Culture

Carnet de lecture de Sandrine Piau, soprano colorature.

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 2 avril
 2021

De la virtuosité baroque à la mélodie européenne, la soprano Sandrine Piau fréquente des répertoires vocalement périlleux et théâtralement exigeant. Privilégiant l’intensité dramatique, la colorature française garde une curiosité et une polyvalence intactes très recherchées. Sa discographique est un concentrée d’ouvertures, d’exigence, et d’émotions libérées. En quelques mois, elle s’est enrichie avec Haendel, Mozart, Haydn et Strauss. Battante, vous dis-je !

Jamais débordée par la brillance de sa voix

Sandrine Piau se jouer du clair-obscur comme de la brillance de sa voix © Sandrine Expilly 2020

Voix du ciel ou des enfers, ange ou magicienne, la colorature fréquente les répertoires vocalement les plus périlleux. « Toute ma vie, la musique a représenté pour moi la possibilité d’un envol. confie-t-elle à Forumopera.com le 180321. C’est ma façon de voler. Pas forcément d’échapper à la réalité. »
Tête froide, chant tout en délié et en brûlure des sens, la soprano légère française cerne avec lucidité le mystère de sa voix : « On est toujours le dernier informé sur ce que votre voix peut produire. On ne sait pas pourquoi les gens sont émus alors que vous vous sentez en dehors de votre prestation ; pourquoi les gens ressentent une lumière ou un espoir dans votre timbre alors que vous êtes absolument désespérée à ce moment-là. Et je pense que c’est ça qui est beau : tout est fait de rebonds et de ricochets dans la vie ! »
Généreuse, cet enthousiasme, elle le partage avec volupté, quelques soient les contraintes.

 Toute la jolie personnalité d’une artiste humble

L’émotion, elle la sculpte à bras le corps au sens propre – il faut voir son visage métamorphosé par la ferveur – et figuré, tant elle sait lui donner du relief en quelques notes. L’opéra baroque, bien sûr depuis qu’elle s’est faite happée un peu par hasard par les chœurs de Philippe Herreweghe puis la troupe de William Christie en 1987, reste toujours un tremplin de nouvelles expériences qu’elle multiplie en soliste, mais souvent le temps d’un air ou deux dans de nombreux projets.
Refusant la facilité de la performance pure, l’ancienne harpiste et page de la Maîtrise de Radio France a privilégié tout le long de sa carrière l’intensité et le sens dramatique : « La pureté des voix aiguës fait oublier fugitivement l’imperfection et la fragilité humaine. Je cherche à comprendre la fascination et le rejet qu’elles suscitent tour à tour. » Loin des excès – des facilités parfois – que son répertoire de funambule peut susciter, celle qui ne s’est jamais laissée débordée par la brillance de sa voix revendique la prime à la théâtralité. Et sa liberté de ne pas se laisser enfermer dans le baroque ; « Je n’ai jamais pu, ni vocalement, ni physiquement abandonner un terrain pour un autre… »

Avec une ligne de conduite d’une éthique impeccable pour respecter le sens précis de chaque rôle qu’elle définit avec lucidité : « La classe absolue pour une colorature, c’est de ne jamais tomber dans le racolageIl ne s’agit pas de décoration, mais de souffrance, d’inquiétude, d’agitation. »

Une curiosité et discographie exemplaires

Refusant les cloisonnements, guidée par sa curiosité et son instinct, son répertoire s’étire sur plus de trois siècles de qu’elle ne cesse d’investir avec gourmandise. Et amitié, cette anti-diva n’hésite en effet jamais à répondre aux sollicitations de jeunes musiciens parfois pour un air ou deux, comme ces Schubert in Love, Haydn La Reine, Rétrospective, compositions d’Armand Amar …

Sa magnifique discographique – de près 200 titres référencés sur Deezer ! – en témoigne ; une trentaine de disques individuels et des dizaines en troupe aiguillonnés par les meilleurs chefs baroques sur plusieurs générations qui trouvent en Piau une interprète idéale ; des cycles Vivaldi, Charpentier, Haendel, Pergolese, Rameau, … avec William Christie, Christophe Rousset, Christophe Spinosi, Emmanuelle Haïm, Jérôme Corréas, Jonathan Cohen, Ophélie Gaillard…. Sans oublier Mozart qu’elle n’a jamais cessé « de travailler comme un principe d’hygiène vocale. insiste-t-elle  Il a été pour moi une colonne vertébrale, … Il y a là toute une palette de sentiments, mais aussi quelque chose de magique pour la voix, c’est comme un remède miracle ». Et le mélomane le aussi ;  du cycle archi-visité de la Trilogie da Ponte, jusqu’aux partitions moins connues comme ces airs d’Héroïnes désespérées (Ivor Bolton) ou ce Betulio Liberata K118, seul oratorio achevé à 16 ans, injustement oublié, Christophe Rousset, qui en fait jaillir toute la fraicheur. (Aparté, 2020) .

Clair-obscur, un chant tissé d’éclats et de couleurs

En parallèle de cet engagement lyrique polyvalent, la mélodie a pris une place importante dans son travail où là aussi la colorature refuse de laisser enfermer. « L’antagonisme entre lumière et obscurité, le clair-obscur… ce que Sandrine Piau confie dans le livret du cd Clair-Obscur (Alpha), éclaire sa passion. Il y a dans la musique des vestiges de peinture, des flashs d’ombre et de lumière, des envolées comme le geste suspendu du peintre. Car il est aussi question de couleurs, de nuances, de dégradés, de pointillisme… Telle une esquisse, la portée incarne cette liaison entre écriture et peinture, entre noir et blanc, immobilité et mouvement. Le clair-obscur, choc des couleurs absentes, rencontre impossible des contraires, symbolise pour moi la richesse de la musique qui, parée de mystère, crée des unions sans pareilles. »
Sa voix caméléon épouse ou fusionne avec merveille les mots et les notes dans des programmes où elle embarque tout un continent de compositeurs et de genres ; français bien sûr de Debussy à Vierne (Si j’ai aimé), en passant par Chausson et Silvestre (Evocation) anglais (Baksa, Barber) mais aussi allemand de  Schumann, Wolf ou Loewe (Chimère) enfin, Berg, Alexander von Zemlinsky et Richard Strauss (Clair-Obscur), où sa voix ‘fermée’ à l’allemande est idéale.
Autant de gisements de bonheur vocal que la colorature sait nous faire partager. En profondeur. Son chant admirable d’éclats et de couleurs bouleverse autant l’oreille qu’elle suscite la raison de l’auditeur.

Carnet de lecture de Sandrine Piau, mezzo soprano.

« Je vais commencer par la lecture, car c’est un peu notre colonne vertébrale en ce moment. Il y a des fondamentaux :des livres de chevet qui sont toujours là que j’ouvre au hasard, pour en relire quelques phrases. C’est le cas de Marguerite Duras. J’ai découvert moderato cantabile à l’école et cela a été un choc, peut-être parce que son écriture est tellement musicale, notamment dans ce livre. Je n’étais pas certaine de comprendre toujours le sens, mais la forme me touchait profondément. J’ai retrouvé cette sensation en chantant les illuminations de Britten sur des poèmes de Rimbaud ; Ou encore les trois poèmes de Mallarmé mis en musique par Debussy. Ce rapport à la beauté intrinsèque des mots indépendamment du sens qui naturellement apportera encore plus de beauté. Aussi Véronique Ovaldé dans Toutes choses scintillant.

Et puis quelques lectures en apparence plus légères, poétiques comme « Le Dictionnaire amoureux de l’inutile de François et Valentin Morel (Plon). En ce moment je lis Héritage de Miguel Bonnefoy , suivra  Les enfants sont rois de Delphine de Vigan. Son roman Rien ne s’oppose à la nuit avait été un grand choc.

Le polar reste quand même notre lien avec les contes horribles d’enfance. J’aime particulièrement ceux de Karyl Férey qui peignent toujours avec un soin incroyable le contexte de ses intrigues : l’Amérique du Sud , le Grand Nord etc. Fred Vargas reste un grand must!  J’attends chaque nouveau tome avec impatience.

En ce qui concerne la musique il est difficile pour moi d’en parler car le spectacle vivant avec la présence charnelle des artistes est absolument primordial.

J’ai beaucoup de mal à regarder des concerts en streaming alors que c’est grâce à ce formidable biais que la culture ne meurt pas.

1000 mercis.

1000 mercis au nom de tous mes amis non-musiciens, mais mélomanes qui me confient à quel point ces captations leur font du bien. Peut-être suis-je trop douloureusement impliquée pour pouvoir être des deux côtés. Je reste dans l’action quand c’est possible et espère que de l’autre côté du miroir notre public récupère un peu de l’émotion que nous essayons de communiquer et de vivre avec eux.

Parmi des spectacles extrêmement forts, je conseille: Le songe d’une nuit d’été de Britten  mis en scène par Robert Carsen

ou le diptyque magnifique du metteur en scène Pierre Audi Tamerlano et Alcina de Haendel.

Reste donc le disque qui comme le livre peut être un plaisir solitaire , sans public rassemblé.

Nuits de Véronique Gens avec l’ensemble I  Giardini (Ropartz en particulier !). Véronique Gens a ce talent de conteuse , cette émotion contenue, ce fond de mélancolie propre.

Toujours et encore le disque Schubert enregistré par Margaret Price et Wolfgang Sawallisch (ce disque est comme un doudou ou comme l’histoire que les enfants veulent entendre et réentendre sans qu’on en change une, virgule. Il est Le disque de chevet de mon adolescence.

Vanitas : Beethoven – Schubert- Rihm par Olga pashenko et Georg Nigl.

Si on remonte à l’enfance j’avais évidemment Pierre et le Loup mais je serais incapable de citer la version (je crois la plus ancienne.)

Mes parents ont beaucoup écouté Maxime le Forestier et Joan Baez qui ont bercé mon enfance. À l’époque je n’avais évidemment aucune conscience de l’engagement politique de ces deux artistes mais là encore , on peut aimer à tous les niveaux d’écoute. Celui  qui m’a le plus marqué (en ne comprenant rien du tout pour le coup ) Du Chili déchiré par Isabel et Angel Parra.

Pour suivre Sandrine Piau

Son actualité

  • Clair-Obscur, Mélodies, Jean-François Verdier, orchestre Victor Hugo (Alpha)
  • Haydn, L’Addio, Il Giardino Armonico et Giovanni Antonini (Alpha)
  • Haendel, Brockes-Passion, Jonathan Cohen (Alpha)
  • Mozart, Betulia liberata, Christophe Rousset (aparte)

Notre Top 10 subjectif (sans podium)

  • Haendel, Between heaven and earth, Ottavio Dantone, 2009
  • Boccherini, Stabat Mater, Ophélie Gaillard, 2019 (aparte)
  • Scarlatti, Stabat Mater, Gérard Lesne (Virgin)
  • Couperin, Trois leçons de ténèbres, Christophe Rousset, 2000 (Virgin)
  • Mozart, Desperate Heroines, Ivor Bolton, 2014 (Naive)
  • Pergolese, Stabat Mater, Christophe Rousset, 2020 (alpha)
  • Vivaldi, In Furore, Ottavio Dantone, 2006 (Naive)
  • Stradella, Motets, Gérard Lesne, 1990 (Virgin)
  • Evocation, Mélodies, Chausson et Silvestre, Susan Manoff, 2007 (naive)
  • Le Triomphe de l’amour (Rameau), Jérôme Corréas, 2012 (naive)

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