Culture

Carnet de lecture de Daniel Isoir, pianofortiste, cofondateur de La Petit Symphonie

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 15 octobre 2020

Musicien complet, le claviériste Daniel Isoir pratique piano ou pianoforte en soliste et en collectif avec La Petit Symphonie. Avec une exigence de convivialité et une éthique de l’intimité : concilier la pratique de la musique symphonique avec l’ambiance murmurée de la musique de chambre. Avec ses complices, il interprète Beethoven et Haydn le 18 octobre à Sarrebourg.

Une éthique de l’interprète

Daniel Isoir, pianofortiste, cofondateur de La Petit Symphonie © DR

De son père le grand organiste André Isoir (1935-2016 ) et du pianiste Paul Badura Skoda (1927-2019) qui fut l’un de ses maîtres, Daniel Isoir a retenu une éthique : vivre la musique au service des créateurs avec exactitude et audace. Sa définition de l’interprète reprend les mots de Badura Skoda : « S’efforcer de saisir au mieux le message de la musique, posséder l’aptitude à le traduire, et persuader son auditoire que l’effet désiré est obtenu. » Pour des artistes de cette trempe, rien n’est jamais acquis. L’interprète ne cherche pas des solutions toutes faites ou des indications de jeu confectionnées d’avance, mais de restituer la partition avec une attitude recréatrice.  Ce dynamique se nourrit d’une constante remise en question : des textes, des instruments et souvent même de soi.

Ne pas séparer facture et composition

Comme ses maîtres, Daniel Isoir est persuadé qu’il existe une relation fondamentale entre la facture  et la composition. La révélation vient d’une intime connaissance des instruments ; depuis la restauration d’un pianoforte de Clémenti aux côtés de son père, et la construction d’un pianoforte de l’école Stein sous la supervision du facteur Ryo Yoshida.  Même sa carrière de pianiste se poursuit, il adopte de plus en plus le pianoforte, dont il apprécie la « fragilité » qui se fond et se marie subtilement avec un son collectif, avec cette capacité « de murmurer le message universel des compositeurs – de Mozart à Beethoven – à l’oreille de chaque auditeur en toute intimité ».

L’aventure de La Petite Symphonie

De l’intuition à la confirmation des recherches musicologiques. Alors que les tailles des salles exigences toujours plus de projection des instruments et plus d’interprètes dans les parties d’orchestre, avec ses complices de La Petit Symphonie qu’il réunit en 2006, il choisit le chemin inverse. « Une vision un peu extrême de l’orchestre, reconnaît-il dans le texte de son enregistrement des trois Concertos n°13.14.et 27 de Mozart (cd Agogique). « Pour être au plus près de leur esprit , de la finesse de leur orchestration et aussi pour respecter un meilleur équilibre sonore entre le pianoforte et ses partenaires, il nous a semblé que l’orchestre devait être absolument minimal » : instrumentiste par partie, soit douze musiciens.
Si les recherches musicologiques confirment que Mozart écrivant ses concertos pour son usage personnel, l’orchestration convient parfaitement à cette formation. Mais, ce qui enthousiasme vraiment le chef de bande, c’est que « s’ajoute le plaisir de faire tout simplement de la musique entre amis, en toute convivialité.  Comme en musique de chambre, l’ensemble sans chef permet à chaque musicien de participer à égalité au processus d’interprétation. »

Une expérience musicale et humaine renouvelée

Cette intensité partagée due au dialogue direct entre les musiciens et à la plus grande souplesse agogique, pénètre au cœur des œuvres dont ils font revivre la fraîcheur mélodique, tout en accusant les zones d’ombre et de lumière. Après les Concertos, les deux Quatuors avec pianoforte, K 478 et 493 (Muso) réunis dans un second enregistrement paru en avril « s’épanouissent dans une ambiance plus intérieure et secrète, sans perdre totalement son côté brillant été extraverti », comme l’analyse finement Isoir.

C’est tout un répertoire très vaste qui grâce à cette bande d’amis un peu à contre-courant, gagne une profonde humanité marquée d’une rayonnante tendresse :  des symphonies à l’opéra,  de géants très fréquentés comme Haydn, Mozart, Beethoven mais aussi belles personnalités à redécouvrir : Joseph Martin Kraus, Franz Beck, Wilhelm Friedmann, Carl Philip Emanuel Bach, entre autres…. Cela ne devient plus qu’une question de curiosité et de passion, dont heureusement, Daniel Isoir ne manque pas, et qu’il sait partager.

D’autant que le projet plus modeste économiquement est taillé pour aller à la rencontre du public. Tendez donc vos oreilles, elles découvriront du nouveau.

Carnet d’écoute de Daniel Isoir

César Franck Par André Isoir. Mon enfance a été évidemment fortement marquée par  l’orgue, mes deux parents étant organistes. Mes premières émotions musicales, dans mon souvenir, étaient liées à la musique de César Franck, et notamment au fabuleux troisième choral, ou au Prélude Fugue et Variation, que j’ai dû entendre joués par mon père André de l’autre côté de la cloison de ma chambre, sur son petit orgue Schwenkedel à un jeu lorsque j’étais enfant.  Ensuite, j’ai passé beaucoup de temps aux tribunes d’orgues, à aider aux registrations, tourner les pages,ou tenir le clavier lorsque mon père accordait. Pour l’ enfant que j’étais ces tribunes étaient des endroits particulièrement fascinants, et j’en ai un souvenir très vif.
Malgré cela, je me suis tourné vers le piano, et assez tôt vers les pianos anciens, et n’ai jamais joué d’orgue. Il n’empêche que César Franck est un compositeur qui m’est resté très cher, et je suis très heureux que le prochain disque en solo que j’ai enregistré et qui sortira en mars 2021 lui soit consacré. J’ai eu d’ailleurs envie d’y insérer, entre les grands triptyques pour piano, les transcriptions pour piano du troisième choral pour orgue et du prélude fugue et Variation. Le disque sera édité chez Muso.

Daphnis et Chloé dirigé par Boulez, et l’intégrale Ravel par Samson François : Dans mon adolescence, j’ai un temps arrêté le piano, pour apprendre la guitare et le hautbois. J’ai entendu, presque par hasard, Daphnis et Chloé de Ravel. Cette écoute a été déterminante dans mon choix de me lancer dans la musique.

J’ai ensuite écouté en boucle toute la musique de Ravel, notamment l’intégrale par Samson François (1924-1+70) qui reste à ce jour ma préférée.  Nous avions à la maison de vieilles partitions de pièces de Ravel, Gaspard de la nuit, la sonatine, etc… Je me suis donc lancé à corps perdu dans le déchiffrage de Scarbo, qui m’impressionnait énormément. Après quelques semaines, j’ai dû me rendre à l’évidence que ce n’était pas faisable pour mon petit niveau de piano. Mais ça a relancé mon envie de jouer du piano et j’ai passé quelques années à faire mes expériences sur l’instrument. Ce n’’est que plus tard que j’ai commencé à prendre des cours avec Luisa Sorin, formidable petite dame énergique, pianiste ayant travaillé à Buenos Aires et à Moscou, et à qui je dois beaucoup.

Mozart – Concertos pour piano n° 13, 14 et 27 (Le Petite Symphonie – Agogique)  C’est en 2000 que m’est venue l’envie d’un ensemble orchestral réduit autour d’un pianoforte. Cette année-là, j’ai pu jouer en petite formation le concerto en la K.488 de Mozart sur mon tout nouveau pianoforte d’après Stein, construit par Ryo Yoshida et moi-même. Ça a été une révélation, de pouvoir jouer ce répertoire comme on jouerait un quatuor de Mozart ou un trio de Schubert, avec toute la souplesse que permet la musique de chambre. Quelques années plus tard, en 2006, nous avons créé La Petite Symphonie en jouant, pour notre premier concert, plusieurs concertos de Mozart, dont le dernier: le 27ème en si bémol Majeur  K.595 de Mozart: C’est un concerto pour lequel j’ai une tendresse particulière, et que je considère comme l’un des plus beaux de tout le répertoire: son côté intimiste, la douce résignation qu’il semble exprimer,  les modulations inouïes du premier mouvement, la virtuosité du finale, la simplicité merveilleuse du mouvement lent. Nous avons eu la chance de pouvoir l’enregistrer en 2012, et cet enregistrement reste l’un de ceux que j’écoute encore aujourd’hui avec grand plaisir. Avec la Petite Symphonie, ce répertoire de concertos de pianoforte,  joué en formation de chambre, dans cet esprit de camaraderie, me procure toujours un bonheur très intense. Cette année, année Beethoven, nous nous lançons dans plusieurs de ses concertos, notamment le 2ème opus 19, qui est l’un de mes préférés.

Stravinski: Le sacre du Printemps (dirigé par Stravinsky ou la magnifique version de Boulez de 1963)
J’ai beaucoup écouté le sacre du printemps étant enfant. Dans une version avec Stravinski à la baguette. Des années plus tard, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le jouer au piano, à 4 mains ou à 2 pianos, et même un jour sur un grand double piano Pleyel, avec un grand ami aujourd’hui décédé et magnifique pianiste, Michel Benhaïem. Nous l’avons joué à de nombreuses reprises, et ce travail consistant à essayer de recréer la dynamique orchestrale, les timbres et les plans sonores était passionnant. La version pour piano , de Stravinski lui-même, outre le fait qu’on peut avoir le plaisir de jouer le sacre dans son salon,  par son côté dépouillé et analytique, permet une compréhension très fine des harmonies et de la structure de l’œuvre. Pour moi, même cent ans plus tard, le sacre reste la musique la plus puissante jamais écrite. Récemment, j’ai pu l’entendre jouer, sans chef, avec une énergie folle, par l’ensemble Les Dissonances (David Grimal).

Pour suivre Daniel Isoir et La Petit symphonie

Le site de La Petite Symphonie 

Prochains concerts du programme « Tempête et Passion » : Beethoven Concerto n°2 Opus 19 – Haydn, Symphonie n°78 en ut mineur, Joseph-Martin Kraus Ouverture d’église

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