Culture

[Partage d’un mélomane] Philippe Hersant, La Lumière et l’ombre, 27 janvier 2017

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 13 juillet 2021

[Partage d’un mélomane] La Philharmonie de Paris est un vaisseau offrant au ciel gris ses échines argentées. Ses élytres déployés à l’intérieur enserrent des promesses de grâce. Avec La lumière et l’ombre, à l’occasion des 40 ans du Chœur de l’orchestre de Paris, dédicataire et créateur de l’œuvre le 27 janvier 2017, Philippe Hersant a exhaussé une de ces promesses avec immensité et délicatesse. Hélas, aucun enregistrement n’est disponible.

2013 – 2017

Philippe Hersant avait offert à la Cathédrale Notre Dame de Paris fin 2013 des « Vêpres de la Vierge Marie » absolument lumineuses dans un enchaînement de psaumes et d’hymnes célébrant les huit cent cinquante ans du lieu, depuis meurtri. Liturgie prodigue pour un espace illimité, ces vêpres portent dans leurs couleurs des nuances que le compositeur approfondira, malgré un format bien plus court, dans La lumière et l’ombre l’œuvre commandée pour marquer le 40ème anniversaire du Chœur de l’Orchestre de Paris.

Au-delà de la circonstance

Moins de quatre années après, tout comme la nef de la cathédrale en son temps, la salle de la Philharmonie vibre ce 21 janvier 2027 d’une attente qui a la forme d’un rêve. Celui de la démesure pour ainsi dire presque amplifiée par l’architecture qui est à elle seule un cosmos complexe mais accessible. Celui aussi du programme « babylonien » pour reprendre le mot de Berlioz, qui ouvre la soirée avec Le Double, 2ème symphonie de Dutilleux et la referme sur le Te Deum de Berlioz, apothéose et, encore, démesure. Entre ces deux monuments, l’œuvre de Philippe Hersant créée pour la circonstance n’est ni enchâssée ni comprimée, au contraire elle magnifie cette circonstance d’un élan de modernité extrêmement distinguée.

La bruissance de trois chœurs et un orchestre symphonique

« Le monde fait rêver et rêver devient monde » écrivait Novalis, Novalis dont Hersant prélève un fragment, soit une quinzaine de strophes, du « Chant des morts », partie centrale du roman dense et ténébreux, inachevé et posthume « Heinrich von Ofterdingen ».

De ce fragment, le compositeur saisit les mots et leur donne la tonalité, la bruissance, la clameur ou le souffle que peuvent porter ensemble trois chœurs et un orchestre symphonique aussi ample que pour l’exécution du Te Deum de Berlioz.

L’œuvre d’une temporalité resserrée s’adosse sans limite sur le recours au nombre qui lui est permis mais pour en sublimer l’expression et, au fond, pour parler à l’âme avec douceur. Impossible de ne pas penser à la paroxystique extrémité du second mouvement de la 8ème symphonie de Mahler « Alles Vergängliche… » lorsque là également trois chœurs, comme une brise vocale, murmurent ou soupirent avant l’épilogue où le vent enfle et emporte tout.

‘un autre chant et le seul absolu’ Novalis

Philippe Hersant enveloppe l’orchestre, et ici un orchestre dans sa formation la plus ample avec orgue, d’un immense habit de voix et comme un miroir, plusieurs générations de voix rassemblées et unies s’éprennent d’un écrin instrumental incomparable. La voix, dont Yves Bonnefoy disait à propos de celle de Kathleen Ferrier : « Je célèbre la voix mêlée de couleur grise/Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu/Comme si au-delà de toute forme pure/Tremblât un autre chant et le seul absolu », prend dans l’essence même de « la Lumière et l’ombre » une incarnation absolue, comment ne pas pressentir que « Lorsqu’en une clarté pure et sereine alors/Ombre et lumière de nouveau s’épouseront »… (Novalis) ?

Lionel Sow, artisan habité de la création des Vèpres, à la tête du Chœur de l’Orchestre de Paris, du Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris et du Chœur de jeunes de l’Orchestre de Paris, Bertrand de Billy à la tête de l’Orchestre de Paris, sont des maîtres d’œuvre en totale fusion avec l’esprit de l’œuvre et de son compositeur.

Oui, il y a de l’immensité, il y a de la dimension,
mais il y a une telle plénitude surtout.

Une alchimie complexe et mystérieuse opère, à la manière de l’architecture de la salle (la notion d’acoustique serait ici réductrice) qui apporte la musique et le texte jusqu’au plus caché des recoins anéchoïques : l’impression que chaque voix porte, que chaque instrument est lisible, que plusieurs centaines de musiciens ne s’effacent aucunement tout en ne laissant entendre qu’un et même chant. Ils inscrivent leur interprétation dans les pas du compositeur, ils apportent à la partition la perfection d’une interprétation unique magnifiant le mot « ensemble », l’anoblissant comme un don sublime le geste qui donne.

Mais voilà, il s’agit d’une interprétation unique (le soir du 21 janvier 2017), il n’est pas possible ici de donner une référence qui renvoie à un support disponible ou à une édition. Car réunir plus de quatre cents musiciens pour un enregistrement est, semble-t-il, démesuré pour une ère qui pourtant ne sait faire que dans la démesure. Il a été possible de voir (et entendre) une captation de l’œuvre sur le site de la Philharmonie, mais son temps serait révolu. Alors rêvons à la publication ou à l’édition, à l’initiative de la Philharmonie, d’un DVD reprenant cette captation captivante…

Dans une telle attente, il est possible d’entendre Philippe Hersant :

ainsi qu’un extrait (troisième onglet)

…ce qui ne fera que renforcer la tentation et l’attente.

Habités par cette espérance, réentendons Novalis :
« Quand l’ombre et la lumière/se marieront de nouveau dans la pure clarté,/Quand à travers les légendes et les poèmes/Nous connaîtrons la vraie histoire du monde,/Alors s’évanouira devant l’unique mot secret/ce contresens que nous appelons réalité. »

Un vertige en somme que Philippe Hersant n’élude pas mais pour la traversée duquel il nous tend une main accompagnante et intense.

En savoir plus sur Philippe Hersant

A propos de Philippe Hersant

Philippe Hersant, né en juin 1948 à Rome est un compositeur fécond parcourant généreusement les terres de l’orchestre, de la musique de chambre ou simplement instrumentale, de la voix et même de l’opéra (de chambre). La littérature est une couleur qui marque ses œuvres de la même manière, c’est-à-dire sans se limiter à une forme, il associe ainsi poésie, théâtre, récits.
Une grande humanité l’invite au centre de rencontres où interprètes et public trouvent ensemble une jubilation, sa musique, qu’elle soit complexe dans une orchestration érudite ou simple en apparence comme certains « haïkus » pour piano, coule toujours comme une source vive. Une présence d’homme ancré dans le monde l’ont conduit à la radio (Radio France), au cinéma (« Etre et avoir ») mais aussi et très particulièrement auprès des incarcérés quand, à la demande d’Anne-Marie Sallé, il travaille avec les prisonniers de Clairvaux dans le cadre du poignant festival « Ombres et Lumières », d’où naîtra une œuvre composite « Instants limites » (il n’est peut-être pas anodin que le cantique « La Lumière et l’ombre » en soit un écho onomastique inversé).
Philippe Hersant c’est une œuvre ascendante, cheminante et augmentante. Profondément attachante.

Discographie sélective

  • Clairvaux Instants limites, avec l’ensemble vocal Aedes, Aeon, Septembre 2013
  • Clair obscur, avec l’ensemble Sequenza 9.3 et Catherine Simonpietri, Deca, janvier 2013
  • Horizon(s), avec Olivia Gay, Ilona Records, février 2018
  • Vocello, avec Henri Demarquette, Sequenza 9.3 et Catherine Simonpietri, Vocello Fonds de dotation Henri Demarquette, mars 2017.

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