Culture
Bollywood superstars, histoire d’un cinéma indien (Musée du Quai Branly - Kaph Books)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 18 octobre 2023
Avec plus de 1500 films produits par an dans une vingtaine de langues, l’Inde est le premier producteur de cinéma au monde. Il reste méconnu. Bollywood superstars retrace plus d’un siècle de cinéma indien : d’une tradition à conter des histoires, à la starification des comédiens, du triomphe des comédies musicales, à sa diversité culturelle. La scénographie immersive du Musée du quai Branly – Jacques Chirac a plongé Baptiste Le Guay dans l’exubérance d’une véritable « anthropologie visuelle« , du folklore mythologique au glamour clinquant, pour projeter jusqu’au 14 janvier 24 la pluralité de l’imaginaire indien.
Sonder les affinités qui lient l’Inde au cinéma
Pour illustrer l’ambition cette exposition « d’anthropologie visuelle », , le parcours s’ouvre sur une vaste fresque chronologique du cinéma indien : de 1890 avec l’apparition de la lanterne magique jusqu’aux blockbusters bollywoodiens en 1970 et l’acteur emblématique Amitabh Bachchan des années 80.
Le visiteur y découvre les raisons pour lesquelles le médium, a agi comme révélateur identitaire, tantôt confortant la diversité du pays dont il a épousé les facettes multiples, tantôt concourant à l’édification d’une conscience panindienne forte, face à l’occupation coloniale anglaise notamment.
Emmanuel Kasarhérou, Président du musée du quai Branly – Jacques Chirac, préface du catalogue
Reflets de la diversité des histoires, des identités locales, des langues du pays, Bollywood est présenté comme une industrie régionale parmi d’autres, à l’instar de Tollywood, de Mollywood ou encore de Kollywood.
Voir les dieux, les racines du cinéma puisent dans les arts populaires indiens
A peine un an après les premières projections des frères Lumières à Paris, les spectateurs indiens découvrent les images animées en 1996.
Les premiers films indiens s’inspirent d’histoires mythologiques vieilles de plus de 2000 ans. Le cinéma indien puise au début dans ses arts populaires comme des peintures de conteur déroulé sur du papier à la verticale, appelé « ragamala » (guirlande de peinture représentant les sentiments exprimés par un mode musical) et dans ses danses régionales.
Le cinéma devient un nouveau dispositif pour sortir les dieux des temples et de les rapprocher des fidèles.
Afin de s’adresser à tous, dans une communauté nationale encore abstraite au tournant du XX e siècle, les premiers films vont mettre à l’honneur des dieux et des héros qui, pense-t-on alors, sont communs à l’ensemble du sous-continent »
Julien Rousseau et Hélène Kessous, commissaires de l’exposition.
C’est l’apparition d’une nouvelle technologie de l’image notamment avec le bioscope qui permet de faire défiler les images à l’aide d’une manivelle pendant que les spectateurs regardent à travers de petits hublots. Cette boîte à images serait encore utilisée dans les foires aujourd’hui.
Avec des intrigues à tiroirs, des armes magiques, des animaux fantastiques ou encore des prouesses surhumaines, la mythologie indienne, terreau de tout un imaginaire épique, constitue un réservoir vivace, jamais épuisé.
Amandie D’Azevedo, Kaléidoscope d’images mythologique
Les lanternes magiques
Arrivée dans les bagages des Britanniques à des fins de propagande coloniale, la lanterne magique est vite réemployée pour la diffusion d’imageries religieuses. C’est à la fin du XIXème siècle que Mahadeo Gopal Patwardan et M.M Pitale projettent des images en couleurs et en mouvement pour donner vie aux dieux. Comme pour le cinéma muet, les projections s’accompagnent de musique et d’un récit explicatif.
Souvent présentée comme un pré-cinéma, la lanterne magique coexiste avec le cinéma jusque dans les années 1920. L’image projetée sur un mur peut être changée par le visiteur en passant d’une plaque à l’autre, représentant Krishna vaincre un serpent. C’est à partir de cet éveil que le pionnier du cinéma indien, Dadasaheb Phalke va devenir le premier réalisateur professionnel du pays. Appartenant à une élite cultivée originaire de Mumbai, le metteur en scène voit dans le cinéma un agent de construction identitaire et d’éveil national. Le cinéma mythologique connaît un succès immédiat où de nombreux réalisateurs s’engloutissent dans le genre par la suite.
Ces épopées fantastiques appelées Ramayana et Mahabharata racontent des histoires mélangeant batailles, romantisme et spiritualité. Massivement jouées par des compagnies de théâtre ambulant, ces épopées sont adaptées en film et séries télévisées.
L’âge d’or du cinéma hindi entre 1940 et 1960
Paradoxalement, l’âge d’or du cinéma de Mumbai (Bombay) succède à l’effondrement des grands studios dans les années 1940. D’illustres réalisateurs tels que Raj Kapoor et Guru Dutt commencent à émerger et leur nom restera gravé dans le cinéma populaire hindi. Un âge d’or s’accompagnant de la montée des stars et du déclin des studios. N’étant plus affiliés à un studio en particulier, les acteurs démultiplient leurs engagements, parfois en allant jusqu’à tourner un film le matin, un film l’après-midi et un autre le soir.:
Raj Kapoor fait ses armes à la Bombay Talkies, studio-phare des années 1930. Après ses premiers films Awaara (Le vagabond, 1951) et Shree 420, il ancre son cinéma dans un discours social et campe un personnage de vagabond inspiré de Charlot de Chaplin.
https://youtu.be/VY1pWTek2sY
Artiste complet, sachant danser auprès du grand danseur et chorégraphe Uday Shankar, Guru Dutt travaille les moments de musique et de danse avec un soin exceptionnel. Le cinéaste a la sensibilité exacerbée, ravagé par ses démons intérieurs, il contera les difficultés d’un artiste dans le monde moderne. Il réalise Pyasaa (L’assoiffé, 1948), récit d’un poète maudit aimé d’une prostituée et dans Kagaz ke Phool (Fleurs de papier, 1959), critique acerbe du monde du cinéma.
Satyajit Ray, icône du cinéma d’auteur
A l’étranger, la diversité du cinéma indien est peu connue. Nous associons souvent de manière réductrice tout le cinéma à Bollywood où les films sont chantés et dansés. Ou alors nous opposons de manière binaire ce style commercial au cinéma d’auteur de Satyajit Ray. Bien qu’il y ait une véritable différence entre les deux, la proposition cinématographie indienne est bien plus nuancée.
Filmer l’Inde autrement
Les films de Ray ont en commun de décrire la trajectoire de personnages et la complexité des liens les unissant, leur soif d’émancipation, leurs questionnements.
A sa manière, Ray est une vedette car il incarne le réalisateur touche à tout et hyper créatif. Le metteur en scène dessine, compose sa propre bande son originale, confectionne les vêtements et les décors de ses films. Ray s’implique totalement sur tous les plans de la création artistique. Il devient la référence ultime des jeunes réalisateurs qui s’inspirent, voire copient son travail en espérant l’égaler un jour. Son influence va le faire connaître des cinéphiles occidentaux et transformera l’image de l’Inde avec un cinéma néo-réaliste qui perdura par la suite.
https://youtu.be/gnF1fNsg__k
Maharaja et grands moghols, l’histoire illustré sur grand-écran
Avec des budgets colossaux, les films historiques rencontrent des succès inégalés au box-office indien. L’exemple le plus marquant est Mughal E-Azam (1960), qui restera pendant 15 ans le film le plus rentable de l’histoire
Le récit se passe au XVIème où le prince héritier Salim va tomber amoureux d’une danseuse Anarkali. Son père, l’empereur Akbar, désapprouve cette relation, ne pouvant concevoir que son fils aime une esclave. Un désaccord provoquant une guerre déchirante entre père et fils.
A travers la beauté des royaumes Moghols et radjputes, le genre met en scène le rêve unitaire de l’Inde en reprenant les moments les plus glorieux de son histoire.
Les single-screen, symbole de la cinéphilie indienne
Les single-screen sont des cinémas comprenant une seule salle, donc avec un seul écran, et font partie de l’héritage culturel et architectural en Inde. Ces salles populaires sont devenues le symbole du cinéma « bigger than life », un divertissement de masse.
C’est dans l’Inde indépendante des années 1960-1980 que les foules se ruent dans ces Single Screens pour se retrouver entre amis ou en famille, pour vivre les aventures de ses héros préférés. L’une de ces figures, si ce n’est la plus populaire est Amitabh Bachchan, surnommé le « jeune homme en colère ». Il bâtit ce personnage à travers des films qui l’érigent en playboy comme dans Zanjeer (1973), Deewaar (1975), Sholay (1975) et Don (1978).
L’exposition a reconstitué un décor de single screen avec des sièges et une toile projetant Sholay, western hindi emblématique des années 1970.
Le star-system made in Bollywood
Le panthéon des stars indiennes est gigantesque avec une liste continuant de s’allonger au fil des décennies. Elevés au rang de demi-dieux, installés ou en pleine ascension, ces emblèmes du cinéma ont la capacité d’émouvoir le spectateur avec un seul mot, d’un geste ou d’un regard.
La fin du parcours propose une création visuelle montrant une sélection des moments iconiques du cinéma indien, des années 1970 à 2010.
La chorégraphie boolywodienne dont vous êtes le héros
A la fin de cet envoutant parcours, chacun peut s’intégrer au décor (via un fond vert) et participer à d’une scène de danse d’un film Bollywood. Une dernière note immersive de cette histoire du cinéma indien, de ses prémices à son âge d’or en passant par ses vedettes et ses différents styles cinématographiques.
Pour aller plus loin sur Bollywood
Jusqu’au 14 janvier 24, Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37 quai Jacques Chirac, Paris 7.
ouvert tous les jours de 10h30 à 19h sauf jeudi fermeture à 22h – fermé le lundi
Catalogue – Sous la direction de Julien Rousseau et Hélène Kessou. Remarquablement illustré, il restitue à travers articles et documents l’impressionnant kaléidoscope culturel du cinéma indien. Il ne s’arrête ni à la spécificité du cinéma produit à Bombay, connu sous le nom de Bollywood, ni à son célèbre star-system.
Au contraire, il embrasse une multiplicité de répertoires narratifs et stylistiques qui sont autant de reflets de la diversité des histoires, des identités locales, et des langues, à l’image du pays dont il est originaire. Ce 7e art concentre les influences esthétiques diverses d’une culture visuelle séculaire, extrêmement riche, contribuant à l’unité d’un pays-continent et à son rayonnement international.
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