la coloration, 1 blanc en neige ou 2 pour un gros gâteau.
• Le froid : Dans tous les cas, il faut réfrigérer le gâteau de riz au moins 6 h pour lui donner de la tenue. Le riz au lait doit être tenu au frais.
Les chiffres-repères
Pour 4 à 6 personnes : 250 à 300 g de riz grain rond – 1 litre de lait entier – 1 gousse de vanille – 1 ruban de zeste de citron non traité (facultatif) – 150 g de sucre en poudre – 2 œufs extra-frais (pour le gâteau de riz)
+ Une noix de beurre pour beurrer le moule du gâteau s’il n’est pas caramélisé
+ 20 morceaux de sucre n° 4 pour caraméliser le moule
+ Pour un riz crémeux, on peut mettre un peu moins de riz ou un peu plus de lait ou, mieux encore, incorporer de la crème fouettée après cuisson, voire d’abord de la crème anglaise, puis de la crème fouettée, comme pour le riz à l’impératrice.
NB. Pour toutes les recettes photographiées par nos soins, le riz n’a pas été lavé et il a été jeté dans le lait froid !
Bonnes adresses et suggestions bibliographiques sur le gâteau de riz
Nos bonnes adresses…
-L’Ami Jean, 27 rue Malar, 75007 Paris – Tél. 01 47 05 86 89 – Fermé dimanche et lundi
-Ground Control, 26 avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris – Fermé le dimanche
-Guy…
Nos bonnes adresses…
-L’Ami Jean, 27 rue Malar, 75007 Paris – Tél. 01 47 05 86 89 – Fermé dimanche et lundi
-Ground Control, 26 avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris – Fermé le dimanche
-Guy Savoy, Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris – Tél. 01 43 80 40 61 – Fermé dimanche et lundi
-Chez Paul (bouchon lyonnais), 11 rue Major Martin, 69001 Lyon – Tél. 04 78 28 35 83 – Ouvert tous les jours
-L’Abordage, 2 place Henri Bergson, 75008 – Tél. 01 45 22 15 49 – Fermé samedi et dimanche
-Château de Courban, 7 rue du Lavoir, 21520 Courban – Tél. 03 80 93 78 69
Déguster
D’aucuns diront que sur un entremets l’eau est la meilleure des boissons. Mais soyons gourmands plus que puristes et proposons :
• Sur un riz aux lait à la compote d’abricots ou aux pralines (amandes), ou encore un gâteau de riz aux raisins secs, aux fruits confits ou aux écorces d’orange confites :
– Un gewurztraminer Château du Riquewihr Les Sorcières 2015 de chez Dopff & Irion
Prix : 15 € en vente directe ou sur la boutique en ligne :
• Sur un riz au lait crémeux, nature aux pralines :
– Un Touraine Château de la Grille Fines bulles rosé Extra Brut (moins de 5g/l) Méthode traditionnelle de chez Baudry-Dutour (Chinon). 100% cabernet franc, bulle fine.
Prix : 11 € en vente directe ou chez les cavistes.
Le riz au lait dans les livres
– Les Carnets de cuisine de Colette, 80 recettes d’une gourmande, Chêne (2011), on apprend que Colette aimait le gâteau de riz tiède nappé d’un coulis aux groseilles. Dans sa recette, elle blanchit le riz, le remue pendant la cuisson, lui incorpore 2 œufs entiers et 2 jaunes, puis les 2 autres blancs en neige avant de le passer 45 min au four dans un moule caramélisé.
– Jean Giono, La Provence gourmande, le goût du bonheur, Belin (2013), sa fille Sylvie nous raconte que « T. S. Eliot (Nobel de littérature en 1948), qui était venu déjeuner à la maison, avait interrompu ses discussions littéraires avec mon père pour féliciter ma mère pour le meilleur pudding (de riz) qu’il ait mangé ! »
– Benoite Groult, La Touche étoile, Grasset (2006) : « [Les femmes d’aujourd’hui], ce sont des stakhanovistes : amour et amours, indépendance financière et morale, culture et amitié, un ou deux sports, un ou deux amants, un ou deux enfants. Et tout cela sans les facilités dont nous, les bourgeoises d’avant 68, disposions. Et j’oubliais que nous disposions aussi des grands-mères d’antan, disponibles à la demande pour les jeudis, les week-ends, et les grandes vacances. Des grands-mères qui savaient faire les œufs à la neige, le riz au lait, la mousse au chocolat au lieu de les acheter en barquettes. »
– Jan Chozen Bays. Manger en pleine conscience : La méthode des sensations et des émotions (2006).
« Il existe un dicton zen selon lequel on ne peut assouvir la faim avec l’image d’un gâteau de riz. La seule façon de satisfaire la faim du corps, c’est de manger le gâteau de riz. Et la seule façon de satisfaire la faim du cœur et de l’esprit, c’est de manger le gâteau de riz en pleine conscience. »
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