Cinéma en salles : Perfect Days, de Wim Wenders vu par Patrice Gree
Wim Wenders est un monument…
devant un monument, tu enlèves ta casquette et tu t’essuies les pieds.
C’est donc, tête nue et pieds propres que je rédige cette chronique. Le garçon en moi, un poil bourrin, préférant toujours à l’écran un bon gros bourre-pif de saloon dans un bon vieux western avec Burt Lancaster, au cinéma expérimental…c’est – puisqu’on parle des pied -, en les trainant sous la pression agacée d’un entourage amical, que le bon gros bourrin, incapable de dire non qu’il est…céda et accepta d’aller voir un film qu’on lui présenta avantageusement comme quasi muet, ayant pour décor les chiottes publiques de Tokyo et pour unique action, leur impeccable nettoyage…Ouh hala…C’est génial qu’on lui dit ! Tu verras qu’on lui dit ! Et plus ça dure deux heures rajouta-t-on, pour achever de le convaincre ! Ouh lala !
Et bien… c’était vrai ! C’était formidable !
J’ai subi l’initiation du bourrin à la poésie minimaliste en quelque sorte…
Hirayama, la cinquantaine passée, employé par la ville de Tokyo, a en charge le nettoyage des toilettes publiques.
Hirayama accomplit cette tâche ingrate silencieusement avec beaucoup de conscience et de gentillesse. Hirayama semble heureux.
Chaque jour qui passe ressemble comme deux gouttes d’eau au jour précédent ! L’avenir devient un éternel présent !
Tôt le matin après avoir pris soin de ses plantes, bu son café dans sa voiture, il traverse par les autoroutes circulaires surplombant Tokyo, l’enfer urbain au son de Patti Smith, Otis Redding et de Lou Reed… Hirayama sourit ! Hirayama tout en étant très présent à sa tâche, laisse son esprit s’échapper…
La prison est à l’extérieur et la liberté à l’intérieur.
La liberté, c’est le ciel, les arbres…et entre eux les jeux de lumière que son vieil appareil photo essaie de saisir.
La liberté, c’est la beauté. La beauté des plantes, des nuages, de la musique. Il se laisse saisir par eux…
Mais la beauté n’efface pas la mort, toujours présente.
Hirayama issue de la grande bourgeoisie, en rupture familiale, refuse de voir son père mourant. En promenade sur un quai, un soir, il croise un homme malade qui va mourir, avec qui il jouera au jeu enfantin « de l’ombre de l’autre… qui se dérobe et que l’on doit attraper. C’est une très belle scène. J’ai regardé ce film, un peu comme je lis le poète de Christian Bobin (1951- 2021), que j’adore !
Il n’y a rien de caché, tout est là sous nos yeux, la vie passée, la vie présente et la vie future, comme trois petites filles échangeant en riant des confidences sur une route de campagne.
Christian Bobin, Ressusciter.La liberté ne va pas avec le bonheur. Elle va avec la joie. La joie est belle comme une échelle de lumière dans notre cœur. Elle mène à bien plus haut que nous, à bien plus haut qu’elle : là où plus rien n’est à saisir, sinon l’insaisissable.
Bien sûr, je ne réponds plus vraiment : je chante.
Va-t-on demander à l’oiseau la raison de son chant ?
Christian Bobin, Eloge du rien (1990)
Seule la beauté sauve ! Seul le regard sauve. On le sait !
Mais peut-on décider de cela ?