Culture
Cinéma en salles : Le Moine et le Fusil, de Pawo Choyning Dorji
Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 25 juillet 2024
En ces temps d’une morosité plombante pour l’activité des salles obscures, JO oblige, « Le Moine et le Fusil », le deuxième film du réalisateur bhoutanais Pawo Choyning Dorji (après « L’Ecole du Bout du Monde » ) souffle un véritable vent de fraîcheur. Une humanité à l’ingénuité confondante irradie ce conte qui mêle avec grande justesse pour Calisto Dobson une culture ancestrale et l’incursion d’une contemporanéité importune. Le cinéaste nous instille une véritable leçon de vie issue du pays du « Bonheur National Brut ».
Avec ses deux films au compteur, tous deux sélectionnés aux Oscars dans la catégorie du « meilleur long métrage international » (en 2022 et 2024), Pawo Choyning Dorji a réussi le tour de force de mettre le Bhoutan sur la carte du cinéma mondial.
Son premier L’Ecole du Bout du Monde sorti en 2019 opposait déjà ou mettait en parallèle, c’est selon, une culture ancestrale avec le monde moderne.
Son deuxième film, Le Moine et le Fusil, toujours d’après un scénario original écrit par ses soins c’est à noter, est sous le couvert d’un genre de conte, une savoureuse illustration de l’intrusion d’une frange de modernité au sein d’un monde préservé.
Un essai à blanc de transition démocratique
Au cœur d’une région isolée du Bhoutan, un jeune moine bouddhiste ramène sur son dos une bonbonne de gaz. Arrivé à son monastère le Lama, (mentor qui enseigne le bouddhisme tibétain qui signifie insurpassable), son maître lui demande de lui trouver deux armes, car il veut “redresser la situation”.
Le roi ayant décidé d’abdiquer et de convertir le peuple à la démocratie, une envoyée gouvernementale s’est vue chargée d’apprendre à la population locale comment voter en organisant des élections blanches (entendez par là sans réel enjeu électoral). Ce qui nous vaut quelques scènes assez inénarrables.
Pendant ce temps, notre moine d’une simplicité et d’une bonhomie exemplaires s’est mis en quête de ces armes. Il va se trouver confronté à un américain qui, accompagné de son guide, est à la recherche d’un fusil très rare. Qu’il est prêt à payer très cher. Cette arme datant de la guerre de Sécession trouvée chez un vieil homme du coin (nous ne saurons jamais comment elle est arrivée là), fera l’objet d’une improbable et d’une opiniâtre négociation.
Jusqu’à la fin nous ne saurons pas ce qu’il adviendra de ce fusil.
Ce fil conducteur nous guidera entre pérégrinations du collectionneur américain obsédé par sa quête et la tranquille infaillibilité du moine à remplir sa mission au centre d’une communauté à la fois intriguée et déstabilisée par l’incursion inopinée de la démocratie imposée.
L’innocence constitue une vertu et une thématique très importantes dans la culture bhoutanaise, mais malheureusement, à mesure que nous évoluons et que nous devenons une nation plus moderne et plus éduquée, cette magnifique valeur a tendance à se perdre, car la pensée moderne semble avoir du mal à faire la distinction entre « l’innocence » et « l’ignorance ».
Pawo Choyning Dorji
Le nécessaire est très relatif, l’indispensable encore davantage
Gentiment, avec humilité, Pawo Choyning Dorji nous dit que ce qui nous paraît bon et indispensable n’est pas forcément la panacée pour d’autres. En prenant de la hauteur avec un humour bon enfant empreint de candeur, il pointe avec délicatesse les défauts des qualités de notre humanité.
Une vieille femme commente la venue de la démocratie en disant : << pourquoi vous nous apprenez à être impolis ? >> lorsque le chargé de mission exhorte l’attroupement de villageois à ne pas être d’accord et à s’opposer les uns aux autres. Idem lorsque la femme d’un fervent partisan du candidat du développement industriel rétorque qu’ils sont déjà heureux face à ces élections censées leur apporter le bonheur.
La sérénité affichée par les autochtones, la certitude des fonctionnaires certains d’accomplir une mission d’une importance vitale pour le pays, le comique de situations engendrées nous remplit d’une apaisante sensation, celle d’assister à une véritable leçon de vie, dispensée avec tact d’un artiste inspiré du pays du Bonheur National Brut.
La poursuite du « bonheur » peut être considérée par certains comme une abstraction, ou comme un vœu pieux. (…) Mais pour nous, les Bhoutanais, il ne s’agit pas d’un gadget marketing, mais bien d’une ligne directrice, ancrée dans notre culture et notre spiritualité. (…) Le Bonheur National Brut est le principe directeur de nos activités de développement, et il est la vision à laquelle notre peuple et notre nation aspirent. (…). C’est toujours avec cet objectif que nous avançons sur la voie du développement démocratique.
Pawo Choyning Dorji, entretien du dossier de presse
sorti le 26 juin 2024 – Encore en salles. 107 mn
avec Tandin Wangchuk, Kelsang Choejay, Deki Lhamo, Pema Zangmo Sherpa, Tandin Sonam et Harry Einhorn
Pour aller plus loin
- Bhoutan, Les neiges du bonheur, de Sabine Verhest, Nevicata, 2017
- Bhoutan, royaume hors du temps, de Robert Dompnier, Olizane Editions, 2015
- Le Bhoutan, Royaume du Bonheur National Brut, Entre mythe et réalité, de Thierry Mathou, L’Harmattan, 2013
- Bhoutan. Terre de sérénité, de Mathieu Ricard, La Martinière, 2008
Partager