Culture

Essais : Face aux dévoiements de la Tech, peut-on encore arrêter la machine ?

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 3 janvier 2019 à 1 h 01 min – Mis à jour le 4 janvier 2019 à 16 h 47 min

Notre sélection n’a aucune prétention à être exhaustive. Elle met en lumière quelques problématiques qui vont marquer la nouvelle année : la consommation, le transhumanisme, le livre électronique. Avec la conviction que leurs auteurs vous donnerons quelques clés de compréhension aux débats présents et à venir.

La révolution matérielle – Histoire de la consommation (France, XIXe-XXIe), Jean-Claude Daumas [Flammarion]

Souvent délaissée, déconsidérée ou banalisée, la « course » à la consommation méritait enfin une l’histoire globale loin des réductions pour saisir « les transformations de la consommation de masse ». De 1840 « date où se produit une véritable rupture lorsque la production marchande s’empare des biens de consommation » au début du XXI siècle « post 30 glorieuses », Jean-Claude Daumas distingue cinq régimes qui mettent en scène les acteurs, les objets, les pratiques et les représentations.
Au fil du récit de cette « révolution matérielle », l’auteur parcourt toutes les dimensions matérielles et symboliques pour interroger les cultures émergentes de la consommation avec une exigence de transparence, d’authenticité et de convivialité. Même s’« il reste que, pour toutes les catégories sociales, l’accroissement de la consommation continue d’être synonyme d’accès au bonheur » l’historien balaye quelques mythes comme l’hyper-individualisation, les inégalités d’accès aux biens et services et le délitement de la société salariale. La fragmentation inédite des modes de consommation qui se dessine transforme une dynamique de croissance d’autant plus urgente à comprendre qu’elle est contestée au nom du développement durable et de l’inégalité d’accès.

Leurre et malheur du transhumanisme, Olivier Rey [Desclées de Brouwer]

 « Le trans-de transhumanisme renvoie à la fois au statut de l’humanité comme simple état trans-itoire, à traverser, et à la trans-cendance de nouveaux êtres par rapport à nous-mêmes ». La seule façon de ne pas céder à ce « fantasme mégalomaniaque et enfantin » est d’en décortiquer méthodiquement les contradictions et les « promesses exorbitantes » d’un homme soi-disant ‘augmenté’ et ‘libéré’ de toutes ses – o combien handicapantes – contraintes naturelles. Non sans visées mercantiles. « Il reste encore un lieu scandaleusement inexploité : le corps lui-même. Voilà le nouveau marché à investir, la « nouvelle frontière à conquérir ». Pour cela, il est nécessaire de nous convaincre au préalable que notre corps est déficient, ridiculement peu performant, que nous sommes de pauvres choses qui réclament de toute urgence à être améliorées. Par chance, cela ne s’avère pas trop difficile. D’abord du fait de notre dépendance déjà immense à l’égard de la technologie, qui nous a fait perdre confiance en nos facultés propres. Ensuite, à cause du morcellement de la personnalité induit par les modes de vie contemporains, qui nous prédisposent aux appareillages de toutes sortes ».
Le philosophe Olivier Rey le reconnait, résister à cette dynamique dominante d’un progrès que rien n’arrête n’est pas facile: « en regard du transhumanisme, la pensée moderne est dans une posture délicate : elle aussi risque d’être engloutie, par ce qui est à la fois l’accomplissement de ses rêves et la révélation de leur caractère mortifère. »
Avec érudition, clarté et beaucoup d’ironie, l’auteur oppose à cette utopie, portée par tous (sauf des biologistes), les vertus de notre précarité, la chaleur de la relation à l’autre et invite à assumer la responsabilité de notre communauté de destin.
Il est urgent de lire cet humaniste qui nous exhorte à retrouver le « courage d’avoir peur » : « Pour être à la hauteur de ce qui vient, ce ne sont pas d’innovations disruptives dont nous avons besoin, de liberté morphologique ni d’implants dont nous aurons besoin, mais de facultés et de vertus très humaines. »

Délivrez-vous ! Les promesses du livre à l’ère numérique, Paul Vacca [Editions de l’Observatoire/Humensis]

N’attendez rien du livre numérique (et surtout pas d’Amazon) ! De sa plume alerte et sensible, trempée d’un amour du livre et de la librairie, Paul Vacca roule tambour battant à contre-courant d’autres fausses promesses du numérique. C’est un résistant, un de ces ‘réfractaires’ pour qui les livres-papiers possèdent toujours « un caractère inflammable et libérateur à l’heure de l’hyperconnexion ». Son essai dense et lumineux est aussi visionnaire : se déconnecter est devenu un luxe, celui de « tout reconnecter à l’essentiel ». Son plaidoyer pour cette ‘alchimie sociale’ que sont le livre et la librairie est indispensable à tous : citoyens pour échapper au leurre des algorithmes prescripteurs, consommateurs pour sortir d’une zone de confort construite à coups de clics dupliquants, parents qui se demandent comment – et pourquoi – détacher leurs enfants de leur mobile. Pour une promesse durable : une réinvention et une réappropriation de nos identités, c’est ouvrage est un outil de combat culturel et d’aventures buissonnières à mettre dans toutes les mains.

Références

La révolution matérielle – Histoire de la consommation (France, XIXe-XXIe siècle)Jean-Claude Daumas [Flammarion] 600 p. 26€ 

–  Leurre et malheur du transhumanismeOlivier Rey [Desclées de Brouwer] 196 p. 16.90€

Délivrez-vous !…

 

La révolution matérielle – Histoire de la consommation (France, XIXe-XXIe siècle)Jean-Claude Daumas [Flammarion] 600 p. 26€ 

–  Leurre et malheur du transhumanismeOlivier Rey [Desclées de Brouwer] 196 p. 16.90€

Délivrez-vous ! Les promesses du livre à l’ère numériquePaul Vacca [Editions de l’Observatoire / Humensis] 80 p. 10€ 

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