Culture
Camille Claudel à l’œuvre : Sakountala (Musée Camille Claudel, Nogent-sur-Seine - Silvana)
Auteur : Robert Mauss
Article publié le 11 septembre 2024
A l’occasion du 160ème anniversaire de la naissance de la sculptrice (1864-1943), son musée éponyme de Nogent sur Seine organise jusqu’au 12 janvier 2025 « Camille Claudel à l’œuvre : Sakountala » propose d’entrer au cœur de sa création à l’histoire mouvementée. Rassemblant près de cent objets notamment du Musée Rodin, la force de l’exposition et du catalogue Silvana pour Robert Mauss est d’embrasser sa source d’inspiration littéraire, nous plonger sur le processus créatif de Sakountala et les nombreuses variations d’un chef d’œuvre qui fut redécouvert très dégradé dans les années 70.
Un chef-d’œuvre de la littérature indienne
Un jour forcément lointain, car la mythologie hindoue répond à une temporalité immémoriale, le roi Dushyanta rencontra la merveilleuse Sakountala dont il tomba éperdument amoureux. La princesse aussi sombra dans la passion. Hélas frappé par une malédiction, le roi devenu amnésique oublia la belle. Un sort que des millions d’hommes ont vécu, vivent et vivront à travers les âges. Heureusement pour les amants, la malédiction fut levée. Dushyanta retrouva Sakountala et de leurs amours naquit Bahrata, père mythique de la nation indienne.
Le poète Kalidasa retranscrit ‘’La reconnaissance de Sakountala’’ entre le IVe et le Ve siècle de notre ère, ode considérée comme un chef-d’œuvre de la littérature indienne.
Un mythe à la mode dans l’Europe du XIXe et du début du XXe siècle.
Cette histoire d’un amour passionnel fut traduite dans de nombreuses langues (en 1830 en français) pour engendrer une floppée de romans et de pièces de théâtre dont un drame en sept actes (pas moins) en prose et en vers des talentueux Abel Bergaigne et Paul Lehugueur. Le chorégraphe Lucien Petipa de l’Opéra de Paris crée en 1858 un ballet autour de cette tragédie, d’après un livret de Théophile Gautier. Et bien d’autres encore, que la postérité a plus ou moins retenu et que l’exposition se fait un devoir de sortir des limbes.
Deux mètres de passion en plâtre
De cette prolixe iconographie, la ‘’Sakountala’’ de Camille Claudel figure comme un joyau. L’original en plâtre saisit le moment où le Dushyanta retrouve la mémoire et enlace dans mouvement infini son amour absolu. Vers 1886, Camille Claudel modèle trois esquisses, aujourd’hui conservées au musée Rodin et au musée d’Orsay. Coulée dans un bronze vert de près de deux mètres, l’œuvre saisit le visiteur à peine entré au musée de Nogent sur Seine.
Le parcours permet suivre au plus près et de comprendre le processus créatif de la statue. Malgré le don du modèle en plâtre au Musée de Châteauroux, Camille Claudel n’abandonne pas le projet de traduire son œuvre en matériau noble.
En marbre ou en bronze, elle élabore des variantes du groupe sous différents titres, de L’Abandon à Niobide blessée en passant par Vertumne et Pomoneen en modifiant l’échelle, mais aussi des détails de l’iconographie et parfois la composition.
Tragédie d’un génie
Le destin de l’œuvre constitue une allégorie de celui de l’artiste. Camille n’a que 21 ans quand elle la présente au Salon des artistes français en 1888. Il s’agit de l’unique œuvre de l’artiste récompensée par des jurys pourtant peu enclins à soutenir le travail d’une femme. L’affaire fit grand bruit. Camille ne reçut jamais la commande de l’état qu’elle était en tout de même en droit d’espérer et qui lui aurait permis de continuer son travail.
Un silence prude entoura la sculpture enfouie et oubliée pendant des décennies dans une réserve du musée de Châteauroux où elle se dégrada. il faut attendre le travail de l’historien Jacques Cassar et la redécouverte de Camille Claudel à la fin des années 1970 pour que Sakountala soit mise à l’abri puis à nouveau présentée au public.
Le même silence d’incompréhension nimbe la vie de la malheureuse artiste internée pour démence, abandonnée de tous, à commencer par son frère le dramaturge Paul Claudel et Rodin, la passion de sa vie mais qui refusa de devenir son Dushyanta
Un musée dédié à la sculpture
Ah, nous avons faillé oublier : les visiteurs de l’exposition ne doivent surtout pas omettre de découvrir les collections du musée. Ils pourront savourer les œuvres originales d’Alfred Boucher, de Paul Dubois, de Marius Ramus, et à l’étage celles d’Auguste Rodin et bien sûr de Camille Claudel. Le musée recense une quarantaine d’œuvres de l’artiste, sans doute la plus importante collection du genre.
Pour aller plus loin
jusqu’au 12 janvier 2025, Camille Claudel à l’œuvre : Sakountala, Musée Camille Claudel, 10, rue Gustave Flaubert, 10400 Nogent-sur-Seine – Tél. : +33 3 25 24 76 34
jusqu’au 31 octobre, du mardi au dimanche de 10h à 18h – Fermé le lundi
du 2 novembre au 12 janvier, du mercredi au dimanche de 10h à 17h – Fermé le lundi et le mardi, le 25 décembre et le 1er janvier
Catalogue, Silvana, 112 p. 20€. Il réunit des textes explorant le contexte de création et de réception de Sakountala de Camille Claudel ainsi que ses multiples avatars mais aussi la source littéraire qui a inspiré l’artiste : le mythe indien de La Reconnaissance de Sakountala. Essais inédits et notices d’œuvres proposent ainsi un regard renouvelé autour de cette œuvre majeure, la seule qui ait valu à Camille Claudel une récompense au Salon et qu’elle n’aura eu cesse de reprendre jusqu’à la fin de sa carrière.
A voir : Sakountala, spectacle créé en 2000 par Marie-Claude Pietragalla pour le Ballet national de Marseille, évoque, dans une grande fresque spectaculaire, la vie et l’œuvre de Camille Claudel).
Se rendre au musée depuis Paris
- Depuis la gare de l’Est : trajet d’une heure puis 10 minutes à pied jusqu’au musée
- En voiture : trajet d’environ 1h20 par la nationale 4 ou par l’A5 (sortie 18) et la départementale 231
Le musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine
Le hasard qui fait parfois bien les choses a voulu que Nogent-sur-Seine petite ville du département de l’Aube soit la patrie de plusieurs sculpteurs importants : Alfred Boucher, Paul Dubois, Marius Ramus et least but not least Camille Claudel. La famille de l’artiste vécut à Nogent de 1876 à 1879. C’est là que la jeune fille (1864-1943) rencontra Boucher, sculpteur alors très en vogue. Médusé par le talent de Camille, Boucher fit le nécessaire pour qu’elle intègre pour le meilleur et le pire l’atelier d’Auguste Rodin.
La ville de Nogent sur Seine a repris le bâtiment, confié la rénovation à l’architecte Adelfo Scaranello. Inauguré en 2017, le musée reprend les collections de l’ancien musée Boucher-Dubois et un fonds considérable obtenu par des acquisitions, des actions de mécénat et des legs, en particulier de la petite-nièce de Camille, Reine-Marie Paris.
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