Culture

Portrait de Jean-Paul Dubois, un Goncourt pas comme les autres

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 27 novembre 2020

« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon », le titre du Prix Goncourt 2019 condense un magnifique roman mais aussi une jolie définition de l’artiste. Le romancier Jean-Paul Dubois l’incarne bien à sa manière. Cet hédoniste tranquille confie son mode d’écriture et son plaisir de participer au livre caritatif 13 à table.

Un très grand viveur dans tous les sens du terme

Au téléphone covid oblige, la voix est grave et chaude. L’homme est d’emblée abordable. Jean-Paul Dubois rentre de sa promenade quotidienne autorisée en tant de confinement ; « je vis dans la nature, entouré d‘animaux, j’ai beaucoup de chance » s’excuse-t-il presque à la citadine que je suis. A prime abord, le Prix Goncourt 2019 pourrait être un mauvais « client » pour une journaliste ; sur les questions des biens essentiels, de l’ouverture des librairies, il répond modeste : « Je ne vis que dans le doute et chaque jour amène la réponse que je me posais la veille. Aussi il est difficile pour moi de répondre à ces questions. Ce qui est essentiel pour une personne ne le sera pas pour la suivante. Je ne sais pas ce que c’est un bien essentiel. »
Pas de carnet de lecture non plus : « Je ne suis pas un très grand lecteur ni un très grand travailleur mais plutôt un très grand viveur dans tous les sens du terme, plutôt Alexandre le bienheureux ».

31 jours, un processus créatif original

S’ il y a presque autant de façon d’aborder l’écriture que d’écrivain, celle de Jean-Paul Dubois se révèle plutôt radicale. Il se fixe pour chacun de ses livres 31 jours, pas un de plus ! Pour son premier roman, Compte rendu analytique d’un sentiment désordonné (1984), il voulait…. « faire la course avec Boris Vian » qui avait écrit J’irai cracher sur vos tombes en 25 jours…. J’ai perdu car j’ai mis 28 ou 29 jours mais j’y ai trouvé une méthode ».

Cette contrainte très sévère qui exige ce qu’il appelle « une loyauté intellectuelle » est aussi reconnaît l’auteur d’Une vie française  « une façon de se rescolariser. Certains ne comprennent pas ma façon de faire mais de mon point de vue, la charge n’est supportable que si on s’en défait très vite sans bâcler le travail. »

Quand il estime être prêt et l’esprit tranquille, l’auteur de Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon s’enferme alors de 10h à 4h du matin tous les jours. « A la fin cela fait un livre, souffle-t-il dans un sourire. Mais parfois ce livre est le fruit de 20, 30 ou 40 années de vie qui ont produit l’histoire. Je ne planifie rien quand je fais un livre»

Aucun romantisme de la plume qui court sur le papier

S’il a commencé à taper directement avec une « Jappy rouge ». Désormais ce sont deux ordinateurs qui accompagnent Jean-Paul Dubois, un qui sert à la documentation permanente et l’autre à l’écriture. D’une nature anxieuse, il fait chaque soir des sauvegardes de son travail sur trois clés USB. Il faut dire qu’un jour il a perdu 60 pages ! Un traumatisme qui a marqué cet écrivain. Quant au papier il a disparu discrètement de sa vie de travail, même pour les corrections :  « Je trouve que c’est plus simple de les faire sur écran. » conclut-il.

Un titre manifeste, inspiré d’un portrait artiste

Ce titre magique, Jean-Paul Dubois  l’a écrit il y a 20 ans pour la préface d’une rétrospective dédiée de l’un de ses amis Rober Racine (né en 1956) pa le Musée d’art moderne d’Ottawa : « Cet artiste pluridisciplinaire fait des choses étranges et singulières. Une fois le roman fini, je ne trouvais pas de titre et tout d’un coup j’ai repensé à celui-ci et toute l’histoire m’est revenue. » Le héros de son roman existe, rencontré il y a 25 ans. « C’est un génie, généreux, son rapport aux autres est vrai. Un jour je me suis décidé à écrire sur lui »

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Jean-Paul Dubois, Éditions de l’Olivier. 19€.

Pourquoi Hansen, homme à tout faire dans un immeuble de Montréal, se retrouve-t-il en prison ?  Toujours prêt à rendre service, il sait aussi écouter et apporter du baume au cœur des âmes solitaires parmi les colocataires de l’Excelsior. Pendant son temps libre, sa passion est de voler avec sa compagne et son chien au-dessus de paysages sauvages du Canada. Mais l’arrivée d’un nouveau gérant dans son immeuble va provoquer injustices et drames.

Par petites touches, Jean-Paul Dubois dessine le portrait de cet homme – qui existe réellement dans la réalité et que l’auteur connait bien. Les relations père-fils, la vie carcérale, l’injustice, l’amour, autant de thèmes abordés avec humanité dans ce beau roman.

La littérature peut contribuer à donner une vie meilleure

Généreux, Jean-Paul Dubois a participé avec enthousiasme à l’aventure 2020 de 13 à Table, le livre collectif au profit des Restos du cœur. « Je trouvé la simplicité de l’idée formidable : 13 personnes racontent des histoires de 15 à 20 feuillets et au final cela permet de distribuer 1 millions de repas grâce à la solidarité de l’ensemble de la chaîne. Nous participons à donner une vie meilleure à des gens dans la difficulté, je trouve cela fantastique et efficace et je suis prêt à m’investir les années prochaines. »

Contourner l’irracontable

Le thème de cette année imposait « des histoires d’amour ». L’auteur reconnait qu’il n’est pas « à l’aise avec ça, c’est irracontable.  Je vis avec des chiens dont une qui avait 14 ans est morte pendant le confinement.  J’ai dû la faire incinérer. Elle m’a inspiré l’histoire. C’est infiniment touchant pour moi qu’elle soit dans le livre. Je ne pourrais pas imaginer des histoires trop lointaines de ce que je vis car je perdrais la capacité à restituer le moment qui sort d’un livre pour être un film. Je fais des livres parce que je ne peux pas faire de films. C’est un parcours compliqué, avec tout ce que cela implique. Pourtant c’est tellement beau un film réussi. » Sa nouvelle « Une belle vie avec Charlie » qui traite avec beaucoup d’émotion et de pudeur de la perte de sa chienne pendant le confinement est un condensé puissant de cet auteur attachant.

Pour suivre Jean-Paul Dubois

 

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