Cinéma en salles : L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine (2024)

Des Souleymane, livreurs à vélo qui sillonnent la ville avec leurs sacs bleu turquoise ou jaune vif, siglés de l’application pour laquelle ils travaillent, tellement visibles et pourtant totalement clandestins, on en croise chaque jour dans les rues de Paris. Mais des films comme « L’Histoire de Souleymane », très peu ! Ce qui frappe violemment Patrice Gree dans ce très beau récit, c’est que personne n’accorde de valeur à la vie tourmentée de Souleymane (remarquablement incarné par Abou Sangare). Il est temps de changer notre regard sur les livreurs de repas à domicile, le film de Boris Lojkine vous y aidera.

Des maillons invisibles

Chaque jour, tu vois filer entre les bagnoles, les bus, les camions, dans la fureur et le bruit des milliers de rues parisiennes qui se croisent et s’entrecroisent, des centaines d’hommes jeunes qui pédalent dans le gris, sous le vent, sous la pluie pour livrer leurs sushis japonais, leurs pizza aux quatre fromages aux quatre coins de la ville… Tu en vois tellement que tu ne les vois plus ! Et il te faut passer par la fiction, pour leur donner une soudaine existence dans la réalité !

Dès les premières images, Boris Lojkine, le réalisateur, caméra au poing, suit Souleymane qui pédale fort dans les embouteillages parisiens. D’une image tremblée, dans une lumière aveuglante de nuit tombante, il le suit pédalant de longues minutes…te laissant pressentir tous les dangers, et qui ne seront pas que routiers, que Souleymane devra affronter.

Avec L’Histoire de Souleymane, Boris Lojkine nous plonge dans la vie des candidats à l’intégration en France Photo Pyramide films

 Souleymane est un sans-papier.

Le jeune homme d’une vingtaine d’années a fui la Guinée Conakry, traversé le Mali, s’est fait tabasser, racketter, dans les terrifiantes prisons Libyennes, avant d’embarquer sur des canaux de sauvetage où des femmes, des enfants, des hommes, chaque mois, avec une régularité épouvantable, meurent noyés…pour l’Italie, puis la France, puis Paris, la ville lumière.

Souleymane pédale, court, fuit, attend, loupe son bus, se fait casser la gueule…fait la queue pendant des heures. Souleymane doit manger. Pour manger, il faut travailler, Souleymane n’est pas un voleur. Mais pour travailler, il faut des papiers…il n’en a pas !

Abou Sangare, lui même sans papier, incarne Souleymane, de Boris Lojkine Photo Pyramide films

Un réaliste quasi documentaire

C’est sous une fausse identité qu’il se fera embaucher comme livreur en vélo…Cette fausse identité sera monnayée cher à un arnaqueur compatriote, comme le faux récit de son exil politique qu’il apprendra par cœur avant de le servir à L’OFPRA…pas dupe ! Nous découvrirons, à la fin du film, la vraie raison de sa fuite de la Guinée. Cette fin de film qui n’en est pas une…

La graal de l’accord de l’OFRA au cœur de L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine Photo Pyramide films

Ce qui nous frappe violemment dans ce très beau récit, c’est que personne n’accorde de valeur à la vie tourmentée de Souleymane…

Sa force, proche du documentaire dans sa façon de filmer au plus près de la réalité, repose sur son absence de sentimentalisme – pas d’histoire d’amour parallèle pour faire passer la sauce -, et sur le formidable jeu de l’acteur principal Abou Sangare qui a reçu le prix d’interprétation – Un certain regard -, à Cannes.
Abou Sangare est lui-même dans sa vraie vie, un sans-papier !

 Souleymane ne sait pas qu’il est malgré lui l’un des enjeux majeurs des élections en France.

Souleymane, le gentil, ne sait pas que sa simple présence d’inoffensif et amical livreur de pizza 4 fromages peut faire basculer ce pays dans son versant sombre.

Qui Souleymane met-il en danger ?

Patrice Gree

avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, Jean-Baptiste Durand, David Ayala.

À écouterAlain Guiraudie et Boris Lojkine