Cinéma en salles : Chili 1976, de Manuela Martelli

Scénario de Manuela Martelli et Alejandra Moffat
Avec Aline Küppenheim, Nicolás Sepúlveda et Hugo Medina

Comme Le Capitaine Volkonogov s’est échappé « réussit le tour de génie d’être onirique avec ce que l’Histoire a d’effrayant » (Domecq), Chili 1976, de l’actrice Manuela Martelli, plonge dans le Chili sanglant de Pinochet. Sa force, selon Patrice Gree, est que le spectateur ne voit rien de la dictature : «  Mais on ressent dans les regards fuyants ou échangés, dans la rue, dans les cafés, la terreur quotidienne de la dénonciation » un beau film…dur, audacieux et troublant !

Je suis partie de l’espace intime en voulant montrer comment se filtre
le contexte politique quand il est perçu de l’intérieur d‘une maison.
Comment, aussi, naît la terreur quand on ne sait que confusément ce qui se passe.
Avec la paranoïa qui vient avec.

Manuela Martelli

 

Chili 1976, de Manuela Martelli Photo Dulac distribution

Un état trouble

Carmen, la cinquantaine passée, catholique, mariée à un médecin hospitalier, mène une vie bourgeoise à l’apparence paisible dans le Chili sanglant de Pinochet. Les travaux de décoration qui l’occupent, pour leur belle résidence secondaire au bord de l’océan, masquent un vide intérieur que l’actrice Aline Küppenheim joue avec une subtilité touchante. Un prêtre ami, lui confie chez lui, les soins médicaux d’un jeune homme blessé par balles. Le passé de voyou de celui-ci justifiant la plus absolue discrétion, selon le prêtre ! Carmen comprendra rapidement qu’en réalité, le voyou en question est un jeune révolutionnaire communiste en fuite. Au fil des soins se nouera entre la bourgeoise catholique qui a perdu le sens de sa vie et le jeune résistant qui risque la sienne une relation… presque amoureuse.

Cet éveil de la sensibilité de ma grand-mère, cette ouverture sur le monde extérieur ont eu pour conséquence une grave dépression et j’ai appris, très tard, qu’elle s’était suicidée. «Chili 1976» c’est cela: la recherche d’un lien entre ces deux répressions, domestiques et politiques, qu’ont vécues les femmes durant ces années. En outre, 1976 a été la plus sanglante année de toute la dictature Pinochet.
Manuela Martelli

L’actrice Aline Küppenheim creuse le silence sourd qui couve dans Chili 1976, de Manuela Martelli Photo Dulac distr (1)

La suggestion du hors champ et de l’informulé

La peur de la dénonciation qui s’immisce, et gagne aussi le spectateur, à chaque plan détourne l’histoire d’amour possible entre eux ! Ce n’est pas une bluette, mais un film politique puissant. La grande réussite de la réalisatrice est de ne jamais nous montrer un seul militaire, un seul flic, une seule arrestation une seule scène de violence ou de tortures… On ne voit rien ! Mais on ressent dans les regards fuyants ou échangés, dans la rue, dans les cafés, la terreur quotidienne de la dénonciation autant pour ceux qui ont choisi la lutte et la clandestinité que pour ceux qui les protègent occasionnellement ! L’inquiétude, goûte à goûte, coule dans leurs veines.

Je voulais créer un contraste entre ce qu’elle voit à la télévision,
et ce qu’elle voit dans la rue.
Manuela Martelli

L’histoire se termine mal évidemment.

Aussi mal que pour les milliers de disparus sous la présidence de Pinochet. On dénombre à près de 30 000 le nombre de torturés par la junte militaire, lors des 17 années de dictature. On se souviendra également de la visite chaleureuse que Margaret Thatcher fit en 1998 à l’ancien dictateur en résidence luxueuse à Londres et de son éloge de l’assassin dans la presse.

Au quotidien, la violence sous Pinochet c’était cela:
on entendait des cris dans la rue de gens enlevés, puis plus rien.
Manuela Martelli

Ce très beau film nous rappelle la fragilité des démocraties, ces proies fragiles toujours possibles à la merci d’une poignée d’hommes « forts » en situation d’entrainer une armée entière que tout le monde pensait loyaliste à la République. A l’inverse, Salvator Allende élu démocratiquement en 1971, refusant de fuir sous les bombardements du palais présidentiel de la Monéda, ou de se rendre…se suicida le 11 septembre 1973.

#Patrice Gree