Culture

[And so rock ?] Punk.e.s , de Rachel Arditi et Justine Heynemann

Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 10 avril 2024

[And so rock ?] Créée en 2023 au Festival Off d’Avignon, Punk.e.s, comment nous ne sommes pas devenues célèbres, de Rachel Arditi et Justine Heynemann est une pièce musicale rock qui retrace l’épopée de poche du groupe The Slits (formé en 1976 et séparé en 1979). Les quatre amazones en furie (Ari Up, Paloma, et Tessa Polli, Viv Albertine) ont été les précurseures d’un féminisme radical, donnant naissance au mouvement Riot Grrrl ou la radicalité des Femen. Leur incarnation sur scène par Charlotte Avias, Salomé Diénis Meulien, Camille Timmerman, Kim Verschueren est pour Calisto Dobson, jubilatoire. Après un passage à la La Scala Paris, Punk.e.s le 27 mai au Festival théâtral de Coye-la-Forêt, et à La Scala Provence du 29 juin au 21 juillet.

Dans la déflagration punk

En 1976, en pleine montée d’un thatchérisme qui sera socialement dévastateur, la jeunesse anglaise se jette à corps perdu dans la déflagration punk. Monté en épingle par opportunisme d’une certaine intelligentsia des bas-fonds et de médias avides de sensationnel, ce mouvement fut surtout porté par un irrépressible vent de révolte nourri de frustration et de colère envers un establishment avide de ses prérogatives.

Au cœur de ce maelström culturel provoqué par la remise en cause de toutes les légitimités dont le rock est le porte étendard, vont naître une flopée de groupes. Leurs origines, bien plus lointaines que ne le laisseront penser les thuriféraires de l’époque, ainsi que leur descendance, innervent encore de façon prégnante l’ensemble des courants de la musique populaire.

Quatre filles prêtes à tout pour se faire entendre.

The Slits (1976 – 1979) Ari Up, Paloma, et Tessa Polli, Viv Albertine Photo DR

C’est dans ce contexte radical que va naître une formation punk, The Slits (Les Fentes , réponse féminine aux Sex Pistols) se forme autour de l’explosive Ari Up (à peine âgée de 14 ans), s’y agrègent Paloma Romero dite Palmolive, Kate Korus (qui trouva le nom du groupe) et Suzi Gutsy. Une année plus tard, la rencontre décisive avec Viv Albertine à laquelle se joignent Tessa Pollitt ainsi que Pete Clarke dit Budgie à la batterie, modifie et cimente la composition du groupe (Kate Korus et Suzi Gutsy se sont esquivées).

Sous les bons auspices spirituels de Patti Smith (point de repère inamovible des féministes du rock) et le soutien du groupe emblématique The Clash par l’intermédiaire de leur guitariste Mick Jones (petit ami de Viv Albertine), The Slits parviennent à imposer leur autorité artistique, contractuelle et commerciale au label Island Records.

Aujourd’hui considéré comme un classique, il en sortira le cultissime album Cut. La pochette sulfureuse, décriée en son temps, est imposée par les filles qui posent nues recouvertes de boue, à la façon d’amazones effrontées. La production confiée au musicien caraïbéen Dennis Bovell font de ces 10 titres une musique punk dans l’esprit allégrement mâtinée de profondes racines reggae.
Voilà pour la petite histoire.

Le défi d’une adaptation théâtrale

Monter sur une scène de théâtre les différents épisodes survenues au cours des six années de la carrière du groupe (avant sa reformation bien plus tard), était très certainement une gageure.

La comédienne Rachel Arditi, hilarante dans le rôle de Nora Foster (mère de Ari Up) et de Dennis Morris (directeur artistique de Island Records) ainsi que Justine Heynemann, metteuse en scène, ont réussi en tant que co-auteures à relever ce défi. Le « musical » a le mérite de parvenir à insuffler au public l’énergie bouillonnante qui irradiait cette scène musicale entre 1976 et 1982. Les comédiennes incarnent avec une grande conviction les membres du groupe ; une mention spéciale à Charlotte Avias qui dans le rôle de Ari Up délivre une prestation particulièrement habitée.

Remonter aux sources d’une frénésie exacerbée

La scénographie de Marie Hervé illustre avec justesse toute la frénésie qui s’était emparée de cette jeunesse démunie qui rêvait de liberté totale. Les quelques morceaux interprétés en direct témoignent de l’insatiabilité avec laquelle le mouvement punk a ressenti un besoin irrépressible, celui de se réapproprier ce qui innervait le rock des origines. Une poussée juvénile qui conteste un ordre établi, l’expression salvatrice d’une jeunesse qui revendique sa nature profonde; le droit à s’exposer quelle que soit sa nature.

Incarnée musicalement

La bande son adéquate qui accompagne le spectacle rythme et ponctue les différentes scènes, qui sans temps mort, nous relate la charge lancée par ce groupe de filles qui annonçait avec pas mal d’avance le féminisme militant d’aujourd’hui.
Des Riot Grrrl aux Femen, leur influence n’a pas fini d’accompagner les jeunes femmes contemporaines soucieuses de s’approprier leur corps, leur apparence, le droit à en user comme bon leur semble et bien au-delà une autre façon de concevoir les relations intersexuelles.
Par extension ce mouvement appelé punk (qui signifie minable ou crétin rappelons-le), qui par la spontanéité de son idiosyncrasie se devait d’être éphémère, au-delà d’un courant culturel, aura engendré de nombreuses ramifications jusqu’à produire une façon de concevoir la pratique de l’art et son corollaire commercial.

Du Do It Yourself (DIY) aux labels indépendants créant un sous-genre couramment galvaudé de nos jours, le rock indépendant.

Calisto Dobson

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Punk.e.s, de Rachel Arditi et Justine Heynemann
Mise en scène de Justine Heynemann
avec Charlotte Avias, Salomé Diénis Meulien, Camille Timmerman, Kim Verschueren, Rachel Arditi et James Borniche.

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